Une équipe franco-belge de chercheurs a étudié l'impact sédimentaire des déversoirs anciens sur une petite rivière de Wallonie, le Bocq. Pas moins de 74 ouvrages sont présents sur la rivière, les plus anciens datant du 14e siècle. L'analyse montre que l'impact des déversoirs est très limité spatialement, volumétriquement et en nature des sédiments concernés. Le vieillissement des structures tend à restaurer des transits complets. Ce résultat n'est en rien une surprise pour les riverains de ces ouvrages, qui constatent au fil des crues que le transit des sédiments n'y est pas bloqué. C'est une contradiction scientifique supplémentaire des dogmes de l'administration française sur le soi-disant impact grave des moulins et étangs de nos bassins versants.
Les études sur les grands barrages ont montré que ceux-ci modifient la morphologie de la rivière, notament en retenant des grands volumes de sédiments de toutes dimensions (des vases aux blocs rocheux) dans leurs réservoirs. Mais ces barrages ont des propriétés spécifiques : haute dimension, grand volume de retenue, ancrage sur toute la largeur du lit majeur. Qu'en est-il est des petits ouvrages (moulins, étangs, seuils anti-affouillement) qui sont bien plus nombreux sur les rivières?
Pour le savoir, Alexandre Peeters et ses collègues (université de Paris-CNRS et de Liège UR SPHERES) ont étudié une petite rivière de Wallonie (Belgique), le Bocq. Sa pente est de 2% en moyenne, sa puissance de 30 W/m2. Les ouvrages de cette rivière, dont certains datant du 14e siècle, sont caractéristiques des sites anciens que l'on trouve sur les cours d'eau européens (cf image ci-dessus, extrait de Peeters et al 2020 art cit). La hauteur des ouvrages va de 40 à 230 cm. Les vannes, quand elles sont présentes, ne sont pas souvent manoeuvrées en raison de l'absence d'usage. Certaines ont disparu.
Voici le résumé de leur travail :
"La restauration du transfert actif de la charge de fond dans les rivières touchées par l'homme a reçu une attention croissante ces dernières années, notamment en réponse à la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE), qui exige que la continuité des rivières ne soit pas perturbée par des caractéristiques anthropiques telles que les barrages ou les déversoirs.
La rivière Bocq (233 km2), un cours d'eau à gradient modéré en Wallonie, en Belgique, possède une ressource hydraulique qui était auparavant largement exploitée avec 74 déversoirs (jusqu'à 2,3 m de haut) sur 43 km. Nous avons examiné les effets de sept anciens déversoirs abandonnés sur le transport de la charge de fond pour trois types de déversoirs différents (définis par la présence et la position du système d'écluse).
Premièrement, les estimations de volume de la charge de lit stockée dans les réservoirs indiquent que, malgré leur vieillesse, les réservoirs n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% remplis par rapport à la capacité volumique du réservoir) et n'ont pas beaucoup évolué depuis 1989-1990. Deuxièmement, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit en amont, en aval et à l'intérieur des réservoirs, et les mesures directes du transport des sédiments (particules de scories et cailloux marqués PIT) ont démontré que la charge de fond continue d'être transportée hors du réservoir, même si le piégeage sélectif d’éléments plus grossiers a été observée à l’intérieur du réservoir. Des particules dans la plage de la médiane peuvent passer sur la crête des déversoirs, mais les éléments les plus grossiers ont tendance à rester dans les réservoirs. Cet effet de piégeage est atténué lorsque le déversoir a des vannes de chasse ouvertes ou effondrées qui facilitent le transfert de la charge de fond. Cela indique que les déversoirs agissent comme des barrières qui laissent passer la charge de fond, bien que le cadre géomorphologique individuel joue un rôle principal dans la détermination de la continuité locale des sédiments.
Ces résultats suggèrent que la connectivité de la rivière est moins affectée qu'on ne le pensait initialement et qu'elle est susceptible d'augmenter au fil du temps à mesure que les vieux déversoirs tombent progressivement en ruine. Cela doit être reconnu lors de la planification des projets d'élimination des obstacles."
Dans leur travail, les auteurs détaillent :
"Les vieux déversoirs abandonnés dans cette étude n'agissent pas complètement comme des pièges à sédiments, et une grande partie de l'approvisionnement grossier en charge de fond peut passer à travers les déversoirs et continuer à être transportée hors du réservoir. Cela a été démontré en estimant les volumes de sédiments stockés dans sept réservoirs, qui n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% par rapport à la capacité volumique du réservoir). Ce volume n'a pas beaucoup évolué depuis 1989-1990 pour les trois déversoirs étudiés en détail. De plus, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit et l'évaluation des concentrations de particules de scories menées en amont et en aval des réservoirs suggèrent que la charge du lit continue d'être transportée hors du réservoir, à l'exception des clastes plus grossiers piégés dans la partie centrale du réservoir. La partie en aval des réservoirs présentait une rampe à sédiments en pente douce qui facilitait le passage de sédiments de fond de lit plus fins sur la crête du déversoir."
Les chercheurs concluent : "sur 74 déversoirs présents le long du cours de 43 km de la rivière Bocq, seuls 34 d'entre eux représentent encore un obstacle potentiel à la continuité de la charge de fond. Nos résultats indiquent que ces 34 barrières potentielles ne perturbent pas complètement le transfert de la charge de lit. À tout le moins, ils l'empêchent partiellement en raison d'un ralentissement du transport de la charge de lit et d'un piégeage sélectif des éléments les plus grossiers. Par conséquent, l'évaluation de l'effet cumulatif des déversoirs sur la connectivité des rivières à plus grande échelle est une tâche complexe."
Discussion
Les résultats d'Alexandre Peeters et des co-auteurs ne sont pas une surprise pour les riverains des moulins et autres petits ouvrages hydrauliques des rivières. L'examen visuel de ces ouvrages montre que les variations sédimentaires sont très localisées et que les lits aval de la rivière ne sont pas dénués de charge de fond à diverses granulométries. En période de crue, ces ouvrages sont en général noyés et contournés par le flux liquide portant cette charge solide. Leurs réservoirs, de volume modeste, ne sont que partiellement remplis. L'ensemble de ces caractéristiques ne suggère en rien une altération grave des fonctionnalités physiques de la rivière. Par ailleurs outre le diagnostic de site, ce sont les pratiques sur les bassins versants qui changent aussi la charge et la nature des sédiments venant à la rivière. Des reprises forestières ou au contraire des artificialisations (constructions, cultures) vont modifier le flux des sédiments, à diverses échelles de temps, ce qui suppose une étude dynamique et historique du bassin versant (voir le texte de Jean-Paul Bravard, spécialiste de cette question).
Les conclusions de cette recherche sont évidemment très éloignées de la tentative de diabolisation des petits ouvrages hydrauliques par l'administration française et par certains lobbies. On a dit aux élus et aux riverains que ces ouvrages avaient des impacts graves sans jamais mesurer (sauf exception) la réalité sédimentaire et sans relativiser son sens. Encore moins en s'interrogeant sur les finalité de l'action publique, les métriques superficielles et jargons autoréférents d'une certaine écologie d'Etat remplaçant le débat démocratique sur ce que les riverains attendent finalement d'un cours d'eau. Sortons au plus vite de ces errements, qui mènent à dépenser de l'argent public sur des enjeux écologiques mineurs ou inexistants, mais aussi à détruire un patrimoine d'intérêt pour beaucoup.
Référence : Peeters A et al (2020), Can coarse bedload pass through weirs?, Geomorphology, 359, 107131
Les études sur les grands barrages ont montré que ceux-ci modifient la morphologie de la rivière, notament en retenant des grands volumes de sédiments de toutes dimensions (des vases aux blocs rocheux) dans leurs réservoirs. Mais ces barrages ont des propriétés spécifiques : haute dimension, grand volume de retenue, ancrage sur toute la largeur du lit majeur. Qu'en est-il est des petits ouvrages (moulins, étangs, seuils anti-affouillement) qui sont bien plus nombreux sur les rivières?
Pour le savoir, Alexandre Peeters et ses collègues (université de Paris-CNRS et de Liège UR SPHERES) ont étudié une petite rivière de Wallonie (Belgique), le Bocq. Sa pente est de 2% en moyenne, sa puissance de 30 W/m2. Les ouvrages de cette rivière, dont certains datant du 14e siècle, sont caractéristiques des sites anciens que l'on trouve sur les cours d'eau européens (cf image ci-dessus, extrait de Peeters et al 2020 art cit). La hauteur des ouvrages va de 40 à 230 cm. Les vannes, quand elles sont présentes, ne sont pas souvent manoeuvrées en raison de l'absence d'usage. Certaines ont disparu.
Voici le résumé de leur travail :
"La restauration du transfert actif de la charge de fond dans les rivières touchées par l'homme a reçu une attention croissante ces dernières années, notamment en réponse à la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE), qui exige que la continuité des rivières ne soit pas perturbée par des caractéristiques anthropiques telles que les barrages ou les déversoirs.
La rivière Bocq (233 km2), un cours d'eau à gradient modéré en Wallonie, en Belgique, possède une ressource hydraulique qui était auparavant largement exploitée avec 74 déversoirs (jusqu'à 2,3 m de haut) sur 43 km. Nous avons examiné les effets de sept anciens déversoirs abandonnés sur le transport de la charge de fond pour trois types de déversoirs différents (définis par la présence et la position du système d'écluse).
Premièrement, les estimations de volume de la charge de lit stockée dans les réservoirs indiquent que, malgré leur vieillesse, les réservoirs n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% remplis par rapport à la capacité volumique du réservoir) et n'ont pas beaucoup évolué depuis 1989-1990. Deuxièmement, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit en amont, en aval et à l'intérieur des réservoirs, et les mesures directes du transport des sédiments (particules de scories et cailloux marqués PIT) ont démontré que la charge de fond continue d'être transportée hors du réservoir, même si le piégeage sélectif d’éléments plus grossiers a été observée à l’intérieur du réservoir. Des particules dans la plage de la médiane peuvent passer sur la crête des déversoirs, mais les éléments les plus grossiers ont tendance à rester dans les réservoirs. Cet effet de piégeage est atténué lorsque le déversoir a des vannes de chasse ouvertes ou effondrées qui facilitent le transfert de la charge de fond. Cela indique que les déversoirs agissent comme des barrières qui laissent passer la charge de fond, bien que le cadre géomorphologique individuel joue un rôle principal dans la détermination de la continuité locale des sédiments.
Ces résultats suggèrent que la connectivité de la rivière est moins affectée qu'on ne le pensait initialement et qu'elle est susceptible d'augmenter au fil du temps à mesure que les vieux déversoirs tombent progressivement en ruine. Cela doit être reconnu lors de la planification des projets d'élimination des obstacles."
Dans leur travail, les auteurs détaillent :
"Les vieux déversoirs abandonnés dans cette étude n'agissent pas complètement comme des pièges à sédiments, et une grande partie de l'approvisionnement grossier en charge de fond peut passer à travers les déversoirs et continuer à être transportée hors du réservoir. Cela a été démontré en estimant les volumes de sédiments stockés dans sept réservoirs, qui n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% par rapport à la capacité volumique du réservoir). Ce volume n'a pas beaucoup évolué depuis 1989-1990 pour les trois déversoirs étudiés en détail. De plus, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit et l'évaluation des concentrations de particules de scories menées en amont et en aval des réservoirs suggèrent que la charge du lit continue d'être transportée hors du réservoir, à l'exception des clastes plus grossiers piégés dans la partie centrale du réservoir. La partie en aval des réservoirs présentait une rampe à sédiments en pente douce qui facilitait le passage de sédiments de fond de lit plus fins sur la crête du déversoir."
Les chercheurs concluent : "sur 74 déversoirs présents le long du cours de 43 km de la rivière Bocq, seuls 34 d'entre eux représentent encore un obstacle potentiel à la continuité de la charge de fond. Nos résultats indiquent que ces 34 barrières potentielles ne perturbent pas complètement le transfert de la charge de lit. À tout le moins, ils l'empêchent partiellement en raison d'un ralentissement du transport de la charge de lit et d'un piégeage sélectif des éléments les plus grossiers. Par conséquent, l'évaluation de l'effet cumulatif des déversoirs sur la connectivité des rivières à plus grande échelle est une tâche complexe."
Discussion
Les résultats d'Alexandre Peeters et des co-auteurs ne sont pas une surprise pour les riverains des moulins et autres petits ouvrages hydrauliques des rivières. L'examen visuel de ces ouvrages montre que les variations sédimentaires sont très localisées et que les lits aval de la rivière ne sont pas dénués de charge de fond à diverses granulométries. En période de crue, ces ouvrages sont en général noyés et contournés par le flux liquide portant cette charge solide. Leurs réservoirs, de volume modeste, ne sont que partiellement remplis. L'ensemble de ces caractéristiques ne suggère en rien une altération grave des fonctionnalités physiques de la rivière. Par ailleurs outre le diagnostic de site, ce sont les pratiques sur les bassins versants qui changent aussi la charge et la nature des sédiments venant à la rivière. Des reprises forestières ou au contraire des artificialisations (constructions, cultures) vont modifier le flux des sédiments, à diverses échelles de temps, ce qui suppose une étude dynamique et historique du bassin versant (voir le texte de Jean-Paul Bravard, spécialiste de cette question).
Les conclusions de cette recherche sont évidemment très éloignées de la tentative de diabolisation des petits ouvrages hydrauliques par l'administration française et par certains lobbies. On a dit aux élus et aux riverains que ces ouvrages avaient des impacts graves sans jamais mesurer (sauf exception) la réalité sédimentaire et sans relativiser son sens. Encore moins en s'interrogeant sur les finalité de l'action publique, les métriques superficielles et jargons autoréférents d'une certaine écologie d'Etat remplaçant le débat démocratique sur ce que les riverains attendent finalement d'un cours d'eau. Sortons au plus vite de ces errements, qui mènent à dépenser de l'argent public sur des enjeux écologiques mineurs ou inexistants, mais aussi à détruire un patrimoine d'intérêt pour beaucoup.
Référence : Peeters A et al (2020), Can coarse bedload pass through weirs?, Geomorphology, 359, 107131
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