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Pas d'effet piscicole à long terme d'une restauration morphologique sur la Günz (Pander et Geist 2016)

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Une recherche allemande sur le suivi d'une rivière fortement modifiée par l'homme (Günz, en Bavière) montre que les populations de poissons rhéophiles n'ont tiré aucun bénéfice à long terme des mesures de restauration morphologique et dynamique des habitats en berges. Ce travail rappelle le caractère largement expérimental et les résultats non garantis de l'ingénierie écologique appliquée aux milieux aquatiques. Ce qui est tout à fait normal dans le développement de la connaissance scientifique ne l'est plus quand des politiques publiques engagent des dépenses massives pour modifier des rivières sur la base de présupposés assez fragiles et sans campagne systématique de suivi des effets obtenus.

Plus de 37% des rivières allemandes ont été classée comme "masses d'eau fortement modifiées" : ce critère prévu par la DCE 2000 permet de prendre en compte la réalité de certains cours d'eau ayant des influences anthropiques anciennes et nombreuses, altérant de manière conséquente les peuplements et les écoulements. Ce critère induit notamment des exigences écologiques et chimiques moins strictes.

Joachim Pander et Juergen Geist, chercheurs à l'Université technique de Münich, ont analysé une de ces masses d'eau, la Günz. Ce cours d'eau bavarois de 55 km (bassin versant de 710 km2) est un affluent en rive droite du Danube. Il est aménagé depuis le XVIIIe siècle, avec au total 102 seuils et 5 barrages-réservoirs. L'aire étudiée a fait l'objet d'une restauration morphologique en 2006, avec un premier contrôle en 2008. Le deuxième contrôle de 2013 vise à analyser l'évolution du peuplement piscicole et des conditions physico-chimiques après 5 ans.


Illustration extraite de Pander et Geist 2016, art. cit., droit de courte citation. Localisation géographique de la rivière étudiée et types d'aménagement de berge concernés.

La restauration a ici consisté en un renforcement de berge et aménagement de micro-habitats avec quatre types de modèle (arbustes, arbrisseaux, herbacés, fascine de bois mort, cf illustration ci-dessus). Les débits lors des analyses (mars et juillet) étaient compris entre 5.0 et 8.5 m3/s. Des conditions similaires pour la pêche de contrôle ont été recherchées entre chaque campagne. Pour les poissons, les chercheurs ont analysé la richesse spécifique, la biomasse, la diversité alpha, la proportion d'espèces rhéophiles, limnophiles et indifférentes.

En 2008, 20 espèces de 7 familles de poissons ont été relevées ; en 2013, 21 espèces de 8 familles. Les cyprinidés dominaient les deux campagnes avec 14 espèces. Seules 5 espèces typiquement rhéophiles (barbeau, hotu, loche franche, chabot commun et goujon) ont été relevées dans chacune des campagnes. En 2013, le nombre d'individus était de 1674, soit une division par rapport à 2008 d'un facteur 2,3. La biomasse totale a également diminuée d'un facteur 1,5.

Les chercheurs observent : "contrairement à notre hypothèse, les données à long terme sur l'efficacité et la fonctionnalité de quatre mesures différentes de restauration de berge de la rivière très modifiée Günz étaient moins prononcées que prévu, et encore moins prononcées que la réponse à court terme. En général, aucune amélioration substantielle des communautés piscicoles dans l'aire étudiée n'était détectable, indiquant qu'aucune des mesures de restauration n'a été capable d'améliorer substantiellement la biomasse, la diversité, le nombre d'individus ou les classes distinctes de poissons sur le long terme".

Les chercheurs en déduisent que les rivières déjà fortement modifiées par l'homme ne sont pas forcément des cibles prioritaires de la restauration morphologique, laquelle demande un potentiel écologique préservé. Une restauration isolée n'aura pas d'effet si elle n'est pas accompagnée de mesures plus larges et coordonnées sur ces bassins très modifiées – mesures dont la faisabilité est donc à estimer vu leur ampleur.

Quelques commentaires
Les auteurs soulignent à juste titre que la restauration écologique doit avoir une approche "fondée sur la preuve", avec un management adaptatif (et non une application mécanique de règles génériques à toutes les situations). Les cas d'échec sont loin d'être isolés, ils forment même un topique récurent des discussions scientifiques en restauration de rivière (voir cette synthèse). L'écologie des milieux aquatiques reste une science jeune et ses applications en ingénierie à visée restaurative sont plus expérimentales que routinières.

Il n'y a pas de mal à cela, puisque toute connaissance progresse ainsi. Le problème réside plutôt dans la manière dont la restauration physique des cours d'eau est mise en oeuvre à travers les politiques nationales. En France, environ le quart des budgets des Agences de l'eau dans leur présent exercice quinquennal a été dédié à ce poste : on est donc dans une dépense publique considérable, dont on voit les effets à travers les financements nombreux des syndicats sur ce compartiment morphologique des cours d'eau. Il semble qu'on a voulu passer en France de la théorie à la mise en oeuvre massive en oubliant l'étape intermédiaire des expérimentations à petite échelle avec suivi scientifique. Les retours d'expérience en hydromorphologie de l'Onema témoignent de la sous-information des pratiques : les protocoles de suivi ne sont presque jamais scientifiques, et aucun n'étudie sur une longue période la réponse des milieux.

Arrêtons les frais et revenons plutôt à une phase expérimentale, avec beaucoup moins de chantiers de restauration aux effets incertains, mais beaucoup plus de recherche appliquée sur des projets ciblés, pour en déduire des avancées dans les connaissances et les pratiques.

Référence : Pander J, J Geist (2016), Can fish habitat restoration for rheophilic species in highly modified rivers be sustainable in the long run?, Ecological Engineering, 88, 28–38

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