Equiper les seuils et barrages déjà existants de petites centrales hydro-électriques au fil de l'eau a-t-il des effets négatifs sur les poissons? Une équipe anglo-canadienne de chercheurs (universités de Brighton et de Toronto, Agence environnementale du Royaume-Uni) s'est penché sur la question. Les scientifiques n'observent aucun effet sur 5 des 6 marqueurs de population piscicole (dont saumons et truites), et un effet négligeable pour le dernier. Leurs travaux, forcément préliminaires dans un domaine encore peu étudié, soulignent aussi des points dérangeants: la rareté des études sur les petits ouvrages, a fortiori les petites centrales hydro-électriques, le manque de rigueur méthodologique de beaucoup d'analyses en écologie aquatique. En ce domaine, la France s'est hélas dotée d'une politique désastreuse de découragement de l'équipement énergétique et d'incitation à l'effacement des petits ouvrages hydrauliques, politique fondée sur les convictions idéologiques davantage que sur des études scientifiques de qualité. Il faut corriger le tir.
Les auteurs rappellent en introduction les faibles émissions de CO2 par kWh produit pour les petites centrales hydro-électriques (PCH) au fil de l'eau : 4 grammes équivalent CO2 (g eqCO2) au kWh contre 1001 g CO2eq / WHh pour le charbon, 469 pour le gaz, 46 pour le solaire, 16 pour le nucléaire et 12 pour l'éolien. Ce bilan carbone positif, associé à un faible impact sur les autres usages des rivières et bassins dans le cas des centrales de taille modeste, incite les décideurs à voir dans la petite hydro-électricité un élément légitime de la lutte contre le changement climatique.
Autre point mis en avant par les chercheurs : la pauvreté de la recherche. Autant les grands barrages ont fait l'objet d'analyses scientifiques, autant les PCH en sont généralement orphelines. De surcroît, les choix d'hypothèses et d'observations n'apportent pas toujours des enseignements utiles. "Les précédentes recherches dans ce domaine ont été limitées par l'absence de données standardisées à long terme et la faiblesse de conceptions des études — reposant principalement sur la dynamique post-construction et la comparaison de tronçons de référence amont-aval, ce qui limite les conclusions que l'on peut en tirer".
Gary S. Bilotta et ses collègues ont donc sélectionné des sites où l'on dispose de données de qualité pour effecteur une comparaison, à savoir des mesures:
Pour 161 PCH, seuls 23 ont correspondu aux critères posés par les auteurs. Leur chutes (1, 5 à 96 m), leurs longueurs de tronçon court-circuité (5 à 1150 m), leurs équipements (turbines Kaplan, Turgo, Francis, Banki-Mitchell, vis d'Archimède, roues) et leurs puissances (3 à 450 kW) reflètent la réalité de la petite hydro-électricité. C'est assez rare pour être souligné car nombre d'études mise en avant en France (par exemple sur la mortalité piscicole en turbine) sont faites sur la base de données et modèles issues de sites EDF, avec des puissances de l'ordre de MW ou de la dizaine de MW, sans rapport avec les PCH.
Six données piscicoles ont été analysées (rapportées à 100 m^2 de surface) : nombre d'espèces, nombre de poissons, nombre de saumons atlantiques (Salmo salar), nombre de saumons de plus d'un an, nombre de truites communes (Salmo trutta), nombre de truites de plus d'un an. Le résultat est exprimé dans le graphique ci-dessous (les carrés indiquent la moyenne, les barres l'intervalle de confiance à 95%, avant / après, site de contrôle / site équipé).
Les conclusions sur cette analyse avant-après :
Enfin les auteurs rappellent que la plupart des sites étudiés sont d'équipement récent et ont suivi des bonnes pratiques dans leur conception. Cela ne préjuge pas de l'effet de sites plus anciens, qui serait à étudier avec la même rigueur pour arriver à des conclusions robustes.
Discussion
Les auteurs soulignent en conclusion les limites de leur propre travail, en raison de la faiblesse d'échantillonnage, et rappellent que bon nombre d'études piscicoles ou d'écologie des milieux aquatiques ne disposent d'aucune évaluation de la puissance statistique des méthodes employés, donc du risque des faux positifs ou des faux négatifs. "Le résultat d'études à faible puissance statistique peut être à la fois trompeur et dangereux, pas seulement par leur incapacité à détecter des changements écologiques significatifs, mais aussi parce que cela crée l'illusion qu'une chose utile a été faite".
On ne peut que conseiller aux gestionnaires français de méditer sur ces propos. Nombre de relevés effectués par l'Onema ou des fédérations de pêche sont par exemple avancés comme des "preuves" d'un phénomène (abondance ou rareté d'espèces, écart à une typologie, impact de telle ou telle pression) sans avoir toujours les méthodes nécessaires pour inférer ces conclusions avec un degré raisonnable de confiance (problème déjà souligné par Peterman 1997 dans le cas des études piscicoles, dont 98% n'analysent pas le risque d'erreur de seconde espèce). Dans un domaine qui engage l'argent public et qui recouvre de nombreux enjeux (pas seulement piscicoles au sein de l'écologie, et pas seulement écologiques au sein des bénéfices sociaux), la moindre des choses est d'avertir le décideur du caractère encore incertain et préliminaire de la plupart des connaissances sur les rivières.
Le travail de Bilotta et de ses collègues cherche un signal lié à l'équipement hydro-électrique, mais ne décrit pas l'effet des seuils sur les assemblages piscicoles, puisque l'échantillon de référence est lui aussi fragmenté d'ouvrages sans usages. Toutefois, des travaux français en hydro-écologie quantitative indiquent que cet effet serait modeste (de l'ordre de 12% de la variance des scores de qualité piscicole selon Van Looy et al 2014), en particulier quand l'effet relatif des barrages et seuils est comparé à d'autres causes de variation de l'état écologique des rivières (13e facteur de variation piscicole, selon Villeneuve et al 2015). Ces travaux concordent avec d'autres résultats de la recherche internationale (par exemple Wang et al 2011, Cooper 2016) : si les barrages, et en particulier les grand barrages, ont des effets importants dans la zone d'influence de leur bassin versant, et parfois sur des espèces migrant à longue distance, l'effet cumulé de l'ensemble des ouvrages hydrauliques ne paraît pas pour autant un facteur de premier ordre de la variation de population piscicole (à supposer par ailleurs que cette variation puisse être ramenée par l'écologue à une notion de "qualité", d'"intégrité" ou même de "référence", ce qui est un débat épistémologique chez les chercheurs eux-mêmes, voir par exemple Bouleau et Pont 2015 ou le livre de Lévêque 2013). Quant à l'effet historique des ouvrages et aux évolutions à long terme des populations piscicoles, le sujet reste pour l'essentiel une terra incognita de la recherche, les premiers travaux n'apportant pas forcément des conclusions attendues (voir Clavero et Hermoso 2015, Haidvogl et al 2015, Belliard et al 2016).
Dans le dossier de 2013 consacré au classement des rivières et à la continuité écologique, notre association appelait à une "double modernisation écologique et énergétique" des ouvrages hydrauliques. L'action publique française a hélas! choisi d'inciter par la réglementation et par le financement à la suppression la plus large possible des seuils et barrages. Il est peu compréhensible qu'une posture correspondant à des visions minoritaires dans la société, manquant cruellement d'études scientifiques préalables sur les petits ouvrages, soit ainsi devenue une politique nationale. La correction de cette aberration est une urgence pour les prochaines réformes de la loi sur l'eau. Et l'étude scientifique des cours d'eau fragmentés reste une priorité, pour faire des choix efficaces et proportionnés d'aménagement.
Référence
Bilotta GS et al (2016) The effects of run-of-river hydroelectric power schemes on fish community composition in temperate streams and rivers, PLoS ONE, 11, 5, e0154271. doi:10.1371/journal.pone.0154271
Les auteurs rappellent en introduction les faibles émissions de CO2 par kWh produit pour les petites centrales hydro-électriques (PCH) au fil de l'eau : 4 grammes équivalent CO2 (g eqCO2) au kWh contre 1001 g CO2eq / WHh pour le charbon, 469 pour le gaz, 46 pour le solaire, 16 pour le nucléaire et 12 pour l'éolien. Ce bilan carbone positif, associé à un faible impact sur les autres usages des rivières et bassins dans le cas des centrales de taille modeste, incite les décideurs à voir dans la petite hydro-électricité un élément légitime de la lutte contre le changement climatique.
Autre point mis en avant par les chercheurs : la pauvreté de la recherche. Autant les grands barrages ont fait l'objet d'analyses scientifiques, autant les PCH en sont généralement orphelines. De surcroît, les choix d'hypothèses et d'observations n'apportent pas toujours des enseignements utiles. "Les précédentes recherches dans ce domaine ont été limitées par l'absence de données standardisées à long terme et la faiblesse de conceptions des études — reposant principalement sur la dynamique post-construction et la comparaison de tronçons de référence amont-aval, ce qui limite les conclusions que l'on peut en tirer".
Gary S. Bilotta et ses collègues ont donc sélectionné des sites où l'on dispose de données de qualité pour effecteur une comparaison, à savoir des mesures:
- standardisés pour le peuplement piscicole,
- disponibles à moins d'1 km des sites,
- en comparaison de mesures similaires et faites sur des tronçons avec des seuils non équipés (l'objet étant de comprendre l'effet spécifique de l'équipement hydro-électrique de ces seuils).
Pour 161 PCH, seuls 23 ont correspondu aux critères posés par les auteurs. Leur chutes (1, 5 à 96 m), leurs longueurs de tronçon court-circuité (5 à 1150 m), leurs équipements (turbines Kaplan, Turgo, Francis, Banki-Mitchell, vis d'Archimède, roues) et leurs puissances (3 à 450 kW) reflètent la réalité de la petite hydro-électricité. C'est assez rare pour être souligné car nombre d'études mise en avant en France (par exemple sur la mortalité piscicole en turbine) sont faites sur la base de données et modèles issues de sites EDF, avec des puissances de l'ordre de MW ou de la dizaine de MW, sans rapport avec les PCH.
Six données piscicoles ont été analysées (rapportées à 100 m^2 de surface) : nombre d'espèces, nombre de poissons, nombre de saumons atlantiques (Salmo salar), nombre de saumons de plus d'un an, nombre de truites communes (Salmo trutta), nombre de truites de plus d'un an. Le résultat est exprimé dans le graphique ci-dessous (les carrés indiquent la moyenne, les barres l'intervalle de confiance à 95%, avant / après, site de contrôle / site équipé).
Figure extraite de Bilotta et al 2016, art. cit., droit de courte citation.
- les effets des PCH sont très faibles (l'intervalle de confiance inclut la valeur nulle),
- 5 des 6 mesures n'ont pas de variation significative,
- la seule mesure ayant une variation significative est le nombre d'espèces, avec une baisse négligeable de -0,06 par 100 m^2.
Enfin les auteurs rappellent que la plupart des sites étudiés sont d'équipement récent et ont suivi des bonnes pratiques dans leur conception. Cela ne préjuge pas de l'effet de sites plus anciens, qui serait à étudier avec la même rigueur pour arriver à des conclusions robustes.
Discussion
Les auteurs soulignent en conclusion les limites de leur propre travail, en raison de la faiblesse d'échantillonnage, et rappellent que bon nombre d'études piscicoles ou d'écologie des milieux aquatiques ne disposent d'aucune évaluation de la puissance statistique des méthodes employés, donc du risque des faux positifs ou des faux négatifs. "Le résultat d'études à faible puissance statistique peut être à la fois trompeur et dangereux, pas seulement par leur incapacité à détecter des changements écologiques significatifs, mais aussi parce que cela crée l'illusion qu'une chose utile a été faite".
On ne peut que conseiller aux gestionnaires français de méditer sur ces propos. Nombre de relevés effectués par l'Onema ou des fédérations de pêche sont par exemple avancés comme des "preuves" d'un phénomène (abondance ou rareté d'espèces, écart à une typologie, impact de telle ou telle pression) sans avoir toujours les méthodes nécessaires pour inférer ces conclusions avec un degré raisonnable de confiance (problème déjà souligné par Peterman 1997 dans le cas des études piscicoles, dont 98% n'analysent pas le risque d'erreur de seconde espèce). Dans un domaine qui engage l'argent public et qui recouvre de nombreux enjeux (pas seulement piscicoles au sein de l'écologie, et pas seulement écologiques au sein des bénéfices sociaux), la moindre des choses est d'avertir le décideur du caractère encore incertain et préliminaire de la plupart des connaissances sur les rivières.
Le travail de Bilotta et de ses collègues cherche un signal lié à l'équipement hydro-électrique, mais ne décrit pas l'effet des seuils sur les assemblages piscicoles, puisque l'échantillon de référence est lui aussi fragmenté d'ouvrages sans usages. Toutefois, des travaux français en hydro-écologie quantitative indiquent que cet effet serait modeste (de l'ordre de 12% de la variance des scores de qualité piscicole selon Van Looy et al 2014), en particulier quand l'effet relatif des barrages et seuils est comparé à d'autres causes de variation de l'état écologique des rivières (13e facteur de variation piscicole, selon Villeneuve et al 2015). Ces travaux concordent avec d'autres résultats de la recherche internationale (par exemple Wang et al 2011, Cooper 2016) : si les barrages, et en particulier les grand barrages, ont des effets importants dans la zone d'influence de leur bassin versant, et parfois sur des espèces migrant à longue distance, l'effet cumulé de l'ensemble des ouvrages hydrauliques ne paraît pas pour autant un facteur de premier ordre de la variation de population piscicole (à supposer par ailleurs que cette variation puisse être ramenée par l'écologue à une notion de "qualité", d'"intégrité" ou même de "référence", ce qui est un débat épistémologique chez les chercheurs eux-mêmes, voir par exemple Bouleau et Pont 2015 ou le livre de Lévêque 2013). Quant à l'effet historique des ouvrages et aux évolutions à long terme des populations piscicoles, le sujet reste pour l'essentiel une terra incognita de la recherche, les premiers travaux n'apportant pas forcément des conclusions attendues (voir Clavero et Hermoso 2015, Haidvogl et al 2015, Belliard et al 2016).
Dans le dossier de 2013 consacré au classement des rivières et à la continuité écologique, notre association appelait à une "double modernisation écologique et énergétique" des ouvrages hydrauliques. L'action publique française a hélas! choisi d'inciter par la réglementation et par le financement à la suppression la plus large possible des seuils et barrages. Il est peu compréhensible qu'une posture correspondant à des visions minoritaires dans la société, manquant cruellement d'études scientifiques préalables sur les petits ouvrages, soit ainsi devenue une politique nationale. La correction de cette aberration est une urgence pour les prochaines réformes de la loi sur l'eau. Et l'étude scientifique des cours d'eau fragmentés reste une priorité, pour faire des choix efficaces et proportionnés d'aménagement.
Référence
Bilotta GS et al (2016) The effects of run-of-river hydroelectric power schemes on fish community composition in temperate streams and rivers, PLoS ONE, 11, 5, e0154271. doi:10.1371/journal.pone.0154271