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Où sont passés les saumons de l’Atlantique ? (Dadswell et al 2022)

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Nous allons faire disparaître les obstacles des rivières (seuils, barrages), reconnecter des habitats fluviaux, et le saumon Atlantique reviendra à son abondance passée. Cette promesse majeure de la politique dite de continuité écologique est fondée sur une science du 20e siècle. Problème : cette vision est fausse. Dans un passage en revue critique de l’état des stocks de saumon Atlantique, des scientifiques montrent que si le saumon a souffert dans le passé des barrages, de la pollution et de la surexploitation de pêche continentale, ces causes n’expliquent pas le fort déclin observé depuis le milieu des années 1980, même dans des rivières sans obstacle, sans polluant et à pêche interdite ou très restreinte. L’hypothèse dominante retenue par ces chercheurs est une pression de la pêche illégale, non déclarée, non réglementée (INN), d’autant plus forte que le bassin de retour des saumons est situé loin du gyre subpolaire formant une étape de leur migration marine.


Illustration par Timothy Knepp, U.S. Fish and Wildlife Service.

La présence des saumons atlantiques adultes (Salmo salar Linnaeus, 1758), retournant dans les rivières autour de l'océan Atlantique Nord, a été étroitement surveillée depuis que les humains ont commencé à exploiter la ressource. Historiquement, les populations de saumon ont été très abondantes, même si les chroniques historiques évoquent des périodes de pénurie. L'examen des retours d'adultes au cours des 100 à 200 dernières années où nous disposons de chroniques historiques fiables et continues suggère qu'il existait un cycle naturel d'abondance annuelle, avec des quantités de saumons en rivière pouvant varier d’un facteur 10 entre les période d’abondance et les périodes de rareté. La quantité globale  de saumons a cependant décru régulièrement au fil du temps en raison de causes anthropiques connues (grands barrages, pollutions, surpêche). Mais, depuis les années 1980, une nouvelle baisse globale et mal expliquée est observée alors que les pressions anciennes se sont stabilisées ou ont régressé.

Sept spécialistes nord-américains et européens du saumon Atlantique ont publié un passage en revue critique des causes possibles de déclin récent du saumon Atlantique. Voici le résumé de leur étude :
« Les retours d'adultes dans de nombreux stocks de saumon atlantique sauvage et d'écloserie de l'Atlantique Nord ont diminué ou se sont effondrés depuis 1985. L'amélioration, les fermetures de la pêche commerciale et les restrictions de pêche à la ligne n'ont pas réussi à enrayer le déclin. Les impacts humains tels que les barrages, la pollution ou la surexploitation marine étaient responsables de certains déclins de stocks dans le passé, mais les retours d'adultes dans les stocks de rivières et d'écloseries sans impacts locaux évidents ont également diminué ou se sont effondrés depuis 1985. De nombreuses études ont postulé que la récente occurrence généralisée de faibles retours d'adultes peuvent être causés par le changement climatique, la salmoniculture, la disponibilité de nourriture en mer ou les prédateurs marins, mais ces possibilités ne sont pas soutenues par certains  stocks qui persistent près des niveaux historiques, la perte de stocks éloignés des sites d'élevage, un éventail de proies marines diversifié et la rareté des grands prédateurs du large. 

Le déclin et l'effondrement des stocks ont des caractéristiques communes : 1) les retours cycliques annuels d'adultes cessent, 2) les retours annuels d'adultes sont stables, 3) la taille moyenne des adultes diminue et 4) les effondrements de stocks se sont produits le plus tôt parmi les bassins versants éloignés du gyre subpolaire de l'Atlantique Nord (NASpG). Les montaisons annuelles cycliques d'adultes étaient communes à tous les stocks dans le passé qui n'étaient pas touchés par des changements anthropiques dans leurs cours d'eau natals. 

Une ligne plate d'abondance des adultes et une réduction de la taille moyenne des adultes sont des caractéristiques communes à de nombreux stocks de poissons surexploités et suggèrent une exploitation de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) en mer. L'éloignement de la NASpG entraînant une mortalité plus élevée des post-saumoneaux migrateurs augmenterait le risque d'effondrement de ces stocks dû à l'exploitation INN. Les prises accessoires de post-saumoneaux et d'adultes dans les pêches au chalut en couple au large de l'Europe et les captures d'adultes interceptés au large du Groenland, dans le golfe du Saint-Laurent et au large de l'Europe ont été des sources de mortalité marine, mais il semble peu probable qu'elles soient la principale cause de la déclin. La répartition dans le temps et dans l'espace des anciennes pêcheries hauturières légales indiquait que les pêcheurs connaissaient bien le schéma migratoire océanique du saumon et, combiné au manque de surveillance depuis 1985 en dehors des zones économiques exclusives ou dans les régions nordiques éloignées, cela pourrait signifier une mortalité élevée en mer à cause de la pêche INN. Le problème des pêcheries océaniques INN est aigu, a entraîné l'effondrement de nombreux stocks d'espèces recherchées dans le monde entier et est probablement lié au déclin et à l'effondrement imminent de la population de saumons de l'Atlantique Nord. »

Estimation de l'abondance avant la pêche (lignes pleines) et retours d'adultes (lignes pointillées ou tirets) de saumons atlantiques sauvages unibermarins (gris) et bibermarins (noir) en millions provenant du stock d'Amérique du Nord (AN), d'Europe du Nord (NE) et d'Europe du Sud (SE) dans l'Atlantique Nord entre 1971 et 2019. Extrait de Dadswell et al, art cit.

Le cas emblématique de deux rivières à bonnes conditions où le saumon décline malgré tout
Un exemple de ce qui est arrivé aux stocks de saumon dans certaines parties de l'Atlantique Nord est illustré par l'histoire récente de deux rivières tributaires de la baie de Fundy, au Canada. Il est utile de s’attarder sur le récit des chercheurs, car la description des actions menées sur ces bassins rappelle ce qui est fait en France depuis 50 ans de plans grands migrateurs, avec la même absence de résultat probant.

Voici ce qu’expliquent les chercheurs : 
« La rivière Upper Salmon (USR) et la rivière Point Wolfe (PWR) sont de petits bassins hydrographiques situés dans le parc national Fundy avec respectivement 10 et 23,3 km d'habitat du saumon accessible. Les rivières ont été endiguées à la tête de la marée dans les années 1800 à des fins d'exploitation forestière et leurs populations ont disparu. Après la création du parc en 1948, l'exploitation forestière a été interdite, les barrages sont tombés en désuétude et se sont finalement effondrés ou ont été enlevés.

Le cours supérieur de la rivière Upper Salmon est devenu accessible au saumon en 1954 et, en 1963, la population de la rivière était estimée à 100 adultes par les gardes du parc. La rivière a une eau extrêmement claire et les poissons sont visibles même dans les bassins les plus profonds depuis les hautes berges rocheuses. La réintroduction s'est probablement produite par divagation naturelle ou à partir d'une petite population survivante dans les affluents en aval de l'ancien barrage. Lorsque les premiers relevés scientifiques ont été menés de 1965 à 1968, on estimait que la montaison annuelle variait de 312 à 1 363 poissons. Pendant la période d'augmentation de la population, une pêche commerciale au saumon au filet dérivant existait encore dans la baie de Fundy et la pêche à la ligne dans la rivière était autorisée après 1965. Les prises à la ligne variaient de 4 à 113 poissons/an ou un taux d'exploitation de 1,1 à 27,5 %.

La rivière Point Wolfe n'était pas accessible au saumon jusqu'en 1984, lorsque les installations de franchissement du poisson ont été achevées au barrage à marée. L'ensemencement annuel de 42 000 alevins d'automne a été réalisé de 1982 à 1985 (Gibson et al. 2003).

Les montaisons annuelles d'adultes dans l’USR ont persisté à des niveaux durables jusqu'en 1985, mais la pêche à la ligne a été fermée en 1991, après que les montaisons annuelles eurent diminué rapidement. En 1998, des enquêtes sur les retours d'adultes ont révélé que la montaison de frai s'était effondrée avec peu ou pas de poissons. De petits nombres de retours d'adultes provenant de l'empoissonnement des REP ont été observés (peu de comptages disponibles) mais la montaison annuelle n'a jamais établi un niveau durable.

À partir de 2006, Canada Parks a lancé un effort concerté pour rétablir le saumon atlantique dans les deux rivières. Entre 2006 et 2017, un total de 968 670 tacons et 1 679 adultes élevés en écloserie ont été stockés dans les rivières et des pièges à vis, la surveillance des montaisons de smolts a capturé jusqu'à ∼ 2 000 smolts quittant les rivières chaque année. De 2011 à 2019, un total de 4 534 adultes de smolts capturés dans l’USR  ont été élevés jusqu'à maturité dans une ferme salmonicole marine et, une fois mûrs, relâchés dans la rivière pour frayer (∼400–900/an). (...) Bien que la production de juvéniles ait augmenté en raison de cet effort, en 2019, les retours d'adultes sauvages (3 en USR) n'avaient toujours pas augmenté de manière substantielle dans les deux rivières. »
Discussion
Les causes alléguées de déclin des saumons et d’autres grands migrateurs comme l’anguille (qui a connu le même effondrement dans les années 1980) sont nombreuses : surpêche en haute mer dans le cadre légal, acidification des océans, changement climatique, polluants émergents, salmoniculture, retour de prédateurs en conséquence de protection (phoques et cétacés par exemple). Mais aucune n’est convaincante pour Michael Dadswell et ses collègues, d’où l’hypothèse privilégiée par eux de la pêche illégale, non déclarée  et non réglementée. 

Nous ne savons pas si cette hypothèse se confirmera et il faudrait déjà mettre des moyens pour contrôler les effets de ces pêches océaniques dans la zone Atlantique nord. En revanche, le travail des chercheurs montre combien la politique publique des migrateurs en France est éloignée de l’état actuel de la réflexion scientifique. 

La guerre des seuils et des barrages lancée au nom de la continuité écologique est une représentation du 20e siècle, qui ne correspond plus à la réalité. Elle est en fait une redite des politiques halieutiques commencée au 19e siècle, comme nous l'avions exposé, sans réflexion de fond sur les nouvelles conditions à l'Anthropocène et en particulier la bifurcation sensible après le milieu du 20e siècle. Sans surprise, même sur les rivières ayant fait l’objet de politique saumon depuis longtemps, on n’assite pas au retour en masse du migrateur malgré des ouvertures de nouveaux habitats (voir nos articles sur la Loire, sur la Vire).  Cela signifie que l’argent public est mal dépensé à deux titres : d’une part, on se trompe sur les problèmes du saumon et on investit sur de mauvais chantiers, en particulier quand ils concernent des seuils anciens n’ayant jamais entravé historiquement le saumon (voir Merg et al 2020) ; d’autre part, en détruisant les ouvrages, on se prive de leurs services écosystémiques rendus à la société, en particulier leurs possibles usages pour la transition énergétique comme l’adaptation climatique et la régulation des niveaux d'eau.

Référence : Dadswell M et al (2022), The decline and impending collapse of the Atlantic Salmon (Salmo salar) population in the North Atlantic Ocean: A review of possible causes, Reviews in Fisheries Science & Aquaculture, 30,2, 215-258.

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