Une étude montre que la mortalité des jeunes saumons par turbine hydro-électrique n'est pas une fatalité : elle est réduite à des taux nuls à très faibles (ente 0 et 1,8%) dans les sites protégés par des grilles fines, l'essentiel des poissons passant par les exutoires de libre dévalaison. Cette estimation est conservatrice dans la méthodologie utilisée, donc la mortalité accidentelle peut être considérée comme quasi-réduite à néant. C'est une bonne nouvelle pour les objectifs carbone de notre pays, une recherche récente ayant montré qu'au moins 25 000 sites de moulins et forges sont rapidement équipables, outre des étangs en lit mineur et de nombreux barrages d'usage non énergétique (navigation, irrigation, eau potable).
Diminuer la mortalité liée au passage des poissons dans les turbines hydro-électriques est un souci déjà ancien. Les barrières physiques, comme les grilles bloquant le poisson avant la chambre d'eau ou la conduite forcée, et les barrières comportementales, comme des émetteurs de bruit ou d'ondes électriques, ont été testées, les premières donnant en général plus de résultats.
Sylvie Tomanova et ses collègues (AFB-IMFT-Université de Toulouse-CNRS, EDF R&D Hydro, Ecogea) ont étudié quatre sites de production hydro-électrique dotés de grilles fines : Auterrive (Gave d'Oloron, 9,5 m3/s), Trois-Villes (Saison, 4,1 m3/s), Gotein (Saison, 6,7 m3/s) et Halsou (Nove, 30 m3/s).
Voici la synthèse de leurs résultats :
"La restauration de la connectivité longitudinale des rivières est en train de devenir une priorité de la conservation dans les pays où le développement des centrales hydroélectriques est élevé. De nouvelles solutions de dévalaison pour le poisson sont en cours d'installation dans les centrales hydro-électriques (CHE) de petite et moyenne dimensions en France, et une évaluation précise de leur fonctionnalité est nécessaire.
Nous avons abordé ici l’efficacité des systèmes de protection de la migration vers laval des jeunes saumons Atlantique dans quatre CHE (trois racks inclinés horizontalement à 26° et un à 15° par rapport à l'axe de flux dans l’alignement des rives, tous avec des barres espacées de 20 mm). Entre 239 et 300 saumoneaux d'élevage ont été marqués par transpondeur et relâchés en 5 à 6 groupes à 100 m en amont de chaque CHE étudiée. Leurs passages à travers les centrales ont été détectés avec une antenne d'identification par radiofréquence (RFID) dans les dérivations pour la migration en aval et en amont.
En moyenne, entre 82,8% et 92,3% des smolts relâchés ont réussi à passer la CHE par l’un des deux itinéraires autres que les turbines. L'efficacité moyenne du passage en dérivation ainsi obtenue variait de 80,9 à 87,5% et tous les groupes de poissons atteignaient une efficacité de passage supérieure à 70%. À l'exception d'un site, 50% des saumoneaux ont traversé la voie de dérivation en moins de 23 minutes après leur libération et 75% d'entre eux en moins de 2 h 15 min. En combinant nos résultats avec les taux d'entraînement des poissons précédemment estimés dans le canal d'amenée et les taux de mortalité liés aux turbines, nous avons évalué la survie globale des poissons aux barrages / CHE étudiés, qui se situe entre 98,24% et près de 100%. Nos résultats confirment les critères de conception recommandés pour les racks inclinés et orientés et l'intérêt des dispositifs testés pour la protection des smolts en dévalaison."
Il faut noter que la survie des poissons sans système de protection serait déjà assez élevée selon le modèle des auteurs : 99,9% à Auterrive, 93,1% à Trois-Villes, 92,7% à Gotein et 86,4% à Halsou, comme le montre ce tableau de synthèse (cliquer pour agrandir).
Mais dans la perspective d'un équipement énergétique plus systématique des rivières, la mortalité cumulée peut devenir importante même si elle est modeste à chaque site. Parvenir à des mortalités quasi-nulles est donc un objectif souhaitable, et cela permettrait d'éliminer certaines objections couramment avancées sur les risques liés à l'équipement des ouvrages hydro-électriques.
Discussion
La méthode ici utilisée définit l’efficacité minimale des exutoires, en dehors de période de montée des eaux avec surverses sur le barrage (c'est souvent dans ces conditions de "coup d'eau" que le poisson dévale). L’efficacité nous paraît aussi minimale car l’hypothèse de travail est que les poissons non détectés sont passés par la turbine (en soi, il est possible qu'ils ne dévalent pas et restent dans le canal, qu'ils remontent dans le cours d’eau, qu'ils soient l’objet de prédation, etc.). Il est nécessaire de tester les efficacités d’autres configurations de grille et d’autres types d’exutoires, afin de recherche le meilleur coût économique tout en préservant la mortalité minimale. Le fait que sur certains sites, la présence ou l'absence de protection ne changent quasiment pas la mortalité (99,9% versus 99,98% de survie à Auterrive par exemple) doit inciter à poursuivre ces travaux d'analyse. Il serait en particulier nécessaire d'analyser des sites de petites puissances (5-50 kW) formant 95% du potentiel hydro-électrique français non encore utilisé, soit plus de 25 000 sites à équiper en première intention en France (Punys et al 2019).
Les turbines sont en général les dispositifs les plus efficaces pour produire de l'électricité dès qu'on dépasse 1,5 m de chute, même si les moulins, forges et petits sites choisissent parfois des systèmes moins impactants pour les poissons comme les roues, les vis d'Archimède ou les hydroliennes. Etant à la foi favorables à l'équipement hydroélectrique du maximum de sites en rivières et à la protection des milieux, nous ne pouvons que souhaiter le progrès dans ces prises d'eau ichtyocompatibles. Il y a bien sûr une limite à ces barrières physiques : plus les grilles sont fines, plus il y a de turbulence et de perte de charge, moins la centrale hydro-électrique produit. Le colmatage des grilles devient aussi trop difficile à gérer quand l'écartement se réduit. Néanmoins, on doit pouvoir parvenir à des compromis sur chaque typologie de site. Il faut continuer ces travaux d'analyse, tester les comportements et les mortalités des poissons en situations réelles, définir des bonnes pratiques conciliant les rationalités économiques et écologiques.
Référence : Tomanova S et al (2018), Protecting efficiently sea-migrating salmon smolts from entering hydropower plant turbines with inclined or oriented low bar spacing racks, Ecological Engineering, 122, 143–152.
La configuration de l'un des sites étudiés. Image extraite de Tomanova et al 2018.
Sylvie Tomanova et ses collègues (AFB-IMFT-Université de Toulouse-CNRS, EDF R&D Hydro, Ecogea) ont étudié quatre sites de production hydro-électrique dotés de grilles fines : Auterrive (Gave d'Oloron, 9,5 m3/s), Trois-Villes (Saison, 4,1 m3/s), Gotein (Saison, 6,7 m3/s) et Halsou (Nove, 30 m3/s).
Voici la synthèse de leurs résultats :
"La restauration de la connectivité longitudinale des rivières est en train de devenir une priorité de la conservation dans les pays où le développement des centrales hydroélectriques est élevé. De nouvelles solutions de dévalaison pour le poisson sont en cours d'installation dans les centrales hydro-électriques (CHE) de petite et moyenne dimensions en France, et une évaluation précise de leur fonctionnalité est nécessaire.
Nous avons abordé ici l’efficacité des systèmes de protection de la migration vers laval des jeunes saumons Atlantique dans quatre CHE (trois racks inclinés horizontalement à 26° et un à 15° par rapport à l'axe de flux dans l’alignement des rives, tous avec des barres espacées de 20 mm). Entre 239 et 300 saumoneaux d'élevage ont été marqués par transpondeur et relâchés en 5 à 6 groupes à 100 m en amont de chaque CHE étudiée. Leurs passages à travers les centrales ont été détectés avec une antenne d'identification par radiofréquence (RFID) dans les dérivations pour la migration en aval et en amont.
En moyenne, entre 82,8% et 92,3% des smolts relâchés ont réussi à passer la CHE par l’un des deux itinéraires autres que les turbines. L'efficacité moyenne du passage en dérivation ainsi obtenue variait de 80,9 à 87,5% et tous les groupes de poissons atteignaient une efficacité de passage supérieure à 70%. À l'exception d'un site, 50% des saumoneaux ont traversé la voie de dérivation en moins de 23 minutes après leur libération et 75% d'entre eux en moins de 2 h 15 min. En combinant nos résultats avec les taux d'entraînement des poissons précédemment estimés dans le canal d'amenée et les taux de mortalité liés aux turbines, nous avons évalué la survie globale des poissons aux barrages / CHE étudiés, qui se situe entre 98,24% et près de 100%. Nos résultats confirment les critères de conception recommandés pour les racks inclinés et orientés et l'intérêt des dispositifs testés pour la protection des smolts en dévalaison."
Il faut noter que la survie des poissons sans système de protection serait déjà assez élevée selon le modèle des auteurs : 99,9% à Auterrive, 93,1% à Trois-Villes, 92,7% à Gotein et 86,4% à Halsou, comme le montre ce tableau de synthèse (cliquer pour agrandir).
Extrait de Tomanova et al 2018, art cit.
Discussion
La méthode ici utilisée définit l’efficacité minimale des exutoires, en dehors de période de montée des eaux avec surverses sur le barrage (c'est souvent dans ces conditions de "coup d'eau" que le poisson dévale). L’efficacité nous paraît aussi minimale car l’hypothèse de travail est que les poissons non détectés sont passés par la turbine (en soi, il est possible qu'ils ne dévalent pas et restent dans le canal, qu'ils remontent dans le cours d’eau, qu'ils soient l’objet de prédation, etc.). Il est nécessaire de tester les efficacités d’autres configurations de grille et d’autres types d’exutoires, afin de recherche le meilleur coût économique tout en préservant la mortalité minimale. Le fait que sur certains sites, la présence ou l'absence de protection ne changent quasiment pas la mortalité (99,9% versus 99,98% de survie à Auterrive par exemple) doit inciter à poursuivre ces travaux d'analyse. Il serait en particulier nécessaire d'analyser des sites de petites puissances (5-50 kW) formant 95% du potentiel hydro-électrique français non encore utilisé, soit plus de 25 000 sites à équiper en première intention en France (Punys et al 2019).
Référence : Tomanova S et al (2018), Protecting efficiently sea-migrating salmon smolts from entering hydropower plant turbines with inclined or oriented low bar spacing racks, Ecological Engineering, 122, 143–152.