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Idée reçue #17: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique"

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Depuis quelques mois, un nouvel élément de langage circule dans le milieu des gestionnaires de rivière : effacer les ouvrages est indispensable pour lutter contre les effets de réchauffement climatique. Après l'entrave à auto-épuration chimique, gadget de communication qui résiste mal à l'épreuve de l'examen scientifique, les ouvrages de moulins, d'étangs et d'usines à eau seraient maintenant responsables d'une aggravation du changement climatique. Quand on veut tuer son chien, on l'accuse d'avoir la rage… Mais cette nouvelle idée reçue n'a pas grand chose de solide pour appuyer ses assertions. L'effacement des ouvrages hydrauliques présente un mauvais bilan CO2, alors que leur équipement en énergie hydro-électrique limite au contraire l'effet de serre. La conservation d'outil de régulation des niveaux de la rivière peut se révéler précieuse avec les crues et étiages plus sévères du climat changeant. L'ouvrage hydraulique est donc auxiliaire de notre adaptation au changement climatique! Quant aux poissons d'eau froide et en particulier aux salmonidés – dont la préservation au service des intérêts particuliers du loisir pêche est un non-dit de l'opaque réforme de continuité écologique –, leur aire de répartition risque de toute façon de se réduire à certaines têtes de bassin. Il n'est nul besoin de tout casser pour les y conserver.




Avant de s'adapter, prévenir : l'intérêt de la production hydro-électrique- La première réponse à la menace du changement climatique, c'est de limiter au maximum et au plus vite les émissions de gaz à effet de serre, afin d'éviter un basculement durable dans un nouveau régime climatique dont les conséquences ultimes pour les sociétés et les milieux sont assez largement inconnues. Pour cette raison, l'hydro-électricité connaît un développement à l'échelle mondiale : c'est une technologie simple, rustique et durable ; elle a un excellent bilan carbone (en région tempérée notamment) et matières premières ; elle offre une bonne prévisibilité pour le réseau électrique et dans certains cas (STEP), elle permet de stocker l'énergie produite par d'autres sources renouvelables ou de répondre aux pointes (voir cette synthèse sur l'intérêt énergétique des petits ouvrages). Le choix français de geler une bonne part du développement hydro-électrique au nom de la continuité écologique, voire de détruire les ouvrages déjà en place permettant son exploitation, est en contradiction totale avec la stratégie nationale et européenne de transition écologique et énergétique. Il faut au contraire encourager la croissance de l'énergie hydraulique partout où cela est possible : en rivière, en fleuve et en mer, dans les réseaux d'eau (AEP) et les retenues en place. Bien entendu, certains effets secondaires indésirables de ce développement hydro-électrique sont réels et doivent être minimisés, grâce aux travaux de recherche appliquée sur l'ichtyocompatibilité des prises d'eau et des régimes de débit. Mais il faut garder mesure et remettre les choses à leur place : on ne conçoit pas une politique énergétique de lutte contre le réchauffement climatique en fonction d'une répartition différentielle de poissons sur des tronçons de rivière intéressant essentiellement le loisir de la pêche.

Le bilan carbone des destructions n'est pas calculé, et il est probablement négatif pour le CO2 - La récente expertise collective Irstea-Inra-Onema (Carluer et al 2016, voir ce lien) a montré que le bilan CO2 (dioxyde de carbone) des retenues est généralement meilleur que celui des rivières libres, car la dissolution du gaz et le stockage du carbone y sont plus efficaces. L'inverse est vrai pour le CH4 (méthane), davantage produit dans les retenues et les zones humides. Avis des chercheurs : "pour les retenues installées sur des rivières, il semble que l’émission de CO2 soit plus importante dans la rivière que dans la retenue, l’ordre étant inversé pour CH4". Le CH4 est un gaz à effet de serre nettement plus puissant que le CO2, mais sa durée de vie atmosphérique est nettement moindre (quelques années à décennies pour le méthane, plusieurs siècles pour le CO2). C'est la raison pour laquelle les chercheurs considèrent que le dioxyde de carbone est le premier facteur anthropique du changement climatique, son forçage de long terme laissant tout le temps aux rétroactions (vapeur d'eau, nuages, fonte des glaces) du système Terre pour amplifier le signal initial de réchauffement. En détruisant les retenues pour restaurer des rivières "libres" de moindre largeur et hauteur, on tend plutôt à aggraver le bilan CO2. S'ajoutent à ce bilan négatif la mobilisation d'engins lourds pour les chantiers de destruction et la fréquente nécessité de ré-intervenir sur les rives, car l'évolution des écoulements provoque des effets non désirés sur les usages riverains. Tout cela n'a rien de très écologique, c'est de l'ingénierie qui dépense de l'énergie fossile.

Les ouvrages bien gérés peuvent aider à réguler la température des cours d'eau - On entend souvent dire que les retenues des ouvrages hydrauliques réchauffent l'eau. C'est en partie exact, mais le bilan thermique d'une retenue est bien plus complexe qu'un slogan (voir cette idée reçue). En région tempérée, le réchauffement de l'eau a surtout des enjeux en été, et pour certaines espèces qui recherchent l'eau froide: c'est donc un problème tout relatif, qu'il faut mettre en balance avec les autres effets du réchauffement local sur la biodiversité. Ainsi, et de manière contre-intuitive, une recherche française récente a montré que la hausse des températures au cours des 20 dernières années a été associée à davantage de richesse taxonomique des invertébrés, grâce à une productivité primaire accrue des rivières et autres masses d'eau (Van Looy et al 2016). Surtout, au lieu de les détruire sans discernement, il est possible d'utiliser les ouvrages hydrauliques pour réguler la température, donc atténuer certaines effets du réchauffement. Ainsi, les plus grands ouvrages (ou ceux dont les eaux sont turbides, comme souvent les étangs) gardent une température plus fraîche vers le fond, et le relargage du débit au bon niveau de hauteur permet de compenser un réchauffement de surface. D'autres facteurs, comme la reconstruction de la ripisylve, ont des effets très positifs sur la température et la biodiversité sans pour autant altérer le patrimoine hydraulique. Au cours des décennies et siècles à venir (durée de référence du réchauffement), on a donc tout un panel d'alternatives à tester: vouloir se précipiter à effacer est une pseudo-solution à courte vue.

Les ouvrages permettent de retenir une eau qui devient rare, plus généralement de réguler les niveaux - Il est notoirement difficile de simuler à long terme l'évolution de l'hydrologie, car le cycle de l'eau est complexe et le régime des précipitations répond à des déterminants multi-échelles, depuis les usages locaux de sols jusqu'à la circulation générale océan-atmosphère. Néanmoins, malgré une certaine variabilité des résultats et donc une confiance moyenne, la majorité des modèles climatiques prévoient à l'horizon de ce siècle une augmentation des phénomènes extrêmes (sécheresses, fortes précipitations), une hausse des précipitations hivernales et une baisse des précipitations estivales, une baisse tendancielle des débits sur certaines régions (voir Le climat de la France au XXIe siècle, vol 4, 2014). Dans ce contexte, la préservation des ouvrages hydrauliques paraît une nécessité. Ils permettent en effet de réguler les niveaux d'eau (ce pour quoi ils ont été conçus), de conserver une lame d'eau élevée à l'étiage, de rehausser et d'alimenter les nappes, de servir de refuge au vivant dans les rivières asséchées, de lisser des crues fréquentes… autant de fonctions qui peuvent devenir critiques face au changement climatique. La récréation artificielle de la "rivière libre" signifie au contraire la restauration de la fatalité de l'écoulement naturel, avec obligation pour les riverains de subir les caprices du temps. C'est en contradiction avec 6 millénaires de civilisation hydraulique ayant conduit l'homme à chercher la maîtrise raisonnée des flots. Quant à l'évaporation parfois mise en avant pour déprécier les retenues, elle est relativement négligeable par rapport aux volumes concernés (voir cette idée reçue).

Les espèces de poissons d'eau froide changeront de toute façon de répartition - L'une des premières préoccupations concernant les effets des ouvrages en situation de changement climatique concerne les poissons, qui ne représentent certes que 2% de la biodiversité aquatique (et moins de 0,5% pour les sténothermes), mais qui font l'objet d'une forte attention du lobby pêcheur (voir les travaux de l'Onema, ancien Conseil supérieur de la pêche, Les poissons d'eau douce à l'heure du changement climatique : état des lieux et pistes pour l'adaptation, 2014). Un constat empirique a par exemple été fait en étudiant la faune piscicole: les poissons sensibles à la chaleur ont tendance à monter en altitude, mais leur vitesse de remontée d'environ 13 m / décennie reste inférieure à celle des isothermes du changement climatique (de 40 à 74 m/ décennie), voir Comte et Grenouillet 2013. L'idée est que le rythme étant insuffisant, on peut avoir un risque d'extinction locale et que l'effacement des barrages limiterait ce risque (voir typiquement cette page de l'Onema). Cette conclusion paraît quelque peu hâtive et discutable dans sa généralité. D'abord, les zones aval à espèces eurythermes (zones à brème et à barbeau, tolérance aux variations thermiques) ne sont pas concernées. Ensuite, toutes les études d'écologie et biologie des populations concluent à la contraction future des aires de répartition et des biomasses d'espèces adaptées au froid, y compris lorsqu'il n'y a pas d'obstacles à la migration. "Renaturer" une rivière en faveur de salmonidés n'a guère de sens si l'eau de cette rivière est de toute façon appelée à devenir trop chaude pour une truite ou un saumon : le glissement biotypologique est une issue probable, et peu évitable. Enfin, pour les têtes de bassin, les espèces ne parcourent pas des dizaines de kilomètres pour "fuir" le réchauffement: elles évoluent par adaptation locale (sélection différentielle selon les variations thermiques et la résistance à ces variations). Les poissons d'eaux froides persistent et se reproduisent là où ils trouvent des habitats suffisants et à température conforme à leur stratégie de vie. Il est inutile de casser tous les ouvrages pour cela : il suffit de rétablir une connectivité critique à partir de modèles de priorisation sur les bassins versants dont le réchauffement sera insuffisant pour extirper les espèces d'intérêt. Préférer des méthodes intelligentes, informées et ciblées au lieu du choix radical, précipité et stupide de la pelleteuse pour le maximum d'ouvrages.

Remettons donc les idées à l'endroit: détruire les ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique n'est en rien une bonne stratégie de prévention et d'adaptation au changement climatique. On casse un potentiel d'énergie bas-carbone, on se prive d'un outil de régulation des niveaux de la rivière pour faire face aux sécheresses ou aux crues, on remplace une retenue par un lit au bilan CO2 moins bon, on ne sauvera pas pour autant les espèces d'eau froide dont l'habitat aura tendance à se réduire. L'ouvrage hydraulique est aujourd'hui un allié face au changement climatique, il est nettement préférable de le préserver, de l'équiper et de l'adapter à nos nouveaux besoins. Quant aux gestionnaires de rivière, ils doivent cesser de proférer des assertions présentées comme des certitudes alors qu'elles ont une base scientifique fragile, parfois inexistante. Affirmer que l'on peut modéliser avec un haut niveau de confiance la triple évolution des hydrosystèmes fragmentés, de leurs populations biologiques et des régimes pluies-débits sur 50 à 100 ans est une escroquerie intellectuelle qui dessert la cause de l'écologie. On doit agir avec prudence et discernement, et les quelques éléments empiriques ou théoriques dont on dispose plaident plutôt en faveur du maintien des ouvrages hydrauliques.

Illustration: perte de la Seine à Buncey, une année sèche (2015). Le réchauffement climatique devrait accroître le stress hydrique au cours de ce siècle. Il est préférable de conserver les retenues et plans d'eau au lieu de les détruire au nom de modes fondées sur des connaissances scientifiques encore peu robustes et des données de terrain lacunaires.



Exemple dans l'actualité : la destruction d'un barrage sur la Moselotte (Vosges) a mis à sec un canal, au grand dam des agriculteurs, des pêcheurs et des riverains. Voir couverture France Bleue et Vosges Matin, et ci-dessus le Paysan vosgien (cliquer pour agrandir). Le syndicat de rivière a programmé une vingtaine d'opérations de ce type... va-t-on tolérer indéfiniment ces pratiques d'apprentis sorciers, alors qu'il existe des solutions non destructives pour rétablir la connectivité là où elle est nécessaire? Que deviendront les rivières "défragmentées" quand les étiages sévères vont se multiplier, comme nous le promettent les chercheurs? Au regard des milliers d'opérations envisagées en France et de la carence catastrophique de connaissances des hydrosystèmes locaux en appui de cette politique, le moratoire sur les effacements d'ouvrages est une urgente nécessité.

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