Ce pourrait être le titre d'une fable moderne de La Fontaine. Une équipe de chercheurs et ingénieurs français montre que les silures organisent leur chasse au niveau d'une passe à poissons de la Garonne et consomment jusqu'à 35% des saumons se présentant dans le dispositif. Le silure est un poisson-chat géant originaire du Danube, introduit voici cinquante ans dans la plupart de nos eaux. Il représente donc une nouvelle menace pour les grands migrateurs déjà affectés par d'autres pressions (obstacles, pollutions, surpêche, pathogènes, pertes de frayères, réchauffement, changement de cycles océaniques). Cela pose question sur les choix publics, car cette énumération des menaces anciennes ou nouvelles signifie aussi une addition des coûts sociaux et économiques si l'on souhaitait revenir à des conditions antérieures sur toutes les rivières du pays. Combien doit-on et veut-on investir (ou perdre)? Pour quels résultats? Avec quel consentement des citoyens et quels enjeux pour eux? Car ces passes à poissons coûtent cher, surtout si elles devaient devenir de simples garde-manger pour espèces opportunistes...
Les principales causes historiques du déclin mondial des salmonidés sont la fragmentation des cours d'eau, la modification de l'habitat, l'acidification, la pollution et la surexploitation. Désormais,les changements climatiques et les espèces de poissons introduites sont aussi considérés comme des menaces potentielles, quoique moins bien connues.
Stéphanie Boulêtreau et ses 5 collègues (CNRS, université Toulouse, LNHE, EDF—R&D, Migado) ont analysé les comportements des silures vis-à-vis des saumons atlantique dans la Garonne.
Comme le remarquent ces auteurs, "les introductions de poissons prédateurs de grande taille qui se nourrissent au sommet des réseaux trophiques sont réputées pour avoir un impact sur les populations de poissons indigènes et modifier les assemblages de proies ainsi que la structure du réseau trophique. Un exemple bien connu est donné par l'introduction de la perche du Nil dans des lacs africains qui ont eu un impact négatif sur les populations de cichlidés et le réseau trophique par le biais d'effets descendants".
Largement introduit dans les années 1970, le silure (Silurus glanis) est un grand poisson-chat européen répandu dans les eaux douces d’Europe occidentale et méridionale. Il a établi des populations autonomes dans la plupart des grandes rivières. Les plus grands individus peuvent mesurer plus de 2,7 m de longueur et peser 130 kg. Le silure est un prédateur potentiel pour de nombreux poissons indigènes, y compris les migrateurs diadromes (vivant alternativement en eaux douces et salées dans leur cycle de vie, avec des migrations de plus ou moins longue distance entre ces milieux).
Dans ce travail, les chercheurs ont étudié le comportement de prédation des silures au niveau d'une passe à poissons. La Garonne s'étend sur 580 km de sa source dans les Pyrénées à l’océan Atlantique. Le complexe hydroélectrique Golfech-Malause a été construit en 1971 à environ 270 km de l'embouchure de la rivière, en aval de la confluence avec le Tarn. C'est le premier obstacle à la montaisons des anadromes. La centrale a été équipée en 1987 d’un ascenseur à poisson sur la rive droite du canal de fuite.
Un comptage vidéo installé en 1993 a permis d'observer le risque de prédation, et une analyse télémétrie RFID avec caméra acoustique de poisons taggés a été organisée pour analyser les stratégies du silure.
"Nos résultats démontrent un taux de prédation élevé (35% - 14/39 indindividus) sur le saumon à l'intérieur de la passe à poisson lors de la migration de la période de frai de 2016. Nos résultats suggèrent que quelques silures spécialisés ont adapté leur comportement de chasse à de telles proies, y compris leur présence synchronisée avec celle du saumon (c'est-à-dire davantage d'occurrences d'ici la fin de la journée). De tels résultats suggèrent que la propagation du silure pourrait avoir un impact sur la migration des espèces anadromes par le biais de systèmes anthropisés."
Le fait que le saumon a une activité à dominante diurne et le silure à dominante nocturne ne prévient donc pas cette forte prédation.
Discussion
Le cas de la Garonne n'est pas isolé pour ces constats de prédation des migrateurs par des silures. Une forte expansion du silure en bassin de Loire est aussi signalée depuis quelque temps, avec des consommations d'aloses, saumons, lamproies, mulets, flets variant notamment selon la taille des individus (voir par exemple cette note de Boisneau et Belhamiti 2015).
Cette étude de Stéphanie Boulêtreau et ses collègues rappelle que les poissons ont des capacités adaptatives et des stratégies alimentaires assez élaborées. Le barrage et la passe à poisson sont un système artificiel, pour lequel les poissons n'ont évidement pas reçu de pression sélective menant à un répertoire dédié de comportement : cela n'empêche pas les individus adultes des silures de repérer l'opportunité qu'il y a à se placer à des endroits stratégiques de la passe, pour surveiller les montaisons et dévalaisons. Habituellement méprisé en raison de son absence d'expression faciale familière pour l'homme, le poisson se révèle un animal doté d'une certaine vie intérieure!
Autre enseignement de l'étude : les espèces exotiques et invasives sont en train de changer peu à peu toutes les conditions du vivant. Jadis, seuls les océans et les airs étaient libres de barrières physiques. Désormais, depuis plusieurs millénaires mais avec une forte accélération depuis un siècle, des espèces sont introduites par l'homme dans tous les milieux terrestres. A court terme, nous observons surtout des proliférations ici ou là. Mais à long terme, ce sont toutes les cartes de l'évolution qui sont rebattues.
Comme souvent, l'étude pose question sur les choix publics. Pour certains, elle démontrera qu'il convient de démanteler tous les ouvrages des fleuves et rivières, conditions pour un retour garanti des grands migrateurs vers les têtes de bassin, puis une survie optimale de la progéniture retournant vers la mer. Pour d'autres, elles suggérera au contraire que la volonté de revenir à des conditions naturelles antérieures représente un coût et une contrainte considérables sur les usages humains de la rivière, donc que la politique de conservation des poissons migrateurs devrait se dédier à certains axes peu ou pas équipés, mais ne plus prétendre "renaturer" des systèmes ayant déjà changé et présentant désormais d'autres dynamiques.
Référence : Boulêtreau S et al (2018), Adult Atlantic salmon have a new freshwater predator, PLoS One, 13(4): e0196046.
Image : localisation de l'étude Boulêtreau et 2018 ci-dessus, organisation de la passe à poisson de Golfech sur la Garonne, droit de courte citation
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Comme le remarquent ces auteurs, "les introductions de poissons prédateurs de grande taille qui se nourrissent au sommet des réseaux trophiques sont réputées pour avoir un impact sur les populations de poissons indigènes et modifier les assemblages de proies ainsi que la structure du réseau trophique. Un exemple bien connu est donné par l'introduction de la perche du Nil dans des lacs africains qui ont eu un impact négatif sur les populations de cichlidés et le réseau trophique par le biais d'effets descendants".
Largement introduit dans les années 1970, le silure (Silurus glanis) est un grand poisson-chat européen répandu dans les eaux douces d’Europe occidentale et méridionale. Il a établi des populations autonomes dans la plupart des grandes rivières. Les plus grands individus peuvent mesurer plus de 2,7 m de longueur et peser 130 kg. Le silure est un prédateur potentiel pour de nombreux poissons indigènes, y compris les migrateurs diadromes (vivant alternativement en eaux douces et salées dans leur cycle de vie, avec des migrations de plus ou moins longue distance entre ces milieux).
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Un comptage vidéo installé en 1993 a permis d'observer le risque de prédation, et une analyse télémétrie RFID avec caméra acoustique de poisons taggés a été organisée pour analyser les stratégies du silure.
"Nos résultats démontrent un taux de prédation élevé (35% - 14/39 indindividus) sur le saumon à l'intérieur de la passe à poisson lors de la migration de la période de frai de 2016. Nos résultats suggèrent que quelques silures spécialisés ont adapté leur comportement de chasse à de telles proies, y compris leur présence synchronisée avec celle du saumon (c'est-à-dire davantage d'occurrences d'ici la fin de la journée). De tels résultats suggèrent que la propagation du silure pourrait avoir un impact sur la migration des espèces anadromes par le biais de systèmes anthropisés."
Le fait que le saumon a une activité à dominante diurne et le silure à dominante nocturne ne prévient donc pas cette forte prédation.
Discussion
Le cas de la Garonne n'est pas isolé pour ces constats de prédation des migrateurs par des silures. Une forte expansion du silure en bassin de Loire est aussi signalée depuis quelque temps, avec des consommations d'aloses, saumons, lamproies, mulets, flets variant notamment selon la taille des individus (voir par exemple cette note de Boisneau et Belhamiti 2015).
Cette étude de Stéphanie Boulêtreau et ses collègues rappelle que les poissons ont des capacités adaptatives et des stratégies alimentaires assez élaborées. Le barrage et la passe à poisson sont un système artificiel, pour lequel les poissons n'ont évidement pas reçu de pression sélective menant à un répertoire dédié de comportement : cela n'empêche pas les individus adultes des silures de repérer l'opportunité qu'il y a à se placer à des endroits stratégiques de la passe, pour surveiller les montaisons et dévalaisons. Habituellement méprisé en raison de son absence d'expression faciale familière pour l'homme, le poisson se révèle un animal doté d'une certaine vie intérieure!
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Référence : Boulêtreau S et al (2018), Adult Atlantic salmon have a new freshwater predator, PLoS One, 13(4): e0196046.
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