Dès le début des années 2000, le retour du saumon été présenté comme l'enjeu écologique majeur du projet de destruction des lacs et barrages de la Sélune. Après 18 mois d'attente, nous avons finalement reçu le travail de 2014 formant à ce jour la seule base scientifique d'estimation de ce retour. Au regard du modèle employé, sur lequel nous faisons ici de premières remarques critiques, on estime que la destruction du site pourrait augmenter de 1314 le nombre de saumons adultes remontant. A titre de comparaison, c'est 2 à 3 fois moins que le nombre de saumons tués par les pêcheurs d'eau douce chaque année en France. Cela pour un coût définitif de travaux sur l'ensemble du bassin qui devrait s'établir quelque part entre 50 et 150 millions €, alors que le saumon est déjà présent dans les autres rivières de la baie du mont Saint-Michel et leurs affluents, comme à l'aval de la Sélune. L'Etat doit clarifier et justifier ses objectifs car ces informations suggèrent que nous sommes devant une dépense totalement disproportionnée au regard des enjeux saumons sur le bassin atlantique et, sur un autre plan, des nuisances sociales induites par ce projet.
Les chercheurs et ingénieurs Inra-Onema (Forget G., Nevoux M., Richard A., Marchand F., Baglinière J-L.) resituent d'abord l'enjeu :
Les auteurs rappellent aussi que la destruction d'un barrage n'est pas seulement à analyser comme une restauration, mais aussi comme une perturbation des écosystèmes, cycles biogéochimiques et écoulements en place :
Le modèle utilisé est fondé sur l'habitat : certains habitats (équivalents radiers/rapides EQRR), formés de radiers, rapide et plats, sont considérés comme favorables à la colonisation et reproduction du saumon.
Les auteurs construisent des "Unités de production de juvéniles de saumon" (UPSAT) forméss par des tronçons de 100 m de ces équivalents radiers/rapides. C'est une unité théorique à deux titres : il faut d'abord estimer combien d'EQRR vont être restaurées dans les zones ennoyées des barrages, et il faut ensuite estimer quelle sera la productivité du saumon sur ces zones.
Le modèle est paramétré à partir d'observations faites dans le bassin de la Sélune (l’Oir, un affluent) et dans d'autres rivières de l'Ouest (l’Orne, le Scorff, la Sée, la Sienne). La paramétrisation d'un modèle signifie que, dans certains équations, on pose des coefficients empiriques (calés sur estimations de terrain) qui sont censés approcher au mieux la réalité. Une variation dans ce coefficient implique bien sûr des variations de résultats dans le calcul du modèle.
Le modèle prend la forme d'une matrice où le nombre de saumon pouvant potentiellement revenir en amont des barrages est fonction des unités de production (UPSAT) puis de la survie en mer entre le stade smolt et le stade adulte.
La Sélune aujourd'hui compte 907 UPSAT, il est estimé que ce chiffre montera à 3422 UPSAT après effacement (873 sur le retenues, 1642 sur le bassin amont). On observe au passage que le gain sur les lacs est assez faible (moins d'habitat que dans la partie aval actuellement libre) par rapport aux gains dans les affluents et les zones plus amont du lit principal.
La Sélune aurait à terme un potentiel équivalent à la somme de la Sée (1527 UPSAT) et de la Sienne (1808 UPSAT).
Concernant les saumons, le modèle suggère que la zone aval actuelle produit déjà 474 adultes. L'effacement pourrait ajouter 1314 adultes.
Mais les auteurs prennent soin de préciser que la valeur réelle dépend des paramètres du modèle, notamment de l'estimation de survie de l'adulte : "Il faut, cependant, garder à l’esprit que le taux de survie de l’adulte en mer est plutôt en baisse actuellement à cause des modifications du milieu marin liées au changement climatique et à la dégradation des cours d’eau (ICES, 2013). En effet, le taux de survie moyen observé chez le saumon adulte entre 2006 et 2012 est de 5,3 % sur le Scorff donc assez loin de la valeur utilisée (8,4 %). Avec cette valeur, le nombre total de saumons adultes ne serait plus alors que de 760 adultes produits par la zone rouverte."
Discussion
JF Baglinière nous a précisé lors d'échanges que cette première estimation avait été affinée, qu'une publication en journal scientifique revu par les pairs est en cours et que l'incertitude notamment sera mieux quantifiée dans cette future recherche.
Nous faisons les observations suivantes sur le modèle pour l'instant disponible :
Selon d'où l'on juge, ce gain sera jugé conséquent, modeste ou insignifiant. Nous avons publié un précédent article essayant d'objectiver ce gain par comparaison avec d'autres statistiques sur le saumon. il nous paraît très faible au retard du coût du chantier et des nuisances nombreuses à la population riveraine.
Nous jugeons indispensable avant tout engagement de travaux que l'Etat produise les données suivantes pour ce qui concerne le cas particulier du saumon:
Référence : Forget G. et al (2014), Estimation des capacités de production en saumon du bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit, 8 p., non publié.
Les chercheurs et ingénieurs Inra-Onema (Forget G., Nevoux M., Richard A., Marchand F., Baglinière J-L.) resituent d'abord l'enjeu :
"Les travaux de démantèlement de deux barrages sur la Sélune constituent un cas d’étude unique en regard de l’ampleur des ouvrages hydrauliques concernés (16 et 36 m), au linéaire de rivière actuellement ennoyé (20 km) et au verrou qu’ils représentent pour la circulation des poissons sur le réseau hydrographique. La Sélune (91 km, 1040 km ) est un des quatre cours d’eau de la Baie du Mont Saint-Michel avec la Sée (estuaire commun), le Couesnon et la Sienne. La Sélune est fréquentée par la communauté de poissons diadromes (saumon, truite de mer, anguille, lamproies et aloses) sur un linéaire réduit de son cours principal (14 km) en raison de la présence de ces deux grands barrages depuis 1919. "Au passage, il est dit que les saumons de la baie du Mont Saint-Michel forment une seule unité : "des études récentes ont montré que les populations de saumon des quatre rivières de la Baie du Mont Saint-Michel appartiennent au même groupe génétique (Perrier et al., 2011) impliquant un certain taux de dispersion et donc d’échanges entre rivières (Perrier et al., 2012)."
"l’enlèvement des barrages est un outil potentiel fort pour la restauration écologique des cours d’eau, permettant un retour à une hétérogénéité des habitats et à la libre circulation des flux hydro-sédimentaires et des espèces migratrices. Les conséquences globales d’une telle opération sur le milieu peuvent cependant être difficiles à prévoir et à généraliser, qu’elles soient bénéfiques ou non souhaitables (modification des communautés en place, augmentation de la vulnérabilité d’espèces en danger) d’un point de vue écologique. Ainsi, lors de l’arasement du barrage de Fulton sur la rivière Yahara (Wisconsin, USA), des graminées de prairies humides ont remplacé les espèces de roseaux et de carex (American Society of Civil Engineers, 1997), entraînant le déclin des populations de canards et de rats musqués inféodées à ces espèces végétales. L’enlèvement de barrages constitue donc, au même titre que leur installation, une perturbation écologique importante" (nous soulignons).La décision publique implique donc d'avoir une estimation des coût et des bénéfices écologiques. Leur travail propose d'évaluer le bénéfice pour l'espèce-repère du projet qu'est le saumon.
Le modèle utilisé est fondé sur l'habitat : certains habitats (équivalents radiers/rapides EQRR), formés de radiers, rapide et plats, sont considérés comme favorables à la colonisation et reproduction du saumon.
Les auteurs construisent des "Unités de production de juvéniles de saumon" (UPSAT) forméss par des tronçons de 100 m de ces équivalents radiers/rapides. C'est une unité théorique à deux titres : il faut d'abord estimer combien d'EQRR vont être restaurées dans les zones ennoyées des barrages, et il faut ensuite estimer quelle sera la productivité du saumon sur ces zones.
Le modèle est paramétré à partir d'observations faites dans le bassin de la Sélune (l’Oir, un affluent) et dans d'autres rivières de l'Ouest (l’Orne, le Scorff, la Sée, la Sienne). La paramétrisation d'un modèle signifie que, dans certains équations, on pose des coefficients empiriques (calés sur estimations de terrain) qui sont censés approcher au mieux la réalité. Une variation dans ce coefficient implique bien sûr des variations de résultats dans le calcul du modèle.
Le modèle prend la forme d'une matrice où le nombre de saumon pouvant potentiellement revenir en amont des barrages est fonction des unités de production (UPSAT) puis de la survie en mer entre le stade smolt et le stade adulte.
Estimation des UPSAT, des smolts et des adultes i Forget et al 2014, art cit, cliquer pour agrandir.
La Sélune aurait à terme un potentiel équivalent à la somme de la Sée (1527 UPSAT) et de la Sienne (1808 UPSAT).
Concernant les saumons, le modèle suggère que la zone aval actuelle produit déjà 474 adultes. L'effacement pourrait ajouter 1314 adultes.
Mais les auteurs prennent soin de préciser que la valeur réelle dépend des paramètres du modèle, notamment de l'estimation de survie de l'adulte : "Il faut, cependant, garder à l’esprit que le taux de survie de l’adulte en mer est plutôt en baisse actuellement à cause des modifications du milieu marin liées au changement climatique et à la dégradation des cours d’eau (ICES, 2013). En effet, le taux de survie moyen observé chez le saumon adulte entre 2006 et 2012 est de 5,3 % sur le Scorff donc assez loin de la valeur utilisée (8,4 %). Avec cette valeur, le nombre total de saumons adultes ne serait plus alors que de 760 adultes produits par la zone rouverte."
Discussion
JF Baglinière nous a précisé lors d'échanges que cette première estimation avait été affinée, qu'une publication en journal scientifique revu par les pairs est en cours et que l'incertitude notamment sera mieux quantifiée dans cette future recherche.
Nous faisons les observations suivantes sur le modèle pour l'instant disponible :
- c'est un raisonnement déterministe assez simple (un type d'habitat donnera un volume de production) et dépendant des coefficients que l'on choisit pour le nourrir,
- il ignore la dynamique du bassin versant en dehors du facteur barrages (en particulier les effets du changement climatique sur la température et le débit, la dégradation sédimentaire et pollution chimique des eaux et des sols du bassin versant, l'évolution des peuplements autres que le saumon y compris les prédateurs de leurs oeufs et juvéniles, etc.),
- la dynamique du cycle global du saumon n'est pas couplée à ce modèle, en particulier l'évolution de sa phase maritime et les interrogations que l'on a aujourd'hui sur son avenir en Atlantique Nord.
Selon d'où l'on juge, ce gain sera jugé conséquent, modeste ou insignifiant. Nous avons publié un précédent article essayant d'objectiver ce gain par comparaison avec d'autres statistiques sur le saumon. il nous paraît très faible au retard du coût du chantier et des nuisances nombreuses à la population riveraine.
Nous jugeons indispensable avant tout engagement de travaux que l'Etat produise les données suivantes pour ce qui concerne le cas particulier du saumon:
- une estimation consolidée des retours d'adultes avec leur fourchette d'incertitude,
- une comparaison du gain salmonicole avec les chantiers de même type dans le monde (incluant la dépense économique par unité de saumon remontant),
- une comparaison des gains de l'effacement avec les gains que procurerait une solution de type prélèvement aval et lâcher amont (hypothèse maintien du barrage), puisque les UPSAT à l'amont des zones ennoyées sont plus importantes que celles des zones ennoyées,
- une garantie raisonnable que le saumon atlantique fréquentera toujours son aire méridionale en situation de changement climatique.
Référence : Forget G. et al (2014), Estimation des capacités de production en saumon du bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit, 8 p., non publié.