Les députés Adrien Morenas (président-rapporteur) et Loïc Prud’homme (co-rapporteur) avaient été désignés en novembre 2017 par le bureau de la Commission du développement durable à l'Assemblée nationale en vue d'une mission d'information sur l'avenir de la ressource en eau. Le rapport vient de paraître, après un programme d'auditions, de déplacements de terrain en province et de discussions à la Commission européenne. Parmi les orientations proposées : la nécessité de conserver, entretenir voire construire des retenues face à la pression croissante des sécheresses aux étiages. Mais alors, pourquoi le ministère de l'écologie et son administration planifient-ils partout l'assèchement des lacs, réservoirs, retenues, étangs, plans d'eau, canaux et biefs, cela au nom de la sacro-sainte "continuité écologique" devenue un dogme non questionné de la gestion de bassin? On nage dans les contradictions, avec des politiques de l'eau mal coordonnées et mal priorisées, où chacun défend son objectif sans vision d'ensemble et de long terme. Nicolas Hulot compte-t-il passer du régime des joutes symboliques et actions superficielles à un travail de fond sur la remise à plat des programmations publiques défaillantes? Car c'est ce que l'on attend de ce gouvernement...
Comme bien d'autres avant lui, le rapport Morenas et Prud'homme 2018 constate l'importance présente et à venir de la question de l'eau, tenant non seulement aux prévisions sur l'évolution du climat, mais aussi aux choix d'aménagement et aux usages humains : "La pression sur la ressource en eau n’est pas liée exclusivement au réchauffement climatique mais également à la défaillance des politiques d’aménagement du territoire qui font que, l’héliotropisme aidant, la concentration des populations en bord de mer et dans le sud de la France rend plus difficile la gestion de l’approvisionnement en eau".
Outre un point national avec quelques aperçus européens et mondiaux sur la question de la ressource en eau, le rapport parlementaire s'interroge aussi sur la gouvernance. Il est notamment souligné que le modèle des agences de l'eau est mis à mal depuis que ces agences doivent abonder la politique de la biodiversité (en finançant l'agence française pour la biodiversité), l'Etat ayant débloqué trop peu de fonds propres de son budget central sur cette question. Le même Etat prélève par ailleurs sur les trésoreries des agences pour boucler ses lois de finance publique, rompant le principe "l'eau paie l'eau" et achevant de transformer les taxes payées par les usagers de l'eau en une fiscalité déconnectée de services rendus par les agences.
Dans les propositions du rapport, un point retient notre attention : celui de la gestion quantitative de la ressource (cf extrait ci-dessous). Les rapporteurs y soulignent que l'incertitude liée au changement climatique et le développement des besoins en eau rendront nécessaires la "création ou l'amélioration d'ouvrages".
Hélas, le rapport ne pointe pas l'action aberrante en ce domaine de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie. En raison d'une politique en silo où chacun développe son projet sans tenir compte des données et des enjeux du voisin, la stratégie de continuité écologique conduit depuis déjà près de 10 ans à la destruction massive et à l'assèchement ou la diminution surfacique d'innombrables points de retenues d'eau répartis sur le territoire (lacs, étangs, plans d'eau, retenues, biefs, canaux). Ces choix ont des effets négatifs sur la recharge des nappes et sur les usages locaux de l'eau. Nombre de riverains se plaignent déjà de ne retrouver dans les rivières massivement "défragmentées" que des filets d'eau chaude et polluée à l'étiage, comme le triste exemple du Vicoin censé être un "modèle" pour certains gestionnaires de l'eau alors qu'il est plutôt un cauchemar les années sèches.
Une telle politique a généralement été conçue sous l'angle de l'hydrobiologie et de l'ichtyologie visant à optimiser certaines conditions pour certains poissons, mais ce petit bout de la lorgnette reste sourd et aveugle aux autres enjeux environnementaux, sociaux ou économiques. Un autre paradigme justificateur des destructions d'ouvrages et de retenues est celui de la "renaturation" : mais l'option de laisser la nature à elle-même ne garantit précisément pas que les écosystèmes rendront encore demain des services à la société. Et comme l'hydrologie est en train d'être modifiée par le changement climatique, la "nature"évolue de toute façon sur une trajectoire altérée par l'homme, de sorte que son invocation ne suffit pas vraiment à fonder une politique cohérente de l'eau. (On lira aussi l'article de recherche très intéressant d'Alexandre Gaudin et Sara Fernandez 2018 sur les politiques de l'eau et des barrages dans le sud-ouest de la France, montrant comment les politiques publiques essaient de rationaliser post hoc des choix contradictoires, au risque de perdre toute lisibilité).
A ce jour Nicolas Hulot n'a manifesté aucune intention de reprendre sérieusement en main ce dossier de l'eau, malgré les nombreux problèmes observés dans la gouvernance, le financement, le retard sur les objectifs européens, la conciliation des usages. Pire, il a confirmé sans concertation ni réflexion le projet absurde de destruction des deux lacs réservoirs de la Sélune, soit 50 millions € d'argent public à contre-courant des besoins de notre société, si ce projet insensé devait se réaliser. Il serait temps de sortir de l'inertie et des inepties.
Extrait des préconisations
Action en faveur de la biodiversité et de la gestion quantitative de l’eau
Référence : Morenas Adrien, Prud'homme Loïc (2018), Rapport d’information sur la ressource en eau, n°1101, 206 pages.
Illustration : lac de Guerlédan à sec, côté Caurel (Côtes-d'Armor, France), fin août 2015, arbres morts. Fab5669, travail personnel, CC-ASA 4.0
A lire sur ce thème
Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017)
Comme bien d'autres avant lui, le rapport Morenas et Prud'homme 2018 constate l'importance présente et à venir de la question de l'eau, tenant non seulement aux prévisions sur l'évolution du climat, mais aussi aux choix d'aménagement et aux usages humains : "La pression sur la ressource en eau n’est pas liée exclusivement au réchauffement climatique mais également à la défaillance des politiques d’aménagement du territoire qui font que, l’héliotropisme aidant, la concentration des populations en bord de mer et dans le sud de la France rend plus difficile la gestion de l’approvisionnement en eau".
Outre un point national avec quelques aperçus européens et mondiaux sur la question de la ressource en eau, le rapport parlementaire s'interroge aussi sur la gouvernance. Il est notamment souligné que le modèle des agences de l'eau est mis à mal depuis que ces agences doivent abonder la politique de la biodiversité (en finançant l'agence française pour la biodiversité), l'Etat ayant débloqué trop peu de fonds propres de son budget central sur cette question. Le même Etat prélève par ailleurs sur les trésoreries des agences pour boucler ses lois de finance publique, rompant le principe "l'eau paie l'eau" et achevant de transformer les taxes payées par les usagers de l'eau en une fiscalité déconnectée de services rendus par les agences.
Dans les propositions du rapport, un point retient notre attention : celui de la gestion quantitative de la ressource (cf extrait ci-dessous). Les rapporteurs y soulignent que l'incertitude liée au changement climatique et le développement des besoins en eau rendront nécessaires la "création ou l'amélioration d'ouvrages".
Hélas, le rapport ne pointe pas l'action aberrante en ce domaine de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie. En raison d'une politique en silo où chacun développe son projet sans tenir compte des données et des enjeux du voisin, la stratégie de continuité écologique conduit depuis déjà près de 10 ans à la destruction massive et à l'assèchement ou la diminution surfacique d'innombrables points de retenues d'eau répartis sur le territoire (lacs, étangs, plans d'eau, retenues, biefs, canaux). Ces choix ont des effets négatifs sur la recharge des nappes et sur les usages locaux de l'eau. Nombre de riverains se plaignent déjà de ne retrouver dans les rivières massivement "défragmentées" que des filets d'eau chaude et polluée à l'étiage, comme le triste exemple du Vicoin censé être un "modèle" pour certains gestionnaires de l'eau alors qu'il est plutôt un cauchemar les années sèches.
Une telle politique a généralement été conçue sous l'angle de l'hydrobiologie et de l'ichtyologie visant à optimiser certaines conditions pour certains poissons, mais ce petit bout de la lorgnette reste sourd et aveugle aux autres enjeux environnementaux, sociaux ou économiques. Un autre paradigme justificateur des destructions d'ouvrages et de retenues est celui de la "renaturation" : mais l'option de laisser la nature à elle-même ne garantit précisément pas que les écosystèmes rendront encore demain des services à la société. Et comme l'hydrologie est en train d'être modifiée par le changement climatique, la "nature"évolue de toute façon sur une trajectoire altérée par l'homme, de sorte que son invocation ne suffit pas vraiment à fonder une politique cohérente de l'eau. (On lira aussi l'article de recherche très intéressant d'Alexandre Gaudin et Sara Fernandez 2018 sur les politiques de l'eau et des barrages dans le sud-ouest de la France, montrant comment les politiques publiques essaient de rationaliser post hoc des choix contradictoires, au risque de perdre toute lisibilité).
A ce jour Nicolas Hulot n'a manifesté aucune intention de reprendre sérieusement en main ce dossier de l'eau, malgré les nombreux problèmes observés dans la gouvernance, le financement, le retard sur les objectifs européens, la conciliation des usages. Pire, il a confirmé sans concertation ni réflexion le projet absurde de destruction des deux lacs réservoirs de la Sélune, soit 50 millions € d'argent public à contre-courant des besoins de notre société, si ce projet insensé devait se réaliser. Il serait temps de sortir de l'inertie et des inepties.
Extrait des préconisations
Action en faveur de la biodiversité et de la gestion quantitative de l’eau
- Un plan national de préparation au changement climatique (comme l’a fait la Corse) intégrant la question du soutien des étiages doit être élaboré dans une optique environnementale. Il indiquera en fonction des données climatiques et des perspectives de réchauffement les besoins d’aménagement des cours d’eau dans un double objectif : garantir l’alimentation des populations en eau potable et maintenir la biodiversité des cours d’eau. Le rôle essentiel des retenues d’eau doit être réaffirmé, ainsi que l’importance de l’hydroélectricité pour la fourniture en électricité de notre pays et le soutien d’étiage.
- Le soutien des étiages en été est une nécessité évidente pour maintenir une quantité minimale d’eau dans les cours d’eau nécessaires à la vie. Cette action implique la création ou l’amélioration d’ouvrages, en particulier de retenues. Une action de communication et de concertation de grande ampleur doit être engagée pour éviter que des résistances trop grandes ne bloquent les projets qui ne doivent pas apparaître comme réservés à un nombre limité d’agriculteurs, mais comme une action favorable à l’environnement et à la santé publique dans la mesure où la qualité de l’eau est liée au volume des cours d’eau (plus le volume est important, plus les pollutions sont diluées).
- Un plan national d’économies d’eau doit être mis en œuvre, prévoyant des incitations fiscales, par exemple pour la création de dispositifs de récupération de l’eau de pluie.
- La récupération et le traitement des eaux de pluie doivent être intégrés dans la politique d’assainissement.
Référence : Morenas Adrien, Prud'homme Loïc (2018), Rapport d’information sur la ressource en eau, n°1101, 206 pages.
Illustration : lac de Guerlédan à sec, côté Caurel (Côtes-d'Armor, France), fin août 2015, arbres morts. Fab5669, travail personnel, CC-ASA 4.0
A lire sur ce thème
Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017)