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La pisciculture de Champlost (89) détruite sous prétexte de continuité écologique

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Sur le Créanton (affluent icaunais de l’Armançon) à Champlost, un ouvrage hydraulique a été détruit afin de "renaturer" la rivière. Coût estimé de l’opération : 345 k€ d’argent public pour moins de 500 m de linéaire concernés, sans protocole scientifique de suivi sur la durée pour connaître le bénéfice réel sur les milieux. Cette opération soutenue par le Sirtava (Syndicat de l’Armançon) et l’Agence de l’eau Seine-Normandie est une gabegie supplémentaire conduisant à détruire le patrimoine historique (ouvrage fondé en titre) et le potentiel économique (le site avait servi d’usine hydro-électrique et de pisciculture). L’examen des données disponibles révèle plus clairement l’absurdité du chantier: le Créanton est massivement recalibré au XXe siècle et pollué sur l’ensemble de son lit, il subit des flux de particules fines liés aux usages du bassin versant et des prélèvements dès la source, l’état piscicole vers 1900 (reconstruit par des chercheurs) montre que les moulins n’ont guère d’impact sur la biodiversité et, de l’aveu même du rapport de la Fédération de pêche de l’Yonne, la zone aval soi-disant "renaturée" est celle qui avait de toute façon les meilleurs peuplements de poissons à l’époque contemporaine. Quand cette mascarade va-t-elle donc cesser ? Nous demandons de geler les opérations d’effacement en rivière, comme Ségolène Royal en a instruit les Préfets.

Le Créanton est un affluent de l’Armançon, long de 19 km environ. Son bassin versant représente une superficie de 135 km2.  En 2015, le moulin et la pisciculture de Champlost (89), situés à 5 km de la confluence, n’ont pas échappé au rouleau compresseur de la continuité écologique. Le moulin figurant sur la carte de Cassini est fondé en titre. Il a bénéficié d’un règlement d’eau en 1857. Un projet d’usine électrique a été mis en œuvre avant 1920 et a produit jusqu’en 1949. Une pisciculture a été installée en 1980 et le parc accueillait du public (pêche à la ligne, mini-golf, buvette). Le moulin a donc prouvé, si besoin était, ses fonctionnalités au cours des siècles et l’argument de son actuelle "absence d’activité" témoigne d’un manque élémentaire de prise en considération du long terme (voir cette idée reçue).

Le fonds était à vendre avant 2010. L’arrêté préfectoral trentenaire autorisant l’exploitation piscicole était à renouveler. A cette occasion, il était normal que la DDT subordonne la délivrance d’un nouvel arrêté à des travaux de mise en conformité au titre du Code de l’environnement. Compte tenu de la topographie, de la modestie de l’ouvrage répartiteur et de la retenue (remous amont de moins de 300 m), ces travaux ne constituaient pas une contrainte technique compliquée et n’auraient pas dû engager un coût démesuré, à condition de choisir des solutions sobres. Le maître d’ouvrage aurait donc pu obtenir un nouvel arrêté préfectoral, puis vendre sa pisciculture dans de bonnes conditions. Au lieu de cela, une désinformation organisée sur ses obligations et sur les coûts annoncés a fortement suggéré au requérant esseulé, désemparé, d’endosser le rôle de "porteur de projet" ambitieux en restauration de rivière. Il serait en cela assisté par le Sirtava (Syndicat de l’Armançon) et couvert de subventions.


C’est le procédé habituel des autorités et gestionnaires de rivière pour imposer la continuité écologique : on repère des sites en situations de faiblesse ou de dépendance à un acte administratif, on procède à un chantage à la subvention pour l’effacement tout en brandissant en parallèle le spectre d’une mise en demeure avec des coûts d’aménagement très élevés. Tous les maîtres d’ouvrage qui ont subi ces pressions peuvent témoigner de leur caractère insupportable et insidieux.

Le Créanton, rivière dont la morphologie a été remaniée de la source à la confluence
Qu’en est-il du Créanton, cette rivière que ses "sauveurs" autoproclamés prétendent améliorer en détruisant un moulin ? En 2009 la Fédération de pêche de l’Yonne a produit un rapport intitulé Première estimation de la fonctionnalité piscicole du Créanton et de ses affluents. Voilà ce qui est dit des multiples remaniements du lit de la rivière :

"La quasi totalité du linéaire du Créanton a subi des aménagements divers et variés ayant pour but d’en améliorer la capacité hydraulique ou d’en utiliser la force motrice,
- aménagements anciens pour l'utilisation de la force hydraulique qui font obstacle à la libre circulation du poisson et au transport sédimentaire. Ils n'ont pour la plupart plus aucune activité économique connue et pourraient valablement être aménagés ou plus simplement détruits.
- aménagements hydrauliques récents ou anciens du bassin versant en vue en autre chose de favoriser l'agriculture. Ceci a conduit non seulement à une modification drastique des profils en long et travers de ce ruisseau mais aussi à une vraisemblable transformation de son régime hydrologique.
Pour exemple nous citerons de l’amont vers l’aval:
- curage et recalibrage total entre Vaudevanne et le Ponceau dans les années 70,
- busage sur 100 ml au terrain de football à Chailley en 1998/2000,
- curage sur le bief du moulin d’en haut à Venizy au début des années 90 avec destruction des zones de frayère au lieu dit la planche,
- suppression progressive du vrai lit du Créanton au ponceau par comblement et non respect du débit réservé,
- curage et recalibrage en 1987 du Créanton du pont des lames jusqu’à la route départementale 129 au lieu-dit les Pommerats, soit une longueur de 500 ml, sur la base d’une autorisation de recépage et faucardage. Ceci a conduit à la destruction d’une vaste zone de frayères à truite identifiée au préalable par le Conseil Supérieur de la Pêche,
- disparition des frayères sur tout le parcours du Créanton entre le pont de la RD943 à Avrolles et l’usine du Boutoir ayant pour cause le curage de la rivière en 1976.
Cette liste n’est bien évidement pas exhaustive !"

Le Créanton face aux pollutions chimiques et aux particules fines
Concernant la qualité chimique et physico-chimique, cette même étude relevait : "on notera la mauvaise qualité observée pour les nitrates sur la totalité des mesures disponibles. Pour ce paramètre, les valeurs relevées sont en progression constantes et il est vraisemblable que la situation ne se soit pas près de s’améliorer de façon notable au vu de la pression agricole exercée sur ce bassin versant. (…) Pour les pollutions autres que diffuses (agriculture) et chroniques (domestiques), le Créanton est en passe de battre le record des citations départementales avec le lauréat sans concurrent que constitue la commune de Chailley et son industrie agroalimentaire. La liste ci dessous dresse un bilan non exhaustif des diverses pollutions portées à la connaissance de la FYPPMA sur le Créanton,
- mai 1983, pollution par traitement agricole avec mortalité de poissons à Venizy, 
- octobre 1993, pollution industrielle à Brienon sur Armançon, 
- septembre 1996, pollution industrielle à Chailley, 
-mars 1998, pollution industrielle à Chailley,
- décembre 1999, pollution industrielle à Chailley, 
- janvier 2000, pollution communale à Chailley, 
- juin 2003, pollution industrielle à Chailley, 
- décembre 2004, pollution industrielle à Chailley, 
- août 2005, pollution industrielle à Chailley, ... 
Cette liste est bien évidemment non exhaustive.
(…)
Pour les sédiments, nous noterons un colmatage très important par des matières en suspension fine dont l'origine est liée principalement au ruissellement des terres agricoles."

Malgré ce contexte assez catastrophique, la zone de la pisciculture de Champlost (située entre les points de contrôle Cr1 et Cr2) possédait les meilleurs recrutements piscicoles, comme le prouve ce relevé de la Fédération de pêche qui montre une dégradation croissante de la faune piscicole vers l’amont. Hors la truite qui aurait pu faire l'objet d'un aménagement de franchissement peu coûteux, on trouve de part et d'autre de l'ouvrage détruit des chabots, des lamproies de Planer, des vairons, etc.

Source : rapport FYAPPMA 2009, op. cit., droit de courte citation.

Dans un travail mené par des chercheurs sur l’histoire des peuplements du bassin de Seine (Beslagic 2013a, 2013b), il a été montré que malgré ces dégradations et aussi surprenant que cela puisse paraître, le Créanton a un peuplement dans la période moderne 1981-2010 qui a moins d’espèces limnophiles qu’au XIXe siècle. Ce même travail (ci-dessous les peuplements en 1900 grisé et en 2000 noir)  montre qu’à l’époque où le moulin existait déjà et depuis longtemps, il n’y avait pas de problèmes particuliers pour les barbeaux, anguilles, brochets et autres espèces d’intérêt.
Source : Beslagic 2013a, art. cit., droit de courte citation.

Bureau d’études aux ordres pour un projet pharaonique à 350 k€
Ces données indiquent assez clairement qu'un ouvrage vieux de plusieurs siècles n'est certainement pas le premier souci de la rivière, donc le premier motif à dépenser de l'argent public pour viser des gains de qualité. Malgré cela, le bureau d’études SEGI missionné par le Sirtava et financé par l’Agence de l’eau Seine-Normandie n’a pas manqué de prétendre que le moulin et la pisciculture représentaient une grave dégradation du Créanton et de son peuplement biologique. On retrouve dans le rapport les habituelles généralités à mots demi-savants qui servent à justifier n’importe quelle destruction d’ouvrage aujourd’hui (alors que l’essentiel de la recherche scientifique internationale sur la continuité écologique concerne des altérations de débit et donc de morphologie sans commune mesure avec l’impact quasi-nul de la petite hydraulique).

Voilà ce que dit le rapport du Coderst sur les ambitions du projet de restauration :

"Le projet prévoit la suppression de l’ouvrage hydraulique de dérivation des eaux vers la pisciculture et la modification du tracé du Créanton sur un linéaire d’environ 500 m. L’objectif étant de se rapprocher du tracé originel, avant aménagement du site, tel que déterminé par l’analyse topographique du terrain et la recherche des points bas. Les caractéristiques morphologiques du nouveau lit (sinuosité, profondeur, largeur...) ont été dimensionnées à partir de relevés réalisés sur des tronçons références situés à proximité. Cet aspect du projet vise à augmenter la quantité (longueur du linéaire) et la diversité (différents faciès d’écoulements) des habitats disponibles pour la faune aquatique sur le tronçon afin de maximiser les gains écologiques attendus suite à la suppression de l’ouvrage. Avec une énergie relativement faible, les capacités physiques d’ajustement du Créanton ne sont pas suffisantes pour qu’il remodèle de lui-même une diversité de formes de son lit."

Donc :
  • il s’agit de "renaturer" 500 m d’un cours d’eau qui est massivement dégradé par ailleurs, (mais qui l’est clairement moins dans la zone du moulin visé, en termes piscicoles),
  • pour une rivière qui n’a pas l’énergie de dessiner son lit, c’est-à-dire une prétendue renaturation artificielle, par ingénierie et travaux publics – les tresses et méandres ne sont pas des fins en soi en tête de bassin sur les petits cours d’eau, c’est absurde de vouloir répéter les traits physiques que les manuels observent sur les lits moyens à forte activité sédimentaire et crues morphogènes !
Coût estimé de cette opération : 345.206,40 € TTC. L’argent public des Français une nouvelle fois jeté dans la rivière, avec destruction du patrimoine historique et du potentiel économique pour des renaturations dont 10 ans de littérature scientifique internationale montrent qu’elles ont des effets modestes, nuls voire parfois négatifs sur la biodiversité.

A notre connaissance, aucun protocole de suivi n’a été décidé : on dépense sans chercher à savoir ce qu’il en sera de la comparaison avant / après, sur le long terme (plus de 12 ans sont considérés comme nécessaires), non seulement pour les poissons, mais aussi bien les insectes, crustacés, amphibiens, reptiles, oiseaux et autres espèces qui définissent la vraie biodiversité, laquelle ne se résume pas à quelques proies potentielles des pêcheurs à la ligne. Parmi les éléments du projet expliquant son coût : la création d’un pont d’une capacité de 16 tonnes alors que le pont sur une voie publique à l’entrée de la propriété n’offre, sauf erreur, qu’une capacité d’environ 5 tonnes… sûrement pour permettre aux pelleteuses et bulldozers de venir "renaturer" la rivière tous les 20 ans. Et tous les services valident ces idées dépourvues de bon sens.

Enquête publique bâclée
L’enquête publique fut un modèle de mascarade démocratique. Le commissaire enquêteur avoua ne pas être compétent en hydromorphologie ni en continuité écologique, il cherche des réponses aux questions posées dans "les services compétents où il a reçu un très bon accueil" (p. 27). Il les obtient par le "maître d’ouvrage", dont il copie-colle les idées sans commentaires critiques. Cette grande complaisance  ("réponse détaillée et argumentée que j’estime tout à fait satisfaisante")  vis-à-vis de son mandant décrédibilise l’enquête publique. Celle-ci pèche une seconde fois quand elle ne donne aucun écho à plusieurs remarques qui auraient dû attirer son attention:
  • l’insistance appuyée sur le projet "le plus ambitieux" alors qu’aucune autre solution n’a été sérieusement étudiée,
  • une délibération du conseil municipal de Champlost qui se prononce à 14 voix plus 1 abstention (sur 15)  pour une solution technique alternative logique et peu onéreuse,
  • une disproportion des coûts (donc des options "ambitieuses") "qui peut sembler supérieure à ce qui est raisonnablement nécessaire" (p17)
  • des diagnostics peu robustes, voire aberrants, avec une ignorance quasi-complète du contexte de la rivière et de son bassin versant,
  • des lacunes sur le potentiel énergétique du moulin, la pérennisation de la production piscicole, l’emploi futur, la valorisation touristique, le patrimoine culturel, etc.

Conclusion : stop !
Comme beaucoup de syndicats de rivière soumis à la pression financière de l’Agence de l’eau Seine-Normandie et à la pression règlementaire DDT-Onema, auxquelles s’adjoignent divers lobbies sectoriels dont souvent les fédérations de pêche, le Sirtava déploie une politique des ouvrages hydrauliques dont le principal horizon paraît l’effacement au profit d’une fantasmatique renaturation. On l’observe aujourd’hui à Tonnerre comme hier à Champlost. Ce choix n’est pas rigoureusement établi au plan scientifique, n’est pas correctement débattu au plan démocratique, ne correspond pas à des priorités écologiques par rapport à nos obligations européennes de qualité de l’eau, ne respecte pas le patrimoine historique et culturel de nos rivières, néglige les nombreux avantages que présentent les ouvrages hydrauliques, représente des coûts exorbitants (il y a plus de 300 ouvrages comme celui de Champlost à traiter dans l’Yonne et autant en Côte d’Or).  En un mot, ce choix est mauvais : il doit cesser.

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