Le Ministère de l'Environnement a répondu (par copier-coller) à une dizaine de nouvelles interpellations des sénateurs sur la destruction des moulins au nom de la continuité écologique. On note une prise en compte timide du patrimoine, avec appel à concilier l'existence des moulins et la restauration de continuité écologique. Mais cette concession est purement formelle: la prose ministérielle reste emplie de nombreuses approximations, voire contre-vérités. Analyse de texte.
La réponse du Ministère peut par exemple être consultée à cette adresse. Elle est reproduite ci-dessous avec commentaires.
"La continuité écologique des cours d'eau constitue l'un des objectifs fixés par la directive Cadre sur l'eau. Elle est indispensable à la circulation des espèces mais également des sédiments."
La DCE 2000 se contente de signaler la "continuité de la rivière" dans son annexe V comme un des "éléments de qualité pour la classification de l'état écologique". L'absence de discontinuités d'origine anthropique y est désignée (1.2.1. Définitions normatives des états écologiques "très bon", "bon" et "moyen") comme une condition du "très bon état", et non du "bon état" qui est l'objectif recherché en priorité pour 100% des masses d'eau (nous en sommes loin en France). L'essentiel de la directive européenne est orienté sur la lutte contre les pollutions (mot cité 66 fois dans le texte contre 4 seulement pour la continuité), domaine où la France accuse divers retards (tant dans la mesure des pollutions chimiques que dans leur réduction). On cache donc aux parlementaire le message essentiel: les moyens humains, matériels et financiers dédiés à la continuité écologique (de l'ordre de 2 milliards d'euros pour le programme d'intervention en cours des Agences de l'eau) ne répondent pas aux enjeux prioritaires de la DCE 2000 vis-à-vis desquels la France risque des amendes en 2027, vu le retard déjà accumulé sur les objectifs de cette directive comme sur d'autres (nitrates, eaux résiduaires urbaines, pesticides). Atteignons déjà le bon état écologique et chimique tel qu'il est défini par des indicateurs de qualité posés avec nos partenaires européens, nous verrons ensuite l'opportunité d'améliorer localement les conditions de milieu de certaines espèces de poissons ou d'insectes (voir cet article sur ce que demande et ne demande pas l'Europe).
"La conciliation entre ce principe et l'existence de moulins, dont l'aspect patrimonial de certains est indéniable, est cependant un autre objectif à atteindre."
C'est une nouveauté dans le discours du Ministère. Mais on voit déjà pointer un motif de futures interprétations arbitraires: affirmer que l'aspect patrimonial de la plupart des moulins n'existe pas, pour n'en conserver que quelques-uns en "vitrine" sur chaque rivière. Il faut inverser plus clairement les priorités normatives et leurs effets réglementaires : la préservation des moulins et de leurs organes hydrauliques comme éléments d'histoire, de paysage et de gestion de la rivière doit devenir le choix de première intention sur les cours d'eau de notre pays, leur destruction restant l'exception, pour des raisons motivées.
"Ainsi, afin de pouvoir appréhender au mieux la situation actuelle, l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) a établi un inventaire des obstacles à l'écoulement de toutes sortes (barrages, buses, radiers de pont, etc.). Celui-ci recense plus de 80 000 obstacles. Parmi ceux-ci, un premier ordre de grandeur de 18 000 obstacles dont le nom contient le mot « moulin » peut être tiré. Moins de 6 000 d'entre eux se situent sur des cours d'eau où s'impose une obligation de restauration de la continuité écologique. Enfin, une partie d'entre eux sont de fait partiellement ou totalement détruits et d'autres sont déjà aménagés d'une passe-à-poissons ou correctement gérés et ne nécessitent pas d'aménagement supplémentaire."
Cette comptabilité approximative ("dont le nom contient moulin") est navrante : cela fait 10 ans que l'Onema travaille au ROE et l'on n'est toujours pas capable de définir clairement les ouvrages référencés selon les catégories désignées lors de l'étude de terrain (seuils, barrages, ponts, buses, écluses, etc.). Alors que le nombre des moulins français est estimé entre 50.000 et 80.000 (plus de 100.000 à leur extension maximale au XIXe siècle), il n'y en aurait plus que 18.000 dans cette nouvelle estimation totalement floue. Par ailleurs, cet argument est de mauvaise foi : tous les riverains constatent que les mesures de continuité écologique s'acharnent au premier chef sur les seuils et barrages de moulins, usines à eau ou étangs, et la disparition du paysage de plan d'eau permis par ces ouvrages est l'un des premiers motifs de désarroi des citoyens. Enfin, quelle proportion de moulins au juste a reçu un courrier du service instructeur DDT-Onema affirmant qu'il n'y a aucune mise en conformité à prévoir? Le Ministère continue son déni et son maquillage de la situation réelle sur le terrain.
"Ainsi, il apparait important d'indiquer que la politique de restauration de la continuité écologique ne vise pas la destruction de moulins. En effet, cette politique se fonde systématiquement sur une étude au cas par cas de toutes les solutions envisageables sur la base d'une analyse des différents enjeux concernés incluant l'usage qui est fait des ouvrages voire leur éventuelle dimension patrimoniale. Cette approche correspond à l'esprit des textes règlementaires sur le sujet, aucun n'ayant jamais prôné la destruction des seuils de moulins."
Ce que ne précise pas le Ministère aux parlementaires : les études de continuité écologique ne mobilisent quasiment jamais les compétences d'historiens susceptibles de donner un avis éclairé sur le patrimoine ; la solution d'effacement est ouvertement favorisée dans les circulaires de 2010 et de 2013 de la direction de l'eau et de la biodiversité ; les Agences de l'eau financent très généreusement les destructions (80 à 100%) mais beaucoup plus difficilement les solutions non destructrices, donc les propriétaires, exploitants, collectivités se retrouvent face à des travaux à coût pharaonique, dont ils ne peuvent payer le restant dû s'ils choisissent autre chose que la destruction totale ou partielle du bien (voir cet article sur les pratiques réelles, cet article sur la priorité à la destruction donnée par l'administration).
"Pour atteindre le bon état écologique et respecter les engagements de la France en matière de restauration des populations de poissons amphihalins vivant alternativement en eau douce et en eau salée, tels que le saumon, l'anguille ou l'alose, il est indispensable de mettre en œuvre des solutions de réduction des effets du cumul des ouvrages sur un même linéaire. C'est pourquoi, la politique de restauration de la continuité écologique des cours d'eau se fonde également sur la nécessité de supprimer certains ouvrages, particulièrement ceux qui sont inutiles et/ou abandonnés. Ce point ne concerne ni ne vise spécifiquement les seuils de moulins."
Le Ministère parle des migrateurs "amphihalins" : il oublie de signaler aux parlementaires que l'on détruit aussi bien des ouvrages pour la truite, le chabot, la lamproie de Planer, la vandoise, le brochet et autres espèces qui ne pratiquent nullement des migrations à longue distance entre deux milieux comme les saumons ou les anguilles, voire qui sont assez sédentaires car dépourvues de capacité importante de nage à contre-courant ou de saut (voir cet article sur l'habitude de ce genre de manipulation des parlementaires, à qui on parle saumons et esturgeons quand sur le terrain le discours est tout autre). L'interprétation locale de la continuité est souvent intégriste (renaturer de l'habitat, et non rétablir une fonctionnalité ; faire franchir toutes les espèces, et non des amphihalins menacés). Et cet intégrisme est couvert par les services instructeurs de l'Etat, quand il n'est pas encouragé par l'ancien Conseil supérieur de la pêche devenu Onema. Par ailleurs, cette réponse ministérielle revient à la notion d'ouvrage "inutile" ou "abandonné" qui peut être détruit. Qui va décréter l'inutilité d'un ouvrage? Comment ne pas voir que ces arguties sont des sources de futurs contentieux? (Voir cet article sur la notion problématique de moulin "sans usage"). Même quand les enquêtes publiques concluent à un avis défavorable à l'effacement suite notamment à la mobilisation des riverains (cas de l'Orge ou de l'Armançon cette année), les services de l'Etat passent en force et édictent des arrêtés pour démanteler malgré tout.
"Compte tenu des nombreuses réactions, notamment des fédérations de propriétaires de moulins et d'élus, dues surtout à des incompréhensions de cette politique, une instruction a été donnée le 9 décembre 2015 aux préfets afin qu'ils ne concentrent pas leurs efforts sur ces ouvrages chargés de cette dimension patrimoniale. Cette instruction les invite également à prendre des initiatives pédagogiques à partir des multiples situations de rétablissement de la continuité réalisées à la satisfaction de tous, y compris sur les moulins."
Huit effacements programmés en Nord Bourgogne à cet étiage pour zéro dispositif de franchissement: les belles paroles de la Ministre sur l'arrêt de la démolition du patrimoine ne s'incarnent pas sur le terrain où l'on poursuit la voie dogmatique de la destruction préférentielle des ouvrages et de l'absence de prise en charge publique pour les autres solutions. Quant à la "pédagogie", nom poli de la propagande d'Etat, nous lui préférons la démocratie: écouter ce que disent les riverains, déjà leur permettre de s'exprimer réellement dans les instances de programmation et de délibération, au lieu de les en exclure au profit de quelques associations choisies car elles répètent ce que dit le Ministère qui les subventionne. La politique de continuité écologique est fondée depuis dix ans sur un déni démocratique massif, avec exclusion des représentants de riverains et de moulins dans les comités de bassin, les commissions locales de l'eau, les comités de pilotage des contrats territoriaux, les consultations des MISEN, etc. Des petits conciliabules de "sachants" et "pratiquants" ayant tous la même idéologie imposent des solutions qui rencontrent rarement l'agrément des principaux concernés. On fait semblant d'écouter les gens, mais on ne prend jamais en compte leur avis s'il diverge de la solution définie à l'avance.
"Le groupe de travail organisé par le ministère de la culture et de la communication, dont le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer fait partie, ainsi que la mission du conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), devrait permettre d'affiner la connaissance sur le nombre de seuils de moulins véritablement concernés. Il devrait proposer également des pistes pour renforcer la concertation locale et la prise en compte adaptée de la dimension patrimoniale des moulins dans le cadre d'une diversité de solutions de conciliation avec l'enjeu de restauration de la continuité écologique des cours d'eau."
C'est pratique, le conditionnel ("devrait"), cela permet de repousser à demain les promesses que l'on ne tient pas aujourd'hui. Pour l'instant, le groupe de travail du CGEDD a échoué à faire signer aux acteurs une "charte des moulins" car les extrémistes des rivières sauvages (FNE, FNPF) ne veulent pas en entendre parler, et l'administration quant à elle refuse d'inscrire clairement le principe de non-destruction du patrimoine hydraulique français (hors motif grave de sécurité, salubrité ou mise en danger des milieux).
Conclusion : sur le dossier de la continuité écologique, l'administration n'est manifestement pas capable d'une autocritique sincère de ses échecs, de ses excès et ses égarements depuis 10 ans. Le blocage reste toujours le même : de 10.000 à 15.000 ouvrages devant être aménagés pour lesquels il n'y a pas de financement adapté hors la destruction. Les solutions existent, mais elles demandent une nouvelle philosophie de l'action en rivière : admettre que la restauration ou la modernisation du patrimoine hydraulique est une action d'intérêt général (au contraire de sa destruction qui ampute l'histoire, le paysage et le potentiel énergétique de nos rivières) ; assurer le financement public des mesures écologiques en se montrant beaucoup plus sélectif et rigoureux dans la définition des priorités hydromorphologiques et biologiques ; sortir de l'illusion d'un "retour à l'état naturel" des rivières anthropisées depuis 8 millénaires, dont les peuplements biologiques comme les transferts sédimentaires sont massivement et durablement modifiés par l'action humaine ; cibler les interventions sur les espèces menacées d'extinction et ayant des besoins de migration à longue distance, d'abord sur des bassins où ce besoin est relativement facile à satisfaire.
Illustration : le superbe étang de Bussières sur la Romanée, considéré comme un "obstacle à l'écoulement" par l'Onema, la DDT et le Parc du Morvan, menacé donc d'effacement (la rivière est en liste 2). Tant que l'administration et le gestionnaire ne changeront pas leur regard sur la réalité de la rivière anthropisée, tant que l'on dépensera l'argent public pour des gains environnementaux mal estimés et non garantis, tant que l'on choisira la voie paresseuse de la négation de l'intérêt du patrimoine au lieu de la recherche de sa valorisation pour faire face aux nouveaux défis énergétiques, climatiques et écologiques, le dialogue de sourds continuera avec les riverains attachés à la préservation des paysages ou des usages créés par les retenues.
La réponse du Ministère peut par exemple être consultée à cette adresse. Elle est reproduite ci-dessous avec commentaires.
"La continuité écologique des cours d'eau constitue l'un des objectifs fixés par la directive Cadre sur l'eau. Elle est indispensable à la circulation des espèces mais également des sédiments."
La DCE 2000 se contente de signaler la "continuité de la rivière" dans son annexe V comme un des "éléments de qualité pour la classification de l'état écologique". L'absence de discontinuités d'origine anthropique y est désignée (1.2.1. Définitions normatives des états écologiques "très bon", "bon" et "moyen") comme une condition du "très bon état", et non du "bon état" qui est l'objectif recherché en priorité pour 100% des masses d'eau (nous en sommes loin en France). L'essentiel de la directive européenne est orienté sur la lutte contre les pollutions (mot cité 66 fois dans le texte contre 4 seulement pour la continuité), domaine où la France accuse divers retards (tant dans la mesure des pollutions chimiques que dans leur réduction). On cache donc aux parlementaire le message essentiel: les moyens humains, matériels et financiers dédiés à la continuité écologique (de l'ordre de 2 milliards d'euros pour le programme d'intervention en cours des Agences de l'eau) ne répondent pas aux enjeux prioritaires de la DCE 2000 vis-à-vis desquels la France risque des amendes en 2027, vu le retard déjà accumulé sur les objectifs de cette directive comme sur d'autres (nitrates, eaux résiduaires urbaines, pesticides). Atteignons déjà le bon état écologique et chimique tel qu'il est défini par des indicateurs de qualité posés avec nos partenaires européens, nous verrons ensuite l'opportunité d'améliorer localement les conditions de milieu de certaines espèces de poissons ou d'insectes (voir cet article sur ce que demande et ne demande pas l'Europe).
"La conciliation entre ce principe et l'existence de moulins, dont l'aspect patrimonial de certains est indéniable, est cependant un autre objectif à atteindre."
C'est une nouveauté dans le discours du Ministère. Mais on voit déjà pointer un motif de futures interprétations arbitraires: affirmer que l'aspect patrimonial de la plupart des moulins n'existe pas, pour n'en conserver que quelques-uns en "vitrine" sur chaque rivière. Il faut inverser plus clairement les priorités normatives et leurs effets réglementaires : la préservation des moulins et de leurs organes hydrauliques comme éléments d'histoire, de paysage et de gestion de la rivière doit devenir le choix de première intention sur les cours d'eau de notre pays, leur destruction restant l'exception, pour des raisons motivées.
"Ainsi, afin de pouvoir appréhender au mieux la situation actuelle, l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) a établi un inventaire des obstacles à l'écoulement de toutes sortes (barrages, buses, radiers de pont, etc.). Celui-ci recense plus de 80 000 obstacles. Parmi ceux-ci, un premier ordre de grandeur de 18 000 obstacles dont le nom contient le mot « moulin » peut être tiré. Moins de 6 000 d'entre eux se situent sur des cours d'eau où s'impose une obligation de restauration de la continuité écologique. Enfin, une partie d'entre eux sont de fait partiellement ou totalement détruits et d'autres sont déjà aménagés d'une passe-à-poissons ou correctement gérés et ne nécessitent pas d'aménagement supplémentaire."
Cette comptabilité approximative ("dont le nom contient moulin") est navrante : cela fait 10 ans que l'Onema travaille au ROE et l'on n'est toujours pas capable de définir clairement les ouvrages référencés selon les catégories désignées lors de l'étude de terrain (seuils, barrages, ponts, buses, écluses, etc.). Alors que le nombre des moulins français est estimé entre 50.000 et 80.000 (plus de 100.000 à leur extension maximale au XIXe siècle), il n'y en aurait plus que 18.000 dans cette nouvelle estimation totalement floue. Par ailleurs, cet argument est de mauvaise foi : tous les riverains constatent que les mesures de continuité écologique s'acharnent au premier chef sur les seuils et barrages de moulins, usines à eau ou étangs, et la disparition du paysage de plan d'eau permis par ces ouvrages est l'un des premiers motifs de désarroi des citoyens. Enfin, quelle proportion de moulins au juste a reçu un courrier du service instructeur DDT-Onema affirmant qu'il n'y a aucune mise en conformité à prévoir? Le Ministère continue son déni et son maquillage de la situation réelle sur le terrain.
"Ainsi, il apparait important d'indiquer que la politique de restauration de la continuité écologique ne vise pas la destruction de moulins. En effet, cette politique se fonde systématiquement sur une étude au cas par cas de toutes les solutions envisageables sur la base d'une analyse des différents enjeux concernés incluant l'usage qui est fait des ouvrages voire leur éventuelle dimension patrimoniale. Cette approche correspond à l'esprit des textes règlementaires sur le sujet, aucun n'ayant jamais prôné la destruction des seuils de moulins."
Ce que ne précise pas le Ministère aux parlementaires : les études de continuité écologique ne mobilisent quasiment jamais les compétences d'historiens susceptibles de donner un avis éclairé sur le patrimoine ; la solution d'effacement est ouvertement favorisée dans les circulaires de 2010 et de 2013 de la direction de l'eau et de la biodiversité ; les Agences de l'eau financent très généreusement les destructions (80 à 100%) mais beaucoup plus difficilement les solutions non destructrices, donc les propriétaires, exploitants, collectivités se retrouvent face à des travaux à coût pharaonique, dont ils ne peuvent payer le restant dû s'ils choisissent autre chose que la destruction totale ou partielle du bien (voir cet article sur les pratiques réelles, cet article sur la priorité à la destruction donnée par l'administration).
"Pour atteindre le bon état écologique et respecter les engagements de la France en matière de restauration des populations de poissons amphihalins vivant alternativement en eau douce et en eau salée, tels que le saumon, l'anguille ou l'alose, il est indispensable de mettre en œuvre des solutions de réduction des effets du cumul des ouvrages sur un même linéaire. C'est pourquoi, la politique de restauration de la continuité écologique des cours d'eau se fonde également sur la nécessité de supprimer certains ouvrages, particulièrement ceux qui sont inutiles et/ou abandonnés. Ce point ne concerne ni ne vise spécifiquement les seuils de moulins."
Le Ministère parle des migrateurs "amphihalins" : il oublie de signaler aux parlementaires que l'on détruit aussi bien des ouvrages pour la truite, le chabot, la lamproie de Planer, la vandoise, le brochet et autres espèces qui ne pratiquent nullement des migrations à longue distance entre deux milieux comme les saumons ou les anguilles, voire qui sont assez sédentaires car dépourvues de capacité importante de nage à contre-courant ou de saut (voir cet article sur l'habitude de ce genre de manipulation des parlementaires, à qui on parle saumons et esturgeons quand sur le terrain le discours est tout autre). L'interprétation locale de la continuité est souvent intégriste (renaturer de l'habitat, et non rétablir une fonctionnalité ; faire franchir toutes les espèces, et non des amphihalins menacés). Et cet intégrisme est couvert par les services instructeurs de l'Etat, quand il n'est pas encouragé par l'ancien Conseil supérieur de la pêche devenu Onema. Par ailleurs, cette réponse ministérielle revient à la notion d'ouvrage "inutile" ou "abandonné" qui peut être détruit. Qui va décréter l'inutilité d'un ouvrage? Comment ne pas voir que ces arguties sont des sources de futurs contentieux? (Voir cet article sur la notion problématique de moulin "sans usage"). Même quand les enquêtes publiques concluent à un avis défavorable à l'effacement suite notamment à la mobilisation des riverains (cas de l'Orge ou de l'Armançon cette année), les services de l'Etat passent en force et édictent des arrêtés pour démanteler malgré tout.
"Compte tenu des nombreuses réactions, notamment des fédérations de propriétaires de moulins et d'élus, dues surtout à des incompréhensions de cette politique, une instruction a été donnée le 9 décembre 2015 aux préfets afin qu'ils ne concentrent pas leurs efforts sur ces ouvrages chargés de cette dimension patrimoniale. Cette instruction les invite également à prendre des initiatives pédagogiques à partir des multiples situations de rétablissement de la continuité réalisées à la satisfaction de tous, y compris sur les moulins."
Huit effacements programmés en Nord Bourgogne à cet étiage pour zéro dispositif de franchissement: les belles paroles de la Ministre sur l'arrêt de la démolition du patrimoine ne s'incarnent pas sur le terrain où l'on poursuit la voie dogmatique de la destruction préférentielle des ouvrages et de l'absence de prise en charge publique pour les autres solutions. Quant à la "pédagogie", nom poli de la propagande d'Etat, nous lui préférons la démocratie: écouter ce que disent les riverains, déjà leur permettre de s'exprimer réellement dans les instances de programmation et de délibération, au lieu de les en exclure au profit de quelques associations choisies car elles répètent ce que dit le Ministère qui les subventionne. La politique de continuité écologique est fondée depuis dix ans sur un déni démocratique massif, avec exclusion des représentants de riverains et de moulins dans les comités de bassin, les commissions locales de l'eau, les comités de pilotage des contrats territoriaux, les consultations des MISEN, etc. Des petits conciliabules de "sachants" et "pratiquants" ayant tous la même idéologie imposent des solutions qui rencontrent rarement l'agrément des principaux concernés. On fait semblant d'écouter les gens, mais on ne prend jamais en compte leur avis s'il diverge de la solution définie à l'avance.
"Le groupe de travail organisé par le ministère de la culture et de la communication, dont le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer fait partie, ainsi que la mission du conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), devrait permettre d'affiner la connaissance sur le nombre de seuils de moulins véritablement concernés. Il devrait proposer également des pistes pour renforcer la concertation locale et la prise en compte adaptée de la dimension patrimoniale des moulins dans le cadre d'une diversité de solutions de conciliation avec l'enjeu de restauration de la continuité écologique des cours d'eau."
C'est pratique, le conditionnel ("devrait"), cela permet de repousser à demain les promesses que l'on ne tient pas aujourd'hui. Pour l'instant, le groupe de travail du CGEDD a échoué à faire signer aux acteurs une "charte des moulins" car les extrémistes des rivières sauvages (FNE, FNPF) ne veulent pas en entendre parler, et l'administration quant à elle refuse d'inscrire clairement le principe de non-destruction du patrimoine hydraulique français (hors motif grave de sécurité, salubrité ou mise en danger des milieux).
Conclusion : sur le dossier de la continuité écologique, l'administration n'est manifestement pas capable d'une autocritique sincère de ses échecs, de ses excès et ses égarements depuis 10 ans. Le blocage reste toujours le même : de 10.000 à 15.000 ouvrages devant être aménagés pour lesquels il n'y a pas de financement adapté hors la destruction. Les solutions existent, mais elles demandent une nouvelle philosophie de l'action en rivière : admettre que la restauration ou la modernisation du patrimoine hydraulique est une action d'intérêt général (au contraire de sa destruction qui ampute l'histoire, le paysage et le potentiel énergétique de nos rivières) ; assurer le financement public des mesures écologiques en se montrant beaucoup plus sélectif et rigoureux dans la définition des priorités hydromorphologiques et biologiques ; sortir de l'illusion d'un "retour à l'état naturel" des rivières anthropisées depuis 8 millénaires, dont les peuplements biologiques comme les transferts sédimentaires sont massivement et durablement modifiés par l'action humaine ; cibler les interventions sur les espèces menacées d'extinction et ayant des besoins de migration à longue distance, d'abord sur des bassins où ce besoin est relativement facile à satisfaire.
Illustration : le superbe étang de Bussières sur la Romanée, considéré comme un "obstacle à l'écoulement" par l'Onema, la DDT et le Parc du Morvan, menacé donc d'effacement (la rivière est en liste 2). Tant que l'administration et le gestionnaire ne changeront pas leur regard sur la réalité de la rivière anthropisée, tant que l'on dépensera l'argent public pour des gains environnementaux mal estimés et non garantis, tant que l'on choisira la voie paresseuse de la négation de l'intérêt du patrimoine au lieu de la recherche de sa valorisation pour faire face aux nouveaux défis énergétiques, climatiques et écologiques, le dialogue de sourds continuera avec les riverains attachés à la préservation des paysages ou des usages créés par les retenues.