En plein été (habitude de discrétion sans doute), le ministre de l'écologie modifie par décret la définition d'un obstacle à la continuité écologique en liste 1. Son objectif : empêcher toute construction d'ouvrages dans ces rivières et même les réfections d'ouvrages abîmés, au contraire de ce qu'était la jurisprudence du conseil d'Etat de 2015. Encore une volée de normes pointilleuses, en large partie ineptes, dont l'interprétation douteuse sera laissée à l'arbitraire de l'administration (on notera au passage que le barrage de castor contrevient à ces nouvelles règles...). C'est toujours le même processus à l'oeuvre: une bureaucratie non élue interprète comme elle veut les lois et détourne comme elle veut les avis de justice. Il lui suffit d'élaborer à son bon plaisir de nouveaux textes depuis un bureau. L'idée de "continuité apaisée" ne fait même plus sourire par son hypocrisie : cette anti-démocratie de l'eau sécrète les conflits par son arbitraire permanent, puisque le citoyen ne peut réellement compter ni sur le pouvoir parlementaire ni sur le pouvoir judiciaire pour réguler une bureaucratie aquatique hors-contrôle.
Le décret qui vient d'être publié au JORF n'a tenu aucun compte des réserves formulées lors du recueil de l'avis du public. Son objectif est de contourner la jurisprudence du conseil d'Etat (défavorable au ministère de l'écologie) pour "geler" complètement les rivières en liste 1 et empêcher leur équipement hydro-électrique. Dans sa décision de 2015 (annulant une disposition d'une circulaire de 2013 sur le classement des cours d'eau), le conseil d'Etat avait demandé à l'administration de statuer sur chaque dépôt de projet hydro-électrique en liste 1 au lieu de prétendre que tout projet y est interdit par principe. Il n'y avait nul besoin de réécrire l'article R 214-109 du code de l'environnement pour satisfaire cette demande des conseillers d'Etat: il suffisait (par exemple) pour le ministère de l'écologie d'instruire les services de la nécessité d'accepter un projet pourvu qu'il prévoit un dispositif de dégravage, un dispositif de franchissement et un dispositif d'ichtyocmpatibilité sur les espèces cibles de la rivière. Mais ce n'est pas, bien entendu, l'idéologie du ministère.
Nous reproduisons ci-dessous un extrait du courrier que nous avions écrit à Edouard Philippe en 2017 lors du recueil d'avis du public (l'analyse vaut toujours) – une lettre sans effet, de même que notre saisine du Premier Ministre sur la Sélune. Résumons : la promesse d'arrêt de la complexification des normes: un mensonge; la promesse de respect des avis des populations locale suite à Notre-Dame-des-Landes: un mensonge; la promesse d'accélérer la transition énergétique: un mensonge. Si le comportement de l'Etat central est le même dans les domaines que ne suit pas notre association, on ne s'étonnera guère de la plongée abyssale de confiance envers les décideurs du système jacobin, de la multiplication des conflits et des contentieux, de la lente sécession des territoires...
Article R214-109 code environnement, version ancienne
Constitue un obstacle à la continuité écologique, au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 et de l'article R. 214-1, l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants :
1° Il ne permet pas la libre circulation des espèces biologiques, notamment parce qu'il perturbe significativement leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri ;
2° Il empêche le bon déroulement du transport naturel des sédiments ;
3° Il interrompt les connexions latérales avec les réservoirs biologiques ;
4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques.
Article R214-109 code environnement, version nouvelle
I. Constituent un obstacle à la continuité écologique, dont la construction ne peut pas être autorisée sur les cours d’eau classés au titre du 1° du I de l’article L. 214-17, les ouvrages suivants :
1° les seuils ou les barrages en lit mineur de cours d'eau atteignant ou dépassant le seuil d'autorisation du 2° de la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1, et tout autre ouvrage qui perturbe significativement la libre circulation des espèces biologiques vers les zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri, y compris en faisant disparaître ces zones ;
Ne sont pas concernés les seuils ou barrages à construire pour la sécurisation des terrains en zone de montagne dont le diagnostic préalable du projet conclut à l’absence d’alternative ;
2° les ouvrages qui empêchent le bon déroulement du transport naturel des sédiments ;
3° les ouvrages qui interrompent les connexions latérales, avec les réservoirs biologiques, les frayères et les habitats des annexes hydrauliques, à l’exception de ceux relevant de la rubrique 3.2.6.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 en l’absence d’alternative permettant d’éviter cette interruption ;
4° les ouvrages qui affectent substantiellement l'hydrologie des cours d'eau, à savoir la quantité, la variabilité, la saisonnalité des débits et la vitesse des écoulements. Entrent dans cette catégorie, les ouvrages qui ne laissent à leur aval immédiat que le débit minimum biologique prévu à l’article L.214-18, une majeure partie de l’année.
II.-Est assimilée à la construction d'un nouvel ouvrage au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 la reconstruction d'un ouvrage entrant dans l'un des cas mentionnés au I lorsque :
-soit l'ouvrage est abandonné ou ne fait plus l'objet d'un entretien régulier, et est dans un état de dégradation tel qu'il n'exerce plus qu'un effet négligeable sur la continuité écologique ;
-soit l'ouvrage est fondé en titre et sa ruine est constatée en application de l'article R. 214-18-1.
N'est pas assimilée à la construction d'un nouvel ouvrage la reconstruction d'un ouvrage détruit accidentellement et intervenant dans un délai raisonnable.
Par la simple longueur des textes, il est déjà manifeste que la nouvelle version est plus complexe que la précédente. Mais le diable se cache dans les détails, et la véritable complexité de cette disposition se situe dans les discrets ajouts normatifs qui y figurent.
On admire au passage quelques aberrations dignes d'un stagiaire davantage que d'un ministère, comme l'expression "espèces biologiques" (la libre circulation des espèces non biologiques de rivière est un mystère).
Sur le fond :
La philosophie de cette démarche est donc déplorable : au lieu de dire clairement soit que l'on interdit tout nouvel ouvrage sur certaines rivières de haut intérêt écologique (ce qui peut se concevoir dans le cadre d'une réforme motivée de la loi), soit qu'on les autorise avec des mesures balisées (une passe à poissons, une vanne de dégravage), le ministère s'engage dans une casuistique obscure, qui fait manifestement tout pour décourager les initiatives mais sans le reconnaître expressément.
Quoiqu'il en soit, cette mesure d'expansion normative est évidemment de nature à augmenter la complexité des dossiers des porteurs de projet d'ouvrage hydrauliques, de même qu'elle aboutira à multiplier les conflits d'interprétation (déjà fort nombreux) entre l'administration, les usagers et les riverains.
Source : Décret n° 2019-827 du 3 août 2019 modifiant diverses dispositions du code de l'environnement relatives à la notion d'obstacle à la continuité écologique et au débit à laisser à l'aval des ouvrages en rivière
Le décret qui vient d'être publié au JORF n'a tenu aucun compte des réserves formulées lors du recueil de l'avis du public. Son objectif est de contourner la jurisprudence du conseil d'Etat (défavorable au ministère de l'écologie) pour "geler" complètement les rivières en liste 1 et empêcher leur équipement hydro-électrique. Dans sa décision de 2015 (annulant une disposition d'une circulaire de 2013 sur le classement des cours d'eau), le conseil d'Etat avait demandé à l'administration de statuer sur chaque dépôt de projet hydro-électrique en liste 1 au lieu de prétendre que tout projet y est interdit par principe. Il n'y avait nul besoin de réécrire l'article R 214-109 du code de l'environnement pour satisfaire cette demande des conseillers d'Etat: il suffisait (par exemple) pour le ministère de l'écologie d'instruire les services de la nécessité d'accepter un projet pourvu qu'il prévoit un dispositif de dégravage, un dispositif de franchissement et un dispositif d'ichtyocmpatibilité sur les espèces cibles de la rivière. Mais ce n'est pas, bien entendu, l'idéologie du ministère.
Nous reproduisons ci-dessous un extrait du courrier que nous avions écrit à Edouard Philippe en 2017 lors du recueil d'avis du public (l'analyse vaut toujours) – une lettre sans effet, de même que notre saisine du Premier Ministre sur la Sélune. Résumons : la promesse d'arrêt de la complexification des normes: un mensonge; la promesse de respect des avis des populations locale suite à Notre-Dame-des-Landes: un mensonge; la promesse d'accélérer la transition énergétique: un mensonge. Si le comportement de l'Etat central est le même dans les domaines que ne suit pas notre association, on ne s'étonnera guère de la plongée abyssale de confiance envers les décideurs du système jacobin, de la multiplication des conflits et des contentieux, de la lente sécession des territoires...
Article R214-109 code environnement, version ancienne
Constitue un obstacle à la continuité écologique, au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 et de l'article R. 214-1, l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants :
1° Il ne permet pas la libre circulation des espèces biologiques, notamment parce qu'il perturbe significativement leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri ;
2° Il empêche le bon déroulement du transport naturel des sédiments ;
3° Il interrompt les connexions latérales avec les réservoirs biologiques ;
4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques.
Article R214-109 code environnement, version nouvelle
I. Constituent un obstacle à la continuité écologique, dont la construction ne peut pas être autorisée sur les cours d’eau classés au titre du 1° du I de l’article L. 214-17, les ouvrages suivants :
1° les seuils ou les barrages en lit mineur de cours d'eau atteignant ou dépassant le seuil d'autorisation du 2° de la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1, et tout autre ouvrage qui perturbe significativement la libre circulation des espèces biologiques vers les zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri, y compris en faisant disparaître ces zones ;
Ne sont pas concernés les seuils ou barrages à construire pour la sécurisation des terrains en zone de montagne dont le diagnostic préalable du projet conclut à l’absence d’alternative ;
2° les ouvrages qui empêchent le bon déroulement du transport naturel des sédiments ;
3° les ouvrages qui interrompent les connexions latérales, avec les réservoirs biologiques, les frayères et les habitats des annexes hydrauliques, à l’exception de ceux relevant de la rubrique 3.2.6.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 en l’absence d’alternative permettant d’éviter cette interruption ;
4° les ouvrages qui affectent substantiellement l'hydrologie des cours d'eau, à savoir la quantité, la variabilité, la saisonnalité des débits et la vitesse des écoulements. Entrent dans cette catégorie, les ouvrages qui ne laissent à leur aval immédiat que le débit minimum biologique prévu à l’article L.214-18, une majeure partie de l’année.
II.-Est assimilée à la construction d'un nouvel ouvrage au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 la reconstruction d'un ouvrage entrant dans l'un des cas mentionnés au I lorsque :
-soit l'ouvrage est abandonné ou ne fait plus l'objet d'un entretien régulier, et est dans un état de dégradation tel qu'il n'exerce plus qu'un effet négligeable sur la continuité écologique ;
-soit l'ouvrage est fondé en titre et sa ruine est constatée en application de l'article R. 214-18-1.
N'est pas assimilée à la construction d'un nouvel ouvrage la reconstruction d'un ouvrage détruit accidentellement et intervenant dans un délai raisonnable.
Par la simple longueur des textes, il est déjà manifeste que la nouvelle version est plus complexe que la précédente. Mais le diable se cache dans les détails, et la véritable complexité de cette disposition se situe dans les discrets ajouts normatifs qui y figurent.
On admire au passage quelques aberrations dignes d'un stagiaire davantage que d'un ministère, comme l'expression "espèces biologiques" (la libre circulation des espèces non biologiques de rivière est un mystère).
Sur le fond :
- on passe dans le 1° d'un empêchement de circulation à diverses possibilités de perturbation significative (ce qui est opaque et sujet à interprétations sans fin);
- on ajoute dans le 1° la notion d'une possible disparition de zone de reproduction, croissance, alimentation ou abri, disposition qui en soi peut empêcher toute construction d'ouvrage car l'hydrologie spécifique d'une zone de retenue (créée par cet ouvrage) sera toujours favorable à certaines espèces mais aussi défavorables à d'autres, même sur une surface modeste;
- on ajoute dans le 3° à la notion de réservoirs biologiques (elle-même déjà très floue dans la pratique) la notion de connexion latérale à des frayères ou des annexes hydrauliques;
- on intègre dans le 4° la notion de vitesse à la définition de la modification de l'hydrologie d'un cours d'eau, or par définition cette vitesse change toujours au droit d'un ouvrage, même de très petite dimension;
- on élargit ce 4° à tout cours d'eau et non pas aux seuls réservoirs biologiques;
- on crée un II dans lequel non seulement la construction d'un ouvrage est concernée, mais aussi désormais la réfection d'un ouvrage existant;
- on reconduit dans ce processus les éléments déjà problématiques de la définition existante (par exemple, comment allons-nous nous accorder pour définir ce que serait un "bon déroulement" de limons, sables, graviers dans une rivière? Est-ce l'arbitraire interprétatif de l'agent instructeur qui va le définir? Ou alors l'Etat va-t-il publier un guide détaillé des volumes de sédiments transitant normalement au-dessus de chaque ouvrage ou dans chaque vanne, cela sur chaque rivière?)
La philosophie de cette démarche est donc déplorable : au lieu de dire clairement soit que l'on interdit tout nouvel ouvrage sur certaines rivières de haut intérêt écologique (ce qui peut se concevoir dans le cadre d'une réforme motivée de la loi), soit qu'on les autorise avec des mesures balisées (une passe à poissons, une vanne de dégravage), le ministère s'engage dans une casuistique obscure, qui fait manifestement tout pour décourager les initiatives mais sans le reconnaître expressément.
Quoiqu'il en soit, cette mesure d'expansion normative est évidemment de nature à augmenter la complexité des dossiers des porteurs de projet d'ouvrage hydrauliques, de même qu'elle aboutira à multiplier les conflits d'interprétation (déjà fort nombreux) entre l'administration, les usagers et les riverains.
Source : Décret n° 2019-827 du 3 août 2019 modifiant diverses dispositions du code de l'environnement relatives à la notion d'obstacle à la continuité écologique et au débit à laisser à l'aval des ouvrages en rivière