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Plus de 20.000 ouvrages hydrauliques dans la mire des casseurs… stop!

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Après dix ans de discours monolithique des administrations, la continuité écologique devient enfin un objet de débat en France, tant sur son acceptabilité sociale que sur ses bases scientifiques. On découvre à cette occasion le nombre réel d'obstacles à l'écoulement concernés par le classement en liste 2 des rivières : plus de 20.000 ! Chiffre qui fait de la France le seul pays au monde à prétendre détruire ou transformer son patrimoine hydraulique dans de telles proportions et sur un délai aussi court. Il ne faut plus seulement ralentir, mais stopper cette politique aventureuse et coûteuse dont la démesure est désormais patente.

Sur la rivière Rouvre, on casse.

Le 23 novembre 2016, quatre scientifiques invités à l'Assemblée nationale ont remis en question la politique actuelle de continuité écologique (voir cet article). L'omerta des services administratifs a vécu et ces interventions sont depuis lors abondamment commentées dans le "petit monde de l'eau". C'est également le cas sur Internet comme le montre la tribune de Marc Laimé (excellent blog critique Eaux glacées) sur l'intervention des experts à l'Assemblée, observant sans pincettes que "lesdits experts ont littéralement dynamité le consensus convenu sur ladite 'continuité écologique', révélant les enjeux cachés d’une véritable supercherie, qui a déjà provoqué des dégâts considérables depuis une dizaine d’années".

Le journal spécialisé en ligne Actu Environnement s'est également fait l'écho de la question. On y apprend une donnée nouvelle: il y aurait plus de 20.000 ouvrages menacés, et non pas 15.000 selon le chiffre qui circulait jusqu'à présent : "Au 1er janvier 2016, selon le référentiel des obstacles à l'écoulement, 20.665 ouvrages figuraient sur les cours d'eau classés en liste 2. Une partie d'entre eux est concernée par l'obligation d'aménagement ou l'arasement. Au titre du dixième programme, les six agences de l'eau se sont fixées un objectif de près de 5.000 ouvrages à traiter sur la période 2013 - 2018."

Sur la rivière Sienne, on casse

On observera que les Agences de l'eau programment 5000 dossiers sur 2013-2018, soit le quart des chantiers au mieux, alors que l'obligation réglementaire était censée s'exercer sur 5 ans. Le sur-dimensionnement de la réforme est flagrant, d'autant que beaucoup de dossiers d'études financés par les Agences de l'eau ne donnent lieu à aucun chantier, en raison du refus de financement public de travaux au coût disproportionné pour les particuliers, les petits exploitants ou les collectivités modestes. Sauf si l'on casse, bien sûr, puisque les représentants de l'Etat au sein des Agences ont généralement mis en avant cette solution comme préférable, donc finançable de 80 à 100%. L'argent des Français dépensé à détruire les moulins de leur pays comme soi-disant urgence écologique des années 2010: en cette année électorale où l'égarement des élites est un thème d'actualité, où l'on ne sort pas de la crise sociale et où l'on espère une conduite exemplaire de l'Etat, les citoyens ne vont pas manquer d'interpeller à ce sujet les prétendants à leurs suffrages...

Actu Environnement acte les carences en connaissance scientifique (que notre association dénonce depuis plusieurs années déjà): "le constat d'un besoin de travaux de recherche sur cette question semble plus largement partagé. Une expertise scientifique collective avait également pointé, en mai 2016, le déficit de connaissance concernant les impacts cumulés des retenues d'eau. 'Nous manquons de retour d'expérience concernant le rétablissement de la continuité écologique, estime également Philippe Boët, directeur adjoint scientifique du département Eaux de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea). Des collègues de l'Inra ont fait un état des lieux pour le projet d'effacement de barrages sur la Sélune et devaient faire le suivi scientifique sur un long laps de temps mais l'arasement a été bloqué par des oppositions locales'."

Le même chercheur (P. Boët, Irstea) souligne au passage que le changement climatique fait évoluer la donne, y compris pour les espèces migratrices cibles de la continuité: "Ce qu'il faut défendre, c'est la capacité d'adaptation des espèces (…). Toutefois, nous sommes entrés dans l'anthropocène… Et il est illusoire de penser que ce type de populations de poisson pourrait être autosuffisant. Elles ont maintenant besoin de notre aide. Mais faut-il continuer à faire des efforts pour rétablir le saumon en Garonne sachant qu'avec l'élévation de température, nous aurons aussi des diminutions de débit ?… La question se pose !". Contrairement à ce que pérorent les idéologues du Ministère sur leur site ("idées fausses" auxquelles répondent point à point nos "idées reçues"), de nombreux aménagements conçus pour certaines espèces auront une valeur et une fonctionnalité incertaines au fil des changements thermiques et hydrologiques annoncés pour ce siècle. Sans compter que la continuité ne peut pas tout, comme le montrent par exemple 40 ans d'efforts publics sans grand succès pour le saumon de l'axe Loire-Allier. Si les rivières continuent d'être réchauffées, polluées, colmatées, pompées, si les grands barrages de 10, 20 ou 50 m sont sans projet de continuité, ce n'est pas l'effacement de quelques ouvrages d'Ancien Régime qui fera revenir des poissons dont les riverains les plus âgés témoignent qu'ils étaient encore présents avant les 30 Glorieuses.

Sur la rivière Morgon, on casse

Le débat est donc lancé, et on ne peut que s'en féliciter tant le ronron circulaire et le blabla autosatisfait des administrations devenaient caricaturaux sur ce sujet de la continuité.

Mais ce n'est que la partie émergé de l'iceberg:

  • la politique de l'eau souffre d'une dérive technocratique et antidémocratique massive, l'essentiel des normes étant décidé à Bruxelles ou Paris, reproduit au siège de chaque Agence de l'eau, imposé de manière verticale et descendante sans que le riverain ne soit consulté pour autre chose que les détails d'exécution de décisions déjà prises ailleurs, avec des représentants politiques manifestement dépassés par la technicité du sujet et laissant la gouvernance réelle aux compromis issus des équilibres instables lobbies-administrations,
  • le "paradigme écologique" (voir Morandi et al 2016) qui a saisi depuis les années 2000 la direction de l'eau du Ministère de l'Environnement, les Agences de l'eau les syndicats, parcs et autres acteurs territoriaux ne parvient pas à intégrer les dimensions non-environnementales (paysagères, patrimoniales, ludiques, esthétiques, etc.) des rivières et plans d'eau, en contradiction frontale avec leur perception sociale dominante  (voir ce texte sur les attentes négligées des rivières), 
  • cette gestion dite "écologique" se précipite dans l'action pour l'action (plus de 2 milliards d'euros à dépenser chaque année par l'Agence) et ignore les enseignements des travaux scientifiques sur l'écologie des milieux aquatiques, montrant entre autres choses que les restaurations physiques des écoulements ne produisent pas de résultats importants ou durables si les pollutions chimiques et les usages des sols dégradés des bassins persistent (or, la France est en retard sur la transition vers une agriculture plus durable comme sur la mise aux normes des assainissements face aux pollutions diffuses ou émergentes). Par ailleurs, les diagnostics écologiques de beaucoup de bassins versants ne sont pas à la hauteur d'une politique censée être fondée sur les faits et les preuves (voir ce texte), donc on agit de manière désordonnée voire hasardeuses (problème du greensplashing où les bonnes intentions tiennent lieu de gouvernail, tant pis si l'action n'a pas d'effet significatif sur les milieux),
  • la recherche d'un "état de référence" des masses d'eau posée comme critère par la DCE nous précipite vers l'échec et l'incohérence, car contrairement à ce que pensaient dans les années 1990 certains gestionnaires à la DG Environnement de Bruxelles, les cours d'eau anthropisés de longue date ne vont pas retrouver en quelques années ou même décennies des profils physiques, chimiques et biologiques comparables à des cours d'eau non-anthropisés formant la supposée "référence"à atteindre (voir Bouleau et Pont 2015). Ce conservationnisme naïf a été inspiré par une écologie du milieu du XXe siècle ignorant la dynamique des milieux et la profondeur historique des évolutions dans le cas des rivières, ainsi que par des modèles simplistes pression-impact dont la recherche écologique montre les limites face à une réalité autrement plus complexe,
  • l'engagement volontariste dans la transition écologique et énergétique – déjà plus déclaratif qu'effectif vu nos retards sur tous les objectifs pointés par l'OCDE– exigerait de mobiliser sans arrière-pensée les capacités hydro-électriques bas-carbone des fleuves et rivières (voir ce texte), qui ont un meilleur coût de revient que les énergie marines, mais l'Etat envoie des signaux totalement contradictoires et assomme les trop rares projets d'un cortège d'exigences dénuées de réalisme économique. 

Sur la rivière Loing, on casse

Le débat est donc nécessaire, et il ne fait que commencer. Mais les riverains et propriétaires d'ouvrages, sans qui aucune avancée sur le dossier ne sera possible (certainement pas sur les pharaoniques objectifs de 20.000 seuils et barrages), ne sont pas vraiment disposés à débattre tant qu'on gare la pelleteuse moteur chauffant dans leur cour. Le délai de 5 ans consenti cette année est une cautère sur une jambe de bois, car une solution insolvable et inacceptable en 2017 le sera tout autant en 2022. Le moratoire sur les effacements d'ouvrages est donc plus que jamais le préalable à une discussion de fond sur l'avenir de la continuité écologique. Car celle-ci a certainement un avenir. Mais il ne réside pas dans le rapport de force imposé sur ce dossier par l'Etat ni dans la destruction du patrimoine des ouvrages anciens comme mesure prioritaire de défragmentation.

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