L'activité humaine modifie la nature, c'est mal. Supprimer les activités humaines respecte la nature, c'est bien. Effaçons le passé pour construire un avenir radieux. Ce discours simpliste et binaire est le fait non de quelques militants égarés mais des très officielles agences de l'eau sur leur nouveau site de propagande, En immersion. Il est consternent de diffuser au public un récit si pauvre de la rivière et une approche si caricaturale de l'écologie. Les agences étant le bras financier des politiques de l'eau, il sera difficile de faire croire à la possibilité d'une politique "apaisée" des rivières aménagées avec cette persistance de bureaucraties exprimant une idéologie de destruction des ouvrages hydrauliques et des apports de ces ouvrages à la société. Mais les riverains qui voient un peu partout les cours d'eau à sec sous les canicules commencent peut-être à comprendre où mènent ces divagations...
Voici ce que dit le site des agences de l'eau (italiques) dans sa page sur la restauration et nos commentaires.
« C’était mieux avant »… Une citation loin d’être applicable aux cours d’eau qui ne cessent d’être chamboulés depuis plusieurs siècles. Mais pourquoi vouloir changer l’ordre établi ? Pour le bien de tous !
La faute aux activités humaines !
Les cours d’eau sont aménagés par l’Homme depuis le Moyen-Âge et même avant. Mais c’est à partir du milieu du XIXe siècle, et surtout au XXe siècle, qu’ont été réalisés les aménagements les plus lourds et les plus étendus. C’était la solution pour satisfaire les besoins humains, avec les techniques et les connaissances de l’époque.
Cette description correspond toujours à des réalités: la plupart des rivières sont aménagées en Europe comme dans le monde, afin de répondre à divers besoins ou choix des sociétés humaines. L'aménagement des rivières a commencé dès le néolithique puisque l'humain sédentaire a dû maîtriser le cycle de l'eau pour son alimentation, son hygiène, son agriculture et son artisanat. Puis sont venus d'autres enjeux au fil de l'évolution de ces sociétés. Aujourd'hui, les enjeux majeurs sont la production d'énergie bas carbone, la gestion des aléas hydro-climatiques (crues, sécheresses), l'appropriation de l'eau par les territoires dans une logique de développement durableéquilibrant environnement, économie et société. L'idée qu'il existerait une communauté humaine sans aucune interaction avec les milieux en eau est évidement insoutenable : si l'agence de l'eau veut expliquer l'écologie au public, elle doit commencer par exposer les conclusions actuelles de l'écologie scientifique, à savoir que les milieux aquatiques et rivulaires sont modifiés depuis plusieurs millénaires par les activités humaines, qu'ils sont modifiés (en premier ordre) en proportion de la démographie et de le prospérité des sociétés. Enfin, les agences de l'eau désignent les aménagements du 20e siècle comme les plus lourds mais financent partout la destruction ou l'assèchement des aménagements d'ancien régime intégrés de longue date dans le milieu local (retenues et biefs de moulin, étang, canaux d'irrigation gravitaire, etc.). Ces milieux possèdent aussi des biodiversités et fonctionnalités, dont la négation conduit à des mauvaises politiques.
—
L'apparition de nouveaux problèmes
Rapidement, les pêcheurs se sont inquiétés des conséquences des barrages et des pollutions sur les poissons. Les progrès de la connaissance et l’évolution des sociétés ont ensuite montré que les rivières aménagées ne satisfaisaient pas durablement l’ensemble des besoins économiques et sociaux.
Les aménagements ont aussi pu créer de nouveaux problèmes : baisse de la capacité auto-épuratoire des rivières, dégâts plus importants lors des crues du fait des ruptures de digues, obstacles à la circulation des poissons (et notamment des poissons migrateurs), etc.
Le seul public cité comme exprimant un problème avec la rivière aménagée est celui des pêcheurs. Ce qui n'est que partiellement exact puisque les milieux aquatiques artificiels comme les étangs et les lacs sont co-gérés par des sociétés de pêche. Ce sont les lobbies de pêcheurs de salmonidés (migrateurs) qui ont surtout des problèmes avec les aménagements, en lien aux ruptures de continuité (barrage), mais ce sujet reste assez périphérique au plan de la représentativité sociale du public concerné. La baisse de la capacité épuratoire des rivières est une légende ou une "fake news" comme on dit aujourd'hui (ce qu'une agence de l'eau a fini par admettre après nos protestations à ce sujet) : la rivière n'a jamais été une station d'épuration où nous pourrions mettre sans dommage des toxiques, les ouvrages tendent en général à favoriser l'élimination de certains intrants, le fait de disperser plus vite des pollutions vers l'aval ou l'estuaire n'a guère d'intérêt. Quant à citer la rupture de digues comme "preuve" qu'elles ne remplissent pas leur rôle anti-crue, c'est une mauvaise foi évidente: autant dire que le vélo, la voiture, le train ou l'avion n'apportent aucun bénéfice de transport car de temps en temps ils provoquent des accidents! En réalité, la gestion des crues et sécheresses a toujours fait appel à des aménagements, c'est une des raisons pour lesquelles les profils actuels de nos bassins versants n'ont plus rien de "naturels" au sens de non modifiés par les humains dans l'histoire. Et l'actualité nous rappelle tristement ce que signifie l'absence de maîtrise de l'eau en situation d'aggravation des sécheresses et des vagues de chaleur.
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Une réhabilitation nécessaire
L’artificialisation des rivières nous oblige aujourd’hui à intervenir pour restituer tout ou partie les services dégradés par les aménagements, parfois au prix d’impacts financiers, économiques et sociaux très élevés. En outre, face au dérèglement climatique, redonner un fonctionnement naturel aux rivières apparaît comme une mesure tout à fait pragmatique. C’est la garantie de bénéficier le plus possible des services gratuits rendus par la nature et rendre ainsi nos territoires plus résilients.
Là encore, ces assertions sont des arguments d'autorité sans logique. Le fait d'avoir une rivière dite "naturelle" dont on a supprimé les ouvrages fait disparaître les avantages économiques, sociaux et écologiques issus de ces ouvrages, comme l'irrigation, la navigation, l'énergie, le soutien d'étiage, l'agrément paysager, les loisirs, le rafraîchissement local de l'air ambiant, la biodiversité propre aux milieux anthropisés. De nombreux travaux de recherche montrent ces réalités, un passage en revue récent de la littérature scientifique a énuméré ces services rendus (Clifford et Hefferman 2018). L'analyse des services rendus par les écosystèmes montre aussi que l'aménagement raisonné de ces écosystèmes fait partie des services valorisés par les humains. Affirmer sans preuve que la société tire des bénéfices de la destruction des aménagements qu'elle a créés ne peut constituer un discours public, à moins que ce discours devienne un charabia militant.
Conclusion : les agences de l'eau s'enferment dans une propagande qui vise à diffuser une idéologie administrative, celle de la "renaturation" des milieux aquatiques. Cette idéologie est sans rapport aucun avec la manière dont la loi définit la gestion équilibrée et durable de l'eau, donc l'intérêt général des citoyens. Elle est sans rapport non plus avec l'évolution de la connaissance scientifique, qui ne valide plus des oppositions stériles entre rivières naturelles et rivières aménagées, solutions fondées sur la nature et solutions fondées sur la technique. Elle est enfin issue des choix de fonctionnaires non élus, dont on se demande pourquoi ils se permettent ainsi de réécrire les normes et d'imposer leur vision des cadres de vie. La démocratie de l'eau doit être restaurée autant que la qualité de l'eau, ce qui passe par un contrôle réel des élus sur les administrations et par une représentation correcte de la société dans les comités de bassin des agences de l'eau.
A lire en complément
Un dossier de 100 références scientifiques pour faire connaître et protéger les ouvrages hydrauliques et leurs milieux
"Les experts sont formels"... mais quels experts? Au service de quels pouvoirs, quelles idéologies, quels intérêts?
Des scientifiques rédigent un livre pour alerter sur certaines dérives de l'écologie des rivières en France
L'idéologie du retour à la nature est simpliste et vit dans le déni des milieux humains
Défragmenter les rivières? 25 enjeux pour le faire intelligemment
"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)
Faiblesse scientifique, dimension subjective et résultats incertains des chantiers de restauration de rivière en France (Morandi et al 2014)
Lire notre rubrique "agence de l'eau" pour la chronique des résultats médiocres et dérives nombreuses de ces établissements administratifs.
Lire notre rubrique "idées reçues" pour des réponses détaillées et référencées aux assertions fausses ou incomplètes du discours public sur les ouvrages en rivière.
Voici ce que dit le site des agences de l'eau (italiques) dans sa page sur la restauration et nos commentaires.
« C’était mieux avant »… Une citation loin d’être applicable aux cours d’eau qui ne cessent d’être chamboulés depuis plusieurs siècles. Mais pourquoi vouloir changer l’ordre établi ? Pour le bien de tous !
La faute aux activités humaines !
Les cours d’eau sont aménagés par l’Homme depuis le Moyen-Âge et même avant. Mais c’est à partir du milieu du XIXe siècle, et surtout au XXe siècle, qu’ont été réalisés les aménagements les plus lourds et les plus étendus. C’était la solution pour satisfaire les besoins humains, avec les techniques et les connaissances de l’époque.
- navigation
- régulation des crues
- production d’énergie
- adduction d’eau
- aménagement agricole et urbain du territoire
Cette description correspond toujours à des réalités: la plupart des rivières sont aménagées en Europe comme dans le monde, afin de répondre à divers besoins ou choix des sociétés humaines. L'aménagement des rivières a commencé dès le néolithique puisque l'humain sédentaire a dû maîtriser le cycle de l'eau pour son alimentation, son hygiène, son agriculture et son artisanat. Puis sont venus d'autres enjeux au fil de l'évolution de ces sociétés. Aujourd'hui, les enjeux majeurs sont la production d'énergie bas carbone, la gestion des aléas hydro-climatiques (crues, sécheresses), l'appropriation de l'eau par les territoires dans une logique de développement durableéquilibrant environnement, économie et société. L'idée qu'il existerait une communauté humaine sans aucune interaction avec les milieux en eau est évidement insoutenable : si l'agence de l'eau veut expliquer l'écologie au public, elle doit commencer par exposer les conclusions actuelles de l'écologie scientifique, à savoir que les milieux aquatiques et rivulaires sont modifiés depuis plusieurs millénaires par les activités humaines, qu'ils sont modifiés (en premier ordre) en proportion de la démographie et de le prospérité des sociétés. Enfin, les agences de l'eau désignent les aménagements du 20e siècle comme les plus lourds mais financent partout la destruction ou l'assèchement des aménagements d'ancien régime intégrés de longue date dans le milieu local (retenues et biefs de moulin, étang, canaux d'irrigation gravitaire, etc.). Ces milieux possèdent aussi des biodiversités et fonctionnalités, dont la négation conduit à des mauvaises politiques.
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L'apparition de nouveaux problèmes
Rapidement, les pêcheurs se sont inquiétés des conséquences des barrages et des pollutions sur les poissons. Les progrès de la connaissance et l’évolution des sociétés ont ensuite montré que les rivières aménagées ne satisfaisaient pas durablement l’ensemble des besoins économiques et sociaux.
Les aménagements ont aussi pu créer de nouveaux problèmes : baisse de la capacité auto-épuratoire des rivières, dégâts plus importants lors des crues du fait des ruptures de digues, obstacles à la circulation des poissons (et notamment des poissons migrateurs), etc.
Le seul public cité comme exprimant un problème avec la rivière aménagée est celui des pêcheurs. Ce qui n'est que partiellement exact puisque les milieux aquatiques artificiels comme les étangs et les lacs sont co-gérés par des sociétés de pêche. Ce sont les lobbies de pêcheurs de salmonidés (migrateurs) qui ont surtout des problèmes avec les aménagements, en lien aux ruptures de continuité (barrage), mais ce sujet reste assez périphérique au plan de la représentativité sociale du public concerné. La baisse de la capacité épuratoire des rivières est une légende ou une "fake news" comme on dit aujourd'hui (ce qu'une agence de l'eau a fini par admettre après nos protestations à ce sujet) : la rivière n'a jamais été une station d'épuration où nous pourrions mettre sans dommage des toxiques, les ouvrages tendent en général à favoriser l'élimination de certains intrants, le fait de disperser plus vite des pollutions vers l'aval ou l'estuaire n'a guère d'intérêt. Quant à citer la rupture de digues comme "preuve" qu'elles ne remplissent pas leur rôle anti-crue, c'est une mauvaise foi évidente: autant dire que le vélo, la voiture, le train ou l'avion n'apportent aucun bénéfice de transport car de temps en temps ils provoquent des accidents! En réalité, la gestion des crues et sécheresses a toujours fait appel à des aménagements, c'est une des raisons pour lesquelles les profils actuels de nos bassins versants n'ont plus rien de "naturels" au sens de non modifiés par les humains dans l'histoire. Et l'actualité nous rappelle tristement ce que signifie l'absence de maîtrise de l'eau en situation d'aggravation des sécheresses et des vagues de chaleur.
—
Une réhabilitation nécessaire
L’artificialisation des rivières nous oblige aujourd’hui à intervenir pour restituer tout ou partie les services dégradés par les aménagements, parfois au prix d’impacts financiers, économiques et sociaux très élevés. En outre, face au dérèglement climatique, redonner un fonctionnement naturel aux rivières apparaît comme une mesure tout à fait pragmatique. C’est la garantie de bénéficier le plus possible des services gratuits rendus par la nature et rendre ainsi nos territoires plus résilients.
Là encore, ces assertions sont des arguments d'autorité sans logique. Le fait d'avoir une rivière dite "naturelle" dont on a supprimé les ouvrages fait disparaître les avantages économiques, sociaux et écologiques issus de ces ouvrages, comme l'irrigation, la navigation, l'énergie, le soutien d'étiage, l'agrément paysager, les loisirs, le rafraîchissement local de l'air ambiant, la biodiversité propre aux milieux anthropisés. De nombreux travaux de recherche montrent ces réalités, un passage en revue récent de la littérature scientifique a énuméré ces services rendus (Clifford et Hefferman 2018). L'analyse des services rendus par les écosystèmes montre aussi que l'aménagement raisonné de ces écosystèmes fait partie des services valorisés par les humains. Affirmer sans preuve que la société tire des bénéfices de la destruction des aménagements qu'elle a créés ne peut constituer un discours public, à moins que ce discours devienne un charabia militant.
Conclusion : les agences de l'eau s'enferment dans une propagande qui vise à diffuser une idéologie administrative, celle de la "renaturation" des milieux aquatiques. Cette idéologie est sans rapport aucun avec la manière dont la loi définit la gestion équilibrée et durable de l'eau, donc l'intérêt général des citoyens. Elle est sans rapport non plus avec l'évolution de la connaissance scientifique, qui ne valide plus des oppositions stériles entre rivières naturelles et rivières aménagées, solutions fondées sur la nature et solutions fondées sur la technique. Elle est enfin issue des choix de fonctionnaires non élus, dont on se demande pourquoi ils se permettent ainsi de réécrire les normes et d'imposer leur vision des cadres de vie. La démocratie de l'eau doit être restaurée autant que la qualité de l'eau, ce qui passe par un contrôle réel des élus sur les administrations et par une représentation correcte de la société dans les comités de bassin des agences de l'eau.
A lire en complément
Un dossier de 100 références scientifiques pour faire connaître et protéger les ouvrages hydrauliques et leurs milieux
"Les experts sont formels"... mais quels experts? Au service de quels pouvoirs, quelles idéologies, quels intérêts?
Des scientifiques rédigent un livre pour alerter sur certaines dérives de l'écologie des rivières en France
L'idéologie du retour à la nature est simpliste et vit dans le déni des milieux humains
Défragmenter les rivières? 25 enjeux pour le faire intelligemment
"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)
Faiblesse scientifique, dimension subjective et résultats incertains des chantiers de restauration de rivière en France (Morandi et al 2014)
Lire notre rubrique "agence de l'eau" pour la chronique des résultats médiocres et dérives nombreuses de ces établissements administratifs.
Lire notre rubrique "idées reçues" pour des réponses détaillées et référencées aux assertions fausses ou incomplètes du discours public sur les ouvrages en rivière.