Les timides évolutions de la loi sur la continuité écologique ont soulevé ces deux dernières années la colère de militants contrariés dans ce qu'ils croyaient être acquis, à savoir l'impulsion par l'administration française d'un programme de destruction massive des ouvrages hydrauliques. Fort heureusement, on s'avise que la protection ou l'amélioration des rivières ne peut être promue comme une altération systématique des cadres de vie riverains, que la prétention à accabler les seuils et barrages de tous les maux après des décennies de laxisme, voire parfois d'encouragement, vis-à-vis des pollutions de toute nature n'a guère de sens. A en croire certains, la destruction des ouvrages serait pourtant l'expression de l'intérêt général, leur conservation la victoire d'intérêts particuliers. A travers la lecture des deux articles du code de l'environnement qui définissent la doctrine française de cet intérêt général (art L 110-1 CE et L 211-1 CE), nous montrons qu'en réalité, la préservation des ouvrages hydrauliques répond à davantage d'enjeux normatifs que leur destruction. Cela devrait inciter à choisir plus souvent des aménagements qui préservent les atouts des rivières aménagées tout en améliorant certaines fonctionnalités écologiques. Mais surtout à ouvrir un débat réel avec les citoyens sur chaque rivière, en reprenant les éléments de la loi qui ouvre les possibles, et non ceux de la programmation administrative actuelle qui les cadenasse.
On entend parfois certains militants d'associations halieutiques ou environnementalistes, voire certains représentants de services administratifs, affirmer que la destruction d'ouvrage au nom de la continuité écologique serait d'intérêt général, s'opposant en cela à des intérêts particuliers.
Un slogan revient ainsi souvent dans les échanges autour de l'avenir des ouvrages hydrauliques : telle ou telle orientation serait "contraire à l'intérêt général". Si les moulins obtiennent de ne pas être détruits parce que rejetés d'un revers de main bureaucratique comme "inutiles et sans usage", si les riverains obtiennent la prise en considération du paysage au sein duquel ils veulent vivre, ce serait "la victoire des intérêts particuliers".
Quand des visions particulières prétendent au monopole de l'intérêt général
Il faut une certaine dose de naïveté ou de prétention pour que tel ou tel acteur social imagine être le dépositaire de l'intérêt général, s'arrogeant ainsi le privilège exorbitant de parler à la place de tous les citoyens pour définir en leur nom ce qui serait bon ou juste.
Nous vivons dans des sociétés démocratiques, ouvertes, complexes, plurielles. Nous avons des valeurs, des désirs, des goûts, des intérêts que certains partagent et d'autres non. Ce que l'on défend comme étant d'intérêt général n'est pas toujours clair, et peut se trouver aisément contredit. Un promeneur naturaliste peut rêver d'une rivière sauvage où l'on a interdit nombre d'activités locales, cela ne fait pas de son idéal singulier un intérêt général pour la société. Un pêcheur de salmonidés peut souhaiter davantage de truites ou de saumons dans la rivière, si ce souhait converge avec son loisir particulier, cela n'a pas de rapport avec un bien commun reconnu par les non-pêcheurs. Des agriculteurs représentant la majorité d'une population locale peuvent souhaiter que la rivière devienne le canal de décharge de leurs drains et de leurs intrants au nom de l'emploi local, leur consensus localement majoritaire n'en ferait pas pour autant un synonyme d'intérêt général.
Ainsi, la valeur de vérité des propositions suivantes est indécidable, et leur juxtaposition peut être contradictoire:
On constate évidemment que, appliqué au cas des ouvrages hydrauliques, ce que l'on considère comme d'intérêt général peut amener à les effacer ou (plus souvent) à les conserver.
Construire un intérêt général dans ces conditions, c'est donc construire un équilibre difficile entre les visions des uns et des autres. Dans bien des cas, c'est d'abord construire un certain consensus sur les faits, à partir de nos connaissances et de nos expériences. Les préconisations et solutions découlent du diagnostic partagé.
La continuité écologique échoue dans sa mise en oeuvre actuelle car elle a prétendu s'affranchir de cette étape : bancale dans son respect du droit des gens, bancale dans sa concertation des parties prenantes, bancale dans sa prise en compte des dimensions multiples de la rivière, bancale même dans son savoir écologique (construit sur des généralisations à partir de grands barrages davantage que sur un examen solide des divers types de fragmentations), son édifice vacille aujourd'hui de ses propres faiblesses constitutives. En accuser tel ou tel, c'est se voiler la face. Ou espérer faire oublier ses propres erreurs, quand on avançait hier ses propres intérêts en ignorant ou méprisant ceux des autres.
Retour à ce que dit la loi, expression de la volonté générale
En démocratie, c'est la loi qui exprime la volonté générale, et c'est la concertation qui la réalise dans l'exécution de cette loi. La manière dont nous voulons gérer l'eau n'est pas écrite dans le programme de tel ou tel acteur de la rivière, fut-il le bruyant prétendant au monopole de l'intérêt général, mais dans la loi.
Le code de l'environnement dispose de deux articles à ce sujet.
L'article L 110-1 du code de l'environnementénonce les principes généraux du droit de l'environnement.
Concernant l'eau en particulier, l'article L 211-1 du code de l'environnementénonce les conditions de "gestion équilibrée et durable" de l'eau, formant la doctrine publique de l'intérêt général.
Au lieu de privilégier des solutions douces et réversibles de franchissement, la destruction d'un ouvrage hydraulique, de sa retenue, des zones humides attenantes et des espèces hébergées, aquatiques ou rivulaires peut très bien :
Conclusion : la loi française est beaucoup plus ouverte et équilibrée que ne le sont aujourd'hui ses interprétations dominantes par l'administration en charge de l'eau.
A noter : les éléments ici présentés sur le L 110-1 CE et le L 211-1 CE peuvent être repris (avec quelques adaptations au cas particulier) dans les contentieux des associations contre les projets de destructions d'ouvrages, canaux, lacs et autres sites d'intérêt.
Illiustrations : en haut, le lavoir de Garchy adossé à son plan d'eau. Le site soulève l'inquiétude des riverains car l'administration de la Nièvre exerce des pressions sur la commune pour rétablir la continuité écologique, au risque de voir les écoulements actuels altérés. En bas, le lac et barrage du Crescent sur la Cure, un site EDF produisant de l'électricité et servant aux loisirs locaux.
On entend parfois certains militants d'associations halieutiques ou environnementalistes, voire certains représentants de services administratifs, affirmer que la destruction d'ouvrage au nom de la continuité écologique serait d'intérêt général, s'opposant en cela à des intérêts particuliers.
Un slogan revient ainsi souvent dans les échanges autour de l'avenir des ouvrages hydrauliques : telle ou telle orientation serait "contraire à l'intérêt général". Si les moulins obtiennent de ne pas être détruits parce que rejetés d'un revers de main bureaucratique comme "inutiles et sans usage", si les riverains obtiennent la prise en considération du paysage au sein duquel ils veulent vivre, ce serait "la victoire des intérêts particuliers".
Quand des visions particulières prétendent au monopole de l'intérêt général
Il faut une certaine dose de naïveté ou de prétention pour que tel ou tel acteur social imagine être le dépositaire de l'intérêt général, s'arrogeant ainsi le privilège exorbitant de parler à la place de tous les citoyens pour définir en leur nom ce qui serait bon ou juste.
Nous vivons dans des sociétés démocratiques, ouvertes, complexes, plurielles. Nous avons des valeurs, des désirs, des goûts, des intérêts que certains partagent et d'autres non. Ce que l'on défend comme étant d'intérêt général n'est pas toujours clair, et peut se trouver aisément contredit. Un promeneur naturaliste peut rêver d'une rivière sauvage où l'on a interdit nombre d'activités locales, cela ne fait pas de son idéal singulier un intérêt général pour la société. Un pêcheur de salmonidés peut souhaiter davantage de truites ou de saumons dans la rivière, si ce souhait converge avec son loisir particulier, cela n'a pas de rapport avec un bien commun reconnu par les non-pêcheurs. Des agriculteurs représentant la majorité d'une population locale peuvent souhaiter que la rivière devienne le canal de décharge de leurs drains et de leurs intrants au nom de l'emploi local, leur consensus localement majoritaire n'en ferait pas pour autant un synonyme d'intérêt général.
Ainsi, la valeur de vérité des propositions suivantes est indécidable, et leur juxtaposition peut être contradictoire:
- il est dans l'intérêt général de sauvegarder la biodiversité
- il est dans l'intérêt général de produire une énergie décarbonée
- il est dans l'intérêt général de stocker, réguler, contrôler l'eau
- il est dans l'intérêt général de préserver le patrimoine historique
- il est dans l'intérêt général de développer l'activité économique
On constate évidemment que, appliqué au cas des ouvrages hydrauliques, ce que l'on considère comme d'intérêt général peut amener à les effacer ou (plus souvent) à les conserver.
Construire un intérêt général dans ces conditions, c'est donc construire un équilibre difficile entre les visions des uns et des autres. Dans bien des cas, c'est d'abord construire un certain consensus sur les faits, à partir de nos connaissances et de nos expériences. Les préconisations et solutions découlent du diagnostic partagé.
La continuité écologique échoue dans sa mise en oeuvre actuelle car elle a prétendu s'affranchir de cette étape : bancale dans son respect du droit des gens, bancale dans sa concertation des parties prenantes, bancale dans sa prise en compte des dimensions multiples de la rivière, bancale même dans son savoir écologique (construit sur des généralisations à partir de grands barrages davantage que sur un examen solide des divers types de fragmentations), son édifice vacille aujourd'hui de ses propres faiblesses constitutives. En accuser tel ou tel, c'est se voiler la face. Ou espérer faire oublier ses propres erreurs, quand on avançait hier ses propres intérêts en ignorant ou méprisant ceux des autres.
Retour à ce que dit la loi, expression de la volonté générale
En démocratie, c'est la loi qui exprime la volonté générale, et c'est la concertation qui la réalise dans l'exécution de cette loi. La manière dont nous voulons gérer l'eau n'est pas écrite dans le programme de tel ou tel acteur de la rivière, fut-il le bruyant prétendant au monopole de l'intérêt général, mais dans la loi.
Le code de l'environnement dispose de deux articles à ce sujet.
L'article L 110-1 du code de l'environnementénonce les principes généraux du droit de l'environnement.
I Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage. (…)Au regard de ces dispositions, et sauf si une étude détaillée en fournit la preuve contraire, la destruction d'un ouvrage hydraulique, de sa retenue, des zones humides attenantes et des espèces hébergées, aquatiques ou rivulaires peut très bien :
II Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.
III L'objectif de développement durable, tel qu'indiqué au II est recherché, de façon concomitante et cohérente, grâce aux cinq engagements suivants :
1° La lutte contre le changement climatique ;
2° La préservation de la biodiversité, des milieux, des ressources ainsi que la sauvegarde des services qu'ils fournissent et des usages qui s'y rattachent ;
3° La cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations ;
4° L'épanouissement de tous les êtres humains ;
5° La transition vers une économie circulaire.
- contrevenir à la biodiversité,
- contrevenir à la protection des sites et paysages,
- contrevenir à la sauvegarde des services rendus par les écosystèmes (récréatifs, patrimoniaux, esthétiques, économiques),
- contrevenir à la lutte contre le changement climatique.
Concernant l'eau en particulier, l'article L 211-1 du code de l'environnementénonce les conditions de "gestion équilibrée et durable" de l'eau, formant la doctrine publique de l'intérêt général.
I.-Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :Au regard de ces dispositions, la continuité écologique (I-7°) n'est qu'une dimension de la gestion équilibrée et durable de l'eau : elle est à prendre en compte, donc, mais les choix pour restaurer cette continuité doivent dans la mesure du possible ne pas contredire les autres dimensions d'intérêt de la ressource.
1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ;
2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ;
3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ;
4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ;
5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ;
5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ;
6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ;
7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques.
(…)
II.-La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences :
1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ;
2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ;
3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées.
III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.
Au lieu de privilégier des solutions douces et réversibles de franchissement, la destruction d'un ouvrage hydraulique, de sa retenue, des zones humides attenantes et des espèces hébergées, aquatiques ou rivulaires peut très bien :
- contrevenir à la préservation des zones humides et des écosystèmes aquatiques propres aux milieux anthropisés,
- contrevenir à l'épuration de l'eau dans les retenues (augmentation du temps de résidence hydraulique, sédimentation et biologique) et donc à la qualité de l'eau à l'aval,
- contrevenir à la valorisation de l'eau comme ressource économique,
- contrevenir au stockage de l'eau et à l'évitement des effets locaux d'étiages sévères (assecs),
- contrevenir à divers usages de l'eau, et en particulier l'hydro-électricité et l'irrigation,
- contrevenir à la conservation et à la transmission du patrimoine culturel.
Conclusion : la loi française est beaucoup plus ouverte et équilibrée que ne le sont aujourd'hui ses interprétations dominantes par l'administration en charge de l'eau.
A noter : les éléments ici présentés sur le L 110-1 CE et le L 211-1 CE peuvent être repris (avec quelques adaptations au cas particulier) dans les contentieux des associations contre les projets de destructions d'ouvrages, canaux, lacs et autres sites d'intérêt.
Illiustrations : en haut, le lavoir de Garchy adossé à son plan d'eau. Le site soulève l'inquiétude des riverains car l'administration de la Nièvre exerce des pressions sur la commune pour rétablir la continuité écologique, au risque de voir les écoulements actuels altérés. En bas, le lac et barrage du Crescent sur la Cure, un site EDF produisant de l'électricité et servant aux loisirs locaux.