Quelle politique publique des ouvrages en rivière et de la continuité écologique reflétant à la fois l'état des connaissances et celui des aspirations démocratiques? Voici 10 positions qui devraient selon nous organiser les choix d'orientation du gouvernement et des décideurs locaux, plus particulièrement les débats en cours au comité national de l'eau. Ce sont autant de préalables à une gestion apaisée et efficace de la continuité, sans lesquels la réforme persistera non seulement dans sa conflictualité sociale et judiciaire actuelle, mis aussi dans des choix qui ont de mauvais rapport coût-efficacité, voire des effets dommageables sur la biodiversité, la pollution, la transition énergétique et l'adaptation au changement climatique.
Reconnaître les dimensions multiples de l'eau. La rivière et les plans d'eau sont des phénomènes naturels - physique, chimique, biologique, écologique - existant avant l'homme mais ils sont également au coeur de la vie et des activités humaines depuis la sédentarisation. La recherche a parlé des "hydro-éco-socio-systèmes" pour qualifier cette réalité hybride à la croisée de l'histoire, de la société et de la nature. Si certains bassins versants ont été peu occupés ou tôt délaissés par l'être humain, offrant aujourd'hui le visage d'une "naturalité" assez spontanée dont la protection écologique forte peut être d'intérêt, ce n'est pas le cas commun. Une politique publique vise la gestion équilibrée et durable de ces milieux aquatiques, en acceptant par principe que les enjeux environnementaux, sociaux et économiques doivent être pensés ensemble, de manière synergique et non pas antagoniste.
Respecter les ouvrages autorisés. Sauf cas de construction illégale, les ouvrages aujourd'hui présents en rivière sont des ouvrages autorisés. Comme tels, ils ont droit au respect de la propriété inscrit dans la constitution. La continuité écologique ne consiste pas à mener des campagnes de contestation de leur existence en vue de les détruire, mais à rechercher des moyens de gestion ou équipement au meilleur coût-efficacité pour améliorer la circulation des poissons et le transit des sédiments. En conséquence, aucune politique publique ne peut partir du principe que la destruction des ouvrages hydrauliques serait une solution supérieurement financée (agences de l'eau) ou proposée en première intention (EPAGE, EPTB).
Assurer la circulation des poissons migrateurs. La continuité écologique a été construite sur le premier objectif de protéger certains poissons ayant des besoins de migrations dans les rivières. La plupart des poissons d'eau douce ont des cycles de vie compatibles avec des aires limitées de nourriture, croissance, reproduction, et donc compatibles avec la fragmentation des rivières qui est en partie naturelle dans l'histoire de l'environnement (chutes et cascades, barrages de castors et d'embâcles, etc.). La continuité écologique s'adresse d'abord aux exigences biologiques de poissons ayant besoin de migrations à longue distance, en particulier les espèces menacées faisant l'objet de plans de protection (anguille, saumon, esturgeon). La circulation ouverte à toutes espèces est une option de mieux-disant halieutique, comportant parfois des désavantages (exotiques, pathogènes), mais elle ne doit pas être la requête de principe sur chaque ouvrage.
Gérer le transit des sédiments au cas par cas. Les dynamiques sédimentaires permettent des apports solides et des habitats variés dans le lit des rivières. Elles sont très variables selon les évolutions et les usages des bassins versants, qui répondent encore aujourd'hui à des pressions vieilles de plusieurs siècles. En raison de la déprise agricole et de la reforestation, certains bassins sont plutôt en déficit d'apport sédimentaire par l'érosion, et en phase d'incision. Ailleurs, les labours mécanisés ont pu augmenter la charge des sédiments fins dans les rivières. De plus, les sédiments (comme l'eau) portent la mémoire des pollutions persistantes liées aux activités humaines passées ou présentes, y compris celles liées à l'urbanisation et à l'usage des produits chimiques de synthèse. La gestion sédimentaire relève donc du cas par cas, avec une approche impérativement définie par bassin versant, en fonction de la quantité et qualité de la charge solide, ainsi que celle des polluants.
Prendre en compte la biomasse et la biodiversité au droit des ouvrages. Les ouvrages hydrauliques sont de nature très variable, mais en règle générale ils augmentent le volume et/ou la surface en eau, par l'existence d'une retenue ou d'un réservoir et de canaux de diversion. Ces milieux aquatiques ou humides d'origine humaine sont aujourd'hui considérés par la recherche en écologie comme des écosystèmes artificiels susceptibles d'abriter eux aussi de la biodiversité, et parfois même une diversité supérieure à des milieux naturels adjacents mais appauvris. Ils peuvent aussi servir de refuges en situation de stress. Une intervention sur les ouvrages hydrauliques doit commencer par un inventaire de leur biodiversité faune-flore et de leurs fonctionnalités écologiques, afin de prendre une décision éclairée par le réalité du vivant sur site.
Evaluer le rôle protecteur des ouvrages. Dans diverses situations - changement climatique multipliant les assecs et stressant les nappes, pollutions aigües se diffusant dans les rivières, espèces exotiques colonisant des bassins, espèces d'élevage menaçant d'introgression des souches endémiques, crues à temps de retour fréquent –, les ouvrages hydrauliques peuvent jouer des rôles bénéfiques pour des milieux aquatiques et rivulaires, ou pour la régulation des eaux au bénéfice des riverains. Les préconisations de gestion dans chaque bassin versant doivent étudier et intégrer ces dimensions, par un diagnostic mené tant au niveau de chaque site qu'au niveau de la dynamique globale du bassin et sa projection en situation de changement climatique. Etant donné le caractère encore incomplet de nos connaissances écologiques et le caractère incertain des projections hydro-climatiques, une solution réversible de continuité est par principe préférable à un choix irrémédiable.
Développer l'énergie hydraulique pour la transition. Une partie des ouvrages hydrauliques ont servi à produire de l'énergie dans l'histoire, d'autres peuvent le faire bien que ce ne soit pas leur vocation d'origine. Des techniques permettent aujourd'hui d'exploiter la plupart des conditions de chute ou de débit, en autoconsommation ou en injection réseau. La France est le pays à plus fort potentiel d'équipement d'ouvrages en place en Europe selon le bilan 2019 de Restor-Hydro. Notre pays a pris des engagements européens et internationaux faisant de la prévention du changement climatique et de la décarbonation de l'énergie une priorité, avec un bilan zéro carbone net en 2050, soit une génération seulement. La mobilisation des ouvrages hydrauliques dans cette transition est dès lors un choix de première intention.
Tenir compte de la continuité historique et paysagère. De nombreux ouvrages hydrauliques sont en place depuis plusieurs générations, puisque 110 000 moulins et forges étaient recensés au milieu du XIXe siècle. Les plus anciens sont attestés dès le Moyen Âge. Il existe donc une transmission historique remarquable et une intégration paysagère des ouvrages dans leurs vallées. Le paysage n'est certes pas plus immuable que la nature, mais il est en France un élément important du cadre de vie et l'objet de préférences marquées de la part des riverains. La mise en oeuvre d'une politique de continuité doit intégrer cette réalité, telle qu'elle est éprouvée par les citoyens eux-mêmes et non par des experts, sans réfuter cet attachement comme une erreur ou une incompréhension.
Garantir le soutien économique à la continuité. Quand ils prennent la forme de projets ambitieux permettant un passage de toutes espèces (passes à poissons, rivières de contournement), les aménagements de continuité écologique ont des coûts de conception et réalisation qui excèdent largement la charge financière que l'on peut imposer à un particulier ou un petit exploitant pour une motivation d'intérêt général. Pour solvabiliser la réforme, il convient donc que le financeur public, au premier chef les agences de bassin dédiées aux investissements dans le grand cycle de l'eau, intègre la prise en charge de la majeure partie de ces coûts dans ses programmes d'intervention. Des compléments peuvent être apportés par les collectivités territoriales et leurs établissements en charge de la compétence GEMAPI, ainsi que les parcs naturels.
Ré-inventer la gestion locale, ouverte et démocratique des bassins. Dans le domaine des rivières comme ailleurs, il existe en France une crise de la gouvernance démocratique. Les décisions sont perçues comme trop centralisées et trop éloignées du terrain, les instances politico-administratives sont nombreuses et complexes, les acteurs locaux n'ont pas assez d'autonomie décisionnelle et financière, les nouveaux outils numériques de collecte, de concertation et de participation sont très peu exploités pour dégager les préférences des citoyens, les logiques d'urgence et de court-terme nuisent au temps long du débat, de l'observation et de la réflexion. En ce qu'elles sont sources de débats, la continuité écologique et plus généralement la gestion de la rivière sont le terrain propice à une avancée de la démocratisation. Cela passe par le renouveau de l'esprit de décentralisation et d'autonomie qui avait présidé à la création des agences de bassin en 1964, avec l'unité élémentaire de chaque bassin versant comme lieu premier du diagnostic des besoins et de discussion des moyens. Toutes les parties prenantes doivent y être intégrées dès l'amont des projets.
Reconnaître les dimensions multiples de l'eau. La rivière et les plans d'eau sont des phénomènes naturels - physique, chimique, biologique, écologique - existant avant l'homme mais ils sont également au coeur de la vie et des activités humaines depuis la sédentarisation. La recherche a parlé des "hydro-éco-socio-systèmes" pour qualifier cette réalité hybride à la croisée de l'histoire, de la société et de la nature. Si certains bassins versants ont été peu occupés ou tôt délaissés par l'être humain, offrant aujourd'hui le visage d'une "naturalité" assez spontanée dont la protection écologique forte peut être d'intérêt, ce n'est pas le cas commun. Une politique publique vise la gestion équilibrée et durable de ces milieux aquatiques, en acceptant par principe que les enjeux environnementaux, sociaux et économiques doivent être pensés ensemble, de manière synergique et non pas antagoniste.
Respecter les ouvrages autorisés. Sauf cas de construction illégale, les ouvrages aujourd'hui présents en rivière sont des ouvrages autorisés. Comme tels, ils ont droit au respect de la propriété inscrit dans la constitution. La continuité écologique ne consiste pas à mener des campagnes de contestation de leur existence en vue de les détruire, mais à rechercher des moyens de gestion ou équipement au meilleur coût-efficacité pour améliorer la circulation des poissons et le transit des sédiments. En conséquence, aucune politique publique ne peut partir du principe que la destruction des ouvrages hydrauliques serait une solution supérieurement financée (agences de l'eau) ou proposée en première intention (EPAGE, EPTB).
Assurer la circulation des poissons migrateurs. La continuité écologique a été construite sur le premier objectif de protéger certains poissons ayant des besoins de migrations dans les rivières. La plupart des poissons d'eau douce ont des cycles de vie compatibles avec des aires limitées de nourriture, croissance, reproduction, et donc compatibles avec la fragmentation des rivières qui est en partie naturelle dans l'histoire de l'environnement (chutes et cascades, barrages de castors et d'embâcles, etc.). La continuité écologique s'adresse d'abord aux exigences biologiques de poissons ayant besoin de migrations à longue distance, en particulier les espèces menacées faisant l'objet de plans de protection (anguille, saumon, esturgeon). La circulation ouverte à toutes espèces est une option de mieux-disant halieutique, comportant parfois des désavantages (exotiques, pathogènes), mais elle ne doit pas être la requête de principe sur chaque ouvrage.
Gérer le transit des sédiments au cas par cas. Les dynamiques sédimentaires permettent des apports solides et des habitats variés dans le lit des rivières. Elles sont très variables selon les évolutions et les usages des bassins versants, qui répondent encore aujourd'hui à des pressions vieilles de plusieurs siècles. En raison de la déprise agricole et de la reforestation, certains bassins sont plutôt en déficit d'apport sédimentaire par l'érosion, et en phase d'incision. Ailleurs, les labours mécanisés ont pu augmenter la charge des sédiments fins dans les rivières. De plus, les sédiments (comme l'eau) portent la mémoire des pollutions persistantes liées aux activités humaines passées ou présentes, y compris celles liées à l'urbanisation et à l'usage des produits chimiques de synthèse. La gestion sédimentaire relève donc du cas par cas, avec une approche impérativement définie par bassin versant, en fonction de la quantité et qualité de la charge solide, ainsi que celle des polluants.
Prendre en compte la biomasse et la biodiversité au droit des ouvrages. Les ouvrages hydrauliques sont de nature très variable, mais en règle générale ils augmentent le volume et/ou la surface en eau, par l'existence d'une retenue ou d'un réservoir et de canaux de diversion. Ces milieux aquatiques ou humides d'origine humaine sont aujourd'hui considérés par la recherche en écologie comme des écosystèmes artificiels susceptibles d'abriter eux aussi de la biodiversité, et parfois même une diversité supérieure à des milieux naturels adjacents mais appauvris. Ils peuvent aussi servir de refuges en situation de stress. Une intervention sur les ouvrages hydrauliques doit commencer par un inventaire de leur biodiversité faune-flore et de leurs fonctionnalités écologiques, afin de prendre une décision éclairée par le réalité du vivant sur site.
Evaluer le rôle protecteur des ouvrages. Dans diverses situations - changement climatique multipliant les assecs et stressant les nappes, pollutions aigües se diffusant dans les rivières, espèces exotiques colonisant des bassins, espèces d'élevage menaçant d'introgression des souches endémiques, crues à temps de retour fréquent –, les ouvrages hydrauliques peuvent jouer des rôles bénéfiques pour des milieux aquatiques et rivulaires, ou pour la régulation des eaux au bénéfice des riverains. Les préconisations de gestion dans chaque bassin versant doivent étudier et intégrer ces dimensions, par un diagnostic mené tant au niveau de chaque site qu'au niveau de la dynamique globale du bassin et sa projection en situation de changement climatique. Etant donné le caractère encore incomplet de nos connaissances écologiques et le caractère incertain des projections hydro-climatiques, une solution réversible de continuité est par principe préférable à un choix irrémédiable.
Développer l'énergie hydraulique pour la transition. Une partie des ouvrages hydrauliques ont servi à produire de l'énergie dans l'histoire, d'autres peuvent le faire bien que ce ne soit pas leur vocation d'origine. Des techniques permettent aujourd'hui d'exploiter la plupart des conditions de chute ou de débit, en autoconsommation ou en injection réseau. La France est le pays à plus fort potentiel d'équipement d'ouvrages en place en Europe selon le bilan 2019 de Restor-Hydro. Notre pays a pris des engagements européens et internationaux faisant de la prévention du changement climatique et de la décarbonation de l'énergie une priorité, avec un bilan zéro carbone net en 2050, soit une génération seulement. La mobilisation des ouvrages hydrauliques dans cette transition est dès lors un choix de première intention.
Tenir compte de la continuité historique et paysagère. De nombreux ouvrages hydrauliques sont en place depuis plusieurs générations, puisque 110 000 moulins et forges étaient recensés au milieu du XIXe siècle. Les plus anciens sont attestés dès le Moyen Âge. Il existe donc une transmission historique remarquable et une intégration paysagère des ouvrages dans leurs vallées. Le paysage n'est certes pas plus immuable que la nature, mais il est en France un élément important du cadre de vie et l'objet de préférences marquées de la part des riverains. La mise en oeuvre d'une politique de continuité doit intégrer cette réalité, telle qu'elle est éprouvée par les citoyens eux-mêmes et non par des experts, sans réfuter cet attachement comme une erreur ou une incompréhension.
Garantir le soutien économique à la continuité. Quand ils prennent la forme de projets ambitieux permettant un passage de toutes espèces (passes à poissons, rivières de contournement), les aménagements de continuité écologique ont des coûts de conception et réalisation qui excèdent largement la charge financière que l'on peut imposer à un particulier ou un petit exploitant pour une motivation d'intérêt général. Pour solvabiliser la réforme, il convient donc que le financeur public, au premier chef les agences de bassin dédiées aux investissements dans le grand cycle de l'eau, intègre la prise en charge de la majeure partie de ces coûts dans ses programmes d'intervention. Des compléments peuvent être apportés par les collectivités territoriales et leurs établissements en charge de la compétence GEMAPI, ainsi que les parcs naturels.
Ré-inventer la gestion locale, ouverte et démocratique des bassins. Dans le domaine des rivières comme ailleurs, il existe en France une crise de la gouvernance démocratique. Les décisions sont perçues comme trop centralisées et trop éloignées du terrain, les instances politico-administratives sont nombreuses et complexes, les acteurs locaux n'ont pas assez d'autonomie décisionnelle et financière, les nouveaux outils numériques de collecte, de concertation et de participation sont très peu exploités pour dégager les préférences des citoyens, les logiques d'urgence et de court-terme nuisent au temps long du débat, de l'observation et de la réflexion. En ce qu'elles sont sources de débats, la continuité écologique et plus généralement la gestion de la rivière sont le terrain propice à une avancée de la démocratisation. Cela passe par le renouveau de l'esprit de décentralisation et d'autonomie qui avait présidé à la création des agences de bassin en 1964, avec l'unité élémentaire de chaque bassin versant comme lieu premier du diagnostic des besoins et de discussion des moyens. Toutes les parties prenantes doivent y être intégrées dès l'amont des projets.
Illustrations : ouvrage et bief de Til-Châtel (21) sur l'Ignon, un patrimoine auquel les riverains sont attachés. Au plan écologique, cette zone de l'Ignon et la Tille est sujette à des assecs fréquents en été, qui risquent de s'aggraver en fréquence ou en intensité avec le changement climatique. Se posent aussi la question de la présence (non vérifiée à date) de truites de souche méditerranéenne en amont (qui pourraient subir une introgression génétique de truite fario d'élevage, de souche atlantique) et la nécessité d'engager aujourd'hui chaque territoire dans la transition énergétique, par la baisse de sa consommation comme par l'exploitation de tous les potentiels en place, dont l'hydroélectricité.