Nicolas Hulot et le gouvernement viennent d'annoncer un plan de protection de la biodiversité. L'objectif est de rendre cette question de la biodiversité aussi importante que celle du climat dans l'esprit des citoyens et dans les choix publics. Cette actualité nous donne l'occasion de revenir sur la confusion fréquente entre la biodiversité et la bio-intégrité : la première concerne au premier chef la diversité des espèces d'un milieu actuel, incluant l'effet des influences humaines dans l'histoire, quand la seconde se réfère à un certain état pré-humain de la nature posé comme référence (de conservation) ou comme objectif (de restauration). Ce n'est pas la même chose. Le choix des indicateurs écologiques est à un certain degré un choix politique, qui aura en dernier ressort des conséquences sur le cadre de vie des citoyens. On doit donc garantir à ce sujet un débat démocratique de bonne qualité, sans confiscation par l'autorité d'une parole savante et sans choix arbitraire pour telle ou telle approche du vivant. Les citoyens doivent désormais penser leur rapport à la nature et en discuter : cette réflexivité nourrira des politiques environnementales plus informées et plus justes.
La biodiversité ou diversité biologique a de multiples définitions. La plus communément employée reste la richesse spécifique, c'est-à-dire le nombre d'espèces différentes. On peut mesurer cette diversité à échelle d'un site (alpha), entre deux sites (bêta) ou dans une région (gamma). Des calculs permettent d'apprécier la structure de cette richesse spécifique, par exemple de pondérer les effets de dominance d'une espèce en tenant compte du poids démographique des autres espèces dans la diversité totale (équitabilité).
La bio-intégrité ou intégrité biologique renvoie à une idée différente. Le terme est apparu aux Etats-Unis au début des années 1970, à l'époque où naissait la biologie de la conservation. L'idée maîtresse de la bio-intégrité est d'évaluer un milieu (par ses espèces et ses habitats) selon qu'il se rapproche de conditions originelles (pré-humaines) de peuplements et de fonctions. On mesure donc un écart entre le milieu que l'on étudie et le même milieu dans une situation de référence (intègre ou quasi-intègre, dite aussi "pristine"). La bio-intégrité suppose donc une standardisation préalable de la référence.
Ces deux approches illustrent des conceptions différentes du vivant. La biodiversité est neutre de toute référence : si un milieu a davantage d'espèces qu'un autre, il est plus riche, quand bien même ce milieu résulterait de l'action humaine ou quand bien même certaines espèces y auraient été introduites à diverses époques. La bio-intégrité est en revanche normative: dans sa conception, elle présuppose qu'un état non-humanisé de la nature forme un idéal, un objectif (ce dont il serait mauvais de s'éloigner, ce vers quoi il serait bon de tendre).
Il se peut que la biodiversité et la bio-intégrité coïncident, c'est-à-dire que le milieu le plus proche des conditions pré-humaines soit aussi le plus riche en espèces. C'est souvent le cas, mais ce n'est en rien garanti. En fait, de nombreuses actions humaines sont neutres (et parfois favorables) pour la diversité bêta et gamma. Si l'on crée une prairie dans une forêt, l'ensemble forêt-prairie sera (probablement) plus riche que la forêt seule. Si l'on crée un étang sur une rivière, l'ensemble étang-rivière sera (probablement) plus riche que la rivière seule. On ajoute un nouveau milieu qui n'existait pas, ce milieu a de bonnes chances d'être colonisé par des espèces qui lui sont adaptées, et qui pourront être différentes de celles du milieu originel.
Les spécialistes ne sont pas tous d'accord à ce sujet – un spécialiste prétendant le contraire veut souvent affirmer l'hégémonie de sa propre vision de choses! Depuis les années 2000, les biologistes et les écologues discutent ainsi de ce qu'il est nécessaire de conserver dans la nature, de la possibilité d'intégrer son caractère dynamique et évolutif, des raisons pour laquelle nous devrions la conserver (la valeur intrinsèque de la diversité, les services rendus par les écosystèmes), de la manière d'aborder les évolutions biologiques et écologiques de plus en plus nombreuses induites par l'homme (les nouveaux écosystèmes anthropisés), de la meilleure façon d'évaluer la diversité et de la place à réserver ou non aux espèces indigènes, de la construction et du sens des "états de référence", de la manière dont le non-humain est apprécié dans certains choix d'aménagement écologique, etc.
Ces débats ne sont pas simplement théoriques et ne doivent pas être réservés à des spécialistes : ils intéressent aussi bien les citoyens et leurs élus. Depuis ses origines, l'écologie de la conservation se construit dans une logique d'intervention : la société devrait agir dans une certaine direction pour préserver le patrimoine vivant. Mais cette direction, c'est alors à la société tout entière de la poser, pas seulement à des savants (ni des administratifs).
Le choix des indicateurs du vivant comporte ainsi une dimension politique (non scientifique en soi) qu'il faut apprendre à reconnaître et qu'il convient de poser dans la discussion démocratique.
Car ces choix ont des conséquences. On le voit très bien dans la question des moulins et autres ouvrages hydrauliques. Les tenants de la bio-intégrité vont considérer qu'une bonne rivière est de toute façon une rivière débarrassée de toute retenue, barrière et diversion artificielles, car ces créations humaines n'appartiennent pas au fonctionnement antérieur et "intègre" de la rivière. Les tenants de la biodiversité vont plutôt s'attacher à regarder comme fonctionne le système anthropisé actuel, à vérifier quelles espèces gagnent ou perdent dans ce nouvel état de la rivière, à évaluer sur cette base si une action est requise ou non.
Préserver la biodiversité est désormais une idée partagée par de nombreux citoyens : tant mieux, mais le débat sur les fins et les moyens ne fait que commencer.
Illustration : hautes eaux au Lac du Der (Champagne, France), Pline, travail, personnel, CS-SA 3.0. Le lac du Der est un exemple souvent avancé par l'hydrobiologiste Christian Lévêque pour montrer la complexité des questions écologiques. Construit dans les années 1960 et 1970 pour protéger Paris des inondations en régulant la Marne, ce lac est un habitat artificiel qui a certainement noyé des habitats naturels plus variés. Mais le lac est aussi classé en Réserve nationale de chasse et de faune sauvage, en zone spéciale de conservation Natura 2000 et avec d'autres sites de la Champagne humide en site Ramsar et ZICO du fait de la richesse exceptionnelle de l'avifaune. Alors, aurait-il fallu s'opposer à la création de la retenue au nom de l'écologie? Faudrait-il au nom de la même écologie réclamer aujourd'hui son démantèlement et le retour à un état antérieur? Ces questions se posent à toutes les échelles, y compris pour des canaux, des étangs et plans d'eau, des aménagements de berges, des moulins... Voilà pourquoi aucun chantier en rivière aménagée ne devrait être engagé sans commencer par un inventaire sincère de la biodiversité et de la fonctionnalité du système en place, ce qui n'est pas du tout le cas aujourd'hui. La mauvaise information nourrit la mauvaise décision, en écologie comme ailleurs.
La biodiversité ou diversité biologique a de multiples définitions. La plus communément employée reste la richesse spécifique, c'est-à-dire le nombre d'espèces différentes. On peut mesurer cette diversité à échelle d'un site (alpha), entre deux sites (bêta) ou dans une région (gamma). Des calculs permettent d'apprécier la structure de cette richesse spécifique, par exemple de pondérer les effets de dominance d'une espèce en tenant compte du poids démographique des autres espèces dans la diversité totale (équitabilité).
La bio-intégrité ou intégrité biologique renvoie à une idée différente. Le terme est apparu aux Etats-Unis au début des années 1970, à l'époque où naissait la biologie de la conservation. L'idée maîtresse de la bio-intégrité est d'évaluer un milieu (par ses espèces et ses habitats) selon qu'il se rapproche de conditions originelles (pré-humaines) de peuplements et de fonctions. On mesure donc un écart entre le milieu que l'on étudie et le même milieu dans une situation de référence (intègre ou quasi-intègre, dite aussi "pristine"). La bio-intégrité suppose donc une standardisation préalable de la référence.
Ces deux approches illustrent des conceptions différentes du vivant. La biodiversité est neutre de toute référence : si un milieu a davantage d'espèces qu'un autre, il est plus riche, quand bien même ce milieu résulterait de l'action humaine ou quand bien même certaines espèces y auraient été introduites à diverses époques. La bio-intégrité est en revanche normative: dans sa conception, elle présuppose qu'un état non-humanisé de la nature forme un idéal, un objectif (ce dont il serait mauvais de s'éloigner, ce vers quoi il serait bon de tendre).
Il se peut que la biodiversité et la bio-intégrité coïncident, c'est-à-dire que le milieu le plus proche des conditions pré-humaines soit aussi le plus riche en espèces. C'est souvent le cas, mais ce n'est en rien garanti. En fait, de nombreuses actions humaines sont neutres (et parfois favorables) pour la diversité bêta et gamma. Si l'on crée une prairie dans une forêt, l'ensemble forêt-prairie sera (probablement) plus riche que la forêt seule. Si l'on crée un étang sur une rivière, l'ensemble étang-rivière sera (probablement) plus riche que la rivière seule. On ajoute un nouveau milieu qui n'existait pas, ce milieu a de bonnes chances d'être colonisé par des espèces qui lui sont adaptées, et qui pourront être différentes de celles du milieu originel.
Les spécialistes ne sont pas tous d'accord à ce sujet – un spécialiste prétendant le contraire veut souvent affirmer l'hégémonie de sa propre vision de choses! Depuis les années 2000, les biologistes et les écologues discutent ainsi de ce qu'il est nécessaire de conserver dans la nature, de la possibilité d'intégrer son caractère dynamique et évolutif, des raisons pour laquelle nous devrions la conserver (la valeur intrinsèque de la diversité, les services rendus par les écosystèmes), de la manière d'aborder les évolutions biologiques et écologiques de plus en plus nombreuses induites par l'homme (les nouveaux écosystèmes anthropisés), de la meilleure façon d'évaluer la diversité et de la place à réserver ou non aux espèces indigènes, de la construction et du sens des "états de référence", de la manière dont le non-humain est apprécié dans certains choix d'aménagement écologique, etc.
Ces débats ne sont pas simplement théoriques et ne doivent pas être réservés à des spécialistes : ils intéressent aussi bien les citoyens et leurs élus. Depuis ses origines, l'écologie de la conservation se construit dans une logique d'intervention : la société devrait agir dans une certaine direction pour préserver le patrimoine vivant. Mais cette direction, c'est alors à la société tout entière de la poser, pas seulement à des savants (ni des administratifs).
Le choix des indicateurs du vivant comporte ainsi une dimension politique (non scientifique en soi) qu'il faut apprendre à reconnaître et qu'il convient de poser dans la discussion démocratique.
Car ces choix ont des conséquences. On le voit très bien dans la question des moulins et autres ouvrages hydrauliques. Les tenants de la bio-intégrité vont considérer qu'une bonne rivière est de toute façon une rivière débarrassée de toute retenue, barrière et diversion artificielles, car ces créations humaines n'appartiennent pas au fonctionnement antérieur et "intègre" de la rivière. Les tenants de la biodiversité vont plutôt s'attacher à regarder comme fonctionne le système anthropisé actuel, à vérifier quelles espèces gagnent ou perdent dans ce nouvel état de la rivière, à évaluer sur cette base si une action est requise ou non.
Préserver la biodiversité est désormais une idée partagée par de nombreux citoyens : tant mieux, mais le débat sur les fins et les moyens ne fait que commencer.
Illustration : hautes eaux au Lac du Der (Champagne, France), Pline, travail, personnel, CS-SA 3.0. Le lac du Der est un exemple souvent avancé par l'hydrobiologiste Christian Lévêque pour montrer la complexité des questions écologiques. Construit dans les années 1960 et 1970 pour protéger Paris des inondations en régulant la Marne, ce lac est un habitat artificiel qui a certainement noyé des habitats naturels plus variés. Mais le lac est aussi classé en Réserve nationale de chasse et de faune sauvage, en zone spéciale de conservation Natura 2000 et avec d'autres sites de la Champagne humide en site Ramsar et ZICO du fait de la richesse exceptionnelle de l'avifaune. Alors, aurait-il fallu s'opposer à la création de la retenue au nom de l'écologie? Faudrait-il au nom de la même écologie réclamer aujourd'hui son démantèlement et le retour à un état antérieur? Ces questions se posent à toutes les échelles, y compris pour des canaux, des étangs et plans d'eau, des aménagements de berges, des moulins... Voilà pourquoi aucun chantier en rivière aménagée ne devrait être engagé sans commencer par un inventaire sincère de la biodiversité et de la fonctionnalité du système en place, ce qui n'est pas du tout le cas aujourd'hui. La mauvaise information nourrit la mauvaise décision, en écologie comme ailleurs.