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Le désintérêt pour les ouvrages hydrauliques retarde la mise en oeuvre de bonnes règles de gestion

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Trop d'ouvrages en rivière ont oublié les anciennes règles de gestion hydraulique qui avaient présidé à leur naissance lors des siècles passés. Et l'administration centrale de l'Etat français s'est pour sa part entiché d'une idéologie de la "renaturation" visant à nier toute valeur à ces ouvrages pour les faire disparaître de la rivière. Mais cette idéologie se trompe, les ouvrages ont bel et bien de l'intérêt, y compris au plan environnemental : expansion des surfaces en eau, des berges et des zones humides, diversité locale d'écoulements et d'habitats, capacité à gérer des niveaux et parfois des pollutions, etc. L'indifférence voire l'hostilité à leur encontre fait que l'on ne se penche pas sur ces fonctions et ces milieux. Ce déni est absurde: puisque les ouvrages sont là depuis longtemps, et sont faits pour rester dans beaucoup de cas, autant optimiser la gestion de l'eau, des sédiments, des berges et de la biodiversité. Et déjà étudier ces questions, au lieu de refuser dogmatiquement la réalité des écosystèmes anthropisés pourtant largement reconnue par la recherche scientifique.


Au cours des années 1960 à 1990, les dernières générations de meuniers actifs ou de petits producteurs d'électricité hors réseau se sont bien souvent éteintes. Des dizaines de milliers de moulins ont été transmis ou vendus à des propriétaires ne disposant pas toujours d'une culture hydraulique. Il y a certes des passionnés, souvent membres d'associations, mais aussi beaucoup de maîtres d'ouvrage qui n'ont jamais travaillé avec l'eau et ne se sont pas penchés sur cette dimension particulière de leur bien. La même chose vaut pour des plans d'eau piscicoles devenus sans activité. La disparition de l'administration des ponts et chaussées (années 1960), dans une ambiance centrée sur la modernisation agricole et industrielle, a aussi entraîné dans certains services administratifs un désintérêt progressif pour la question des petits ouvrages hydrauliques. Quant aux notaires, il est reconnu que la plupart d'entre eux ont hélas! négligé la précision de l'information sur les droits d'eau et sur les devoirs afférents lors des successions ou acquisitions de biens hydrauliques.

A compter des années 2000 et au sein de l'appareil d'Etat, les administrations en charge de l'eau et de la biodiversité (direction administrative du ministère de l'écologie, office français de la biodiversité ex CSP-Onema, personnels d'agences de l'eau) ont développé un discours globalement hostile aux ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, barrages, canaux, plans d'eau divers). Cette hostilité s'explique et s'exprime par une idéologie, celle de la "renaturation" :
  • L'état naturel, normal, souhaitable de la rivière serait l'absence d'impact humain, en particulier d'ouvrages hydrauliques
  • Les ouvrages hydrauliques n'ayant pas d'intérêt majeur aux yeux de l'Etat (soit la grand majorité hors quelques barrages multi-usages et ouvrages urbains de protection de crue) ont vocation à disparaître au profit d'une nature "restaurée"
Un arrière-plan de cette idéologie au niveau de l'Etat central : le "new public management" incitant à réduire les investissements, personnels et services publics, à supprimer la gestion des droits d'eau jugée trop complexe, à préférer des interlocuteurs agricoles ou industriels d'une certaine dimension économique, à vanter l'auto-régulation et l'auto-épuration de l'eau demandant un minimum d'effort (le "laisser-faire" produirait tout seul un état d'agrément...). Derrière l'idée que la nature fait bien les choses, certains ont aussi à l'esprit un agenda politique interne à la gestion publique.

La renaturation : une idéologie davantage qu'une science
Pour se légitimer, cette idéologie administrative de la renaturation s'est prétendue le seul discours scientifiquement tenable, le "sachant"étant éclairé et le citoyen ignorant. Or, c'est inexact :
  • Une part croissante de la recherche en écologie, en géographie, en histoire et archéologie de l'environnement reconnaît l'existence des écosystèmes artificiels (appelés aussi nouveaux écosystèmes, écosystèmes anthropiques, écosystèmes culturels) et le caractère inévitablement "hybride" des évolutions nature-culture ou nature-société.
  • L'écologie de la conservation montre que des écosystèmes aquatiques ou humides d'origine humaine (mares, étangs, plans d'eau, réservoirs, canaux) possèdent eux aussi une valeur pour la biodiversité, y compris parfois des espèces protégées et menacées. 
  • La recherche en sciences sociales et humaines comme en sciences du climat et de l'environnement montre que les ouvrages hydrauliques ont des enjeux multiples aux yeux de leurs riverains, avec des usages potentiels pour certaines politiques publiques (autres que celle de la seule conservation de la biodiversité endémique) et pour la gestion adaptative des cours d'eau à l'heure du changement hydroclimatique.
Si une partie de la recherche en écologie de la conservation ou de la restauration reste exclusivement attachée au paradigme d'une naturalité sans l'homme comme référence à viser, ce n'est pas en soi la seule option pouvant se réclamer de "la science".

Le déni de toute valeur aux ouvrages hydrauliques et le souhait de revenir à des rivières sans altération humaine sur la morphologie a abouti à des politiques visant à la destruction préférentielle des moulins, étangs barrages et autres. Ce qui a soulevé de nombreuses protestations. De même, le centrage sur la question des poissons migrateurs a abouti à demander systématiquement des dispositifs complexes de franchissement, qui ont des coûts conséquents pour un compartiment assez limité de la biodiversité aquatique et rivulaire. Contestés par le parlement et parfois par la justice, les gouvernements successifs ont dû contredire leur administration pour engager des réformes qui relativisent l'importance de la continuité en long, et qui obligent à prendre en compte les enjeux multiples des ouvrages.


Promouvoir une gestion écologique des ouvrages
Toutefois, ces réformes se font à reculons et toujours en ignorant la question écologique. L'administration veut bien admettre du bout des lèvres que les ouvrages peuvent avoir des intérêts pour le paysage, l'énergie, l'irrigation, la culture, certains loisirs... mais c'est toujours en rappelant combien, du point de vue écologique, ces ouvrages restent de déplorables anomalies.

Cette situation est dommageable : à partir du moment où les ouvrages hydrauliques créent des milieux, il faut l'admettre, étudier leur biodiversité faune-flore, analyser les effets locaux des ouvrages sur l'amont et l'aval, proposer aux propriétaires d'ouvrages des informations et des orientations pour une gestion plus écologique. De même, quand les ouvrages produisent des impacts et des risques, ceux-ci peuvent être réduits par le retour de pratiques hydrauliques souvent conformes au règlement d'eau originel.

De nombreux exemples viennent à l'esprit :
  • connaissance des périodes clés des espèces (migrations, reproductions, etc.)
  • identification des zone de frayères, des lieux de nidification
  • gestion des marnages de la retenue et du bief, mise en repos saisonnière
  • choix des végétalisations de berge
  • régulation d'espèces invasives
  • bons réflexes en situation de crise (pollution aiguë, crue)
  • création d'annexes et zones humides
  • bon usage de certains embâcles
  • bonnes pratiques de travaux en milieu aquatique et humide
  • évitement de produits délétères pour le vivant
  • inventaires d'habitats et de biodiversité
  • comptage participatif de certaines espèces d'intérêt
Pourquoi laisser les propriétaires d'ouvrages dans l'ignorance de ces sujets, au lieu de les informer et de les faire participer? Pourquoi ne pas optimiser la biodiversité de retenues et de canaux, quand des actions parfois simples le permettent? Pourquoi ne pas profiter du fait qu'une diversion de l'eau permet aussi de créer et gérer des milieux?

Dans tous les domaines d'activité, on essaie aujourd'hui de conseiller les citoyens et usagers pour mieux agir dans leur rapport à l'environnement. Au lieu d'intervenir auprès des ouvrages hydrauliques en souhaitant leur disparition et en se désintéressant a priori de leurs milieux, les représentants de l'Etat, des établissements experts, des agences de l'eau et des syndicats doivent désormais produire un discours plus constructif et plus utile. Les associations de propriétaires et de riverains de ces ouvrages seraient alors les relais de l'action publique.

Illustrations : habitats et écoulements autour des ouvrages hydrauliques d'un moulin. La négation de la réalité des écosystèmes anthropisés est une position idéologique et dogmatique, alimentée par l'ignorance (aucune étude systématique n'a été menée en France pour évaluer sérieusement l'écologie des moulins, étangs et autres ouvrages).

A lire en complément
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes 
Eau, climat, vivant, paysage : s'engager pour les biens communs
Identifier, protéger, gérer les habitats aquatiques et humides du moulin 
Biefs, canaux et étangs sont des zones humides au sens de Ramsar 

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