Le Sirtava et la commune de Tonnerre s'apprêtent à ouvrir une enquête publique pour l'effacement de deux seuils de la ville. Nous avons déjà montré pourquoi ce projet – qui coûterait 130 k€ de chantier et plus de 200 k€ en incluant les études – n'a quasiment aucun intérêt. En analysant les données de qualité DCE 2000, on s'aperçoit que la masse d'eau concernée (Armançon intermédiaire) est en état piscicole bon ou excellent dans les 3 derniers relevés, avec des scores qui tendent à s'améliorer. Cela malgré la présence de dizaines de seuils à l'amont comme à l'aval du point de contrôle, selon le Référentiel des obstacles à l'écoulement (ROE) de l'Onema. La gabegie d'argent public au nom de la continuité écologique continue de plus belle. Il faut cesser cette dérive.
Rappelons pour commencer les principes généraux de l'analyse de qualité des rivières. La France doit répondre à l'Union européenne de la qualité écologique et chimique de ses masses d'eau demandée par la Directive cadre européenne de 2000 (DCE), avec une soixantaine d'indicateurs à surveiller (dans 3 compartiments, biologique, physico-chimique et chimique). Une masse d'eau est une rivière ou une partie de rivière ayant une cohérence hydrologique. Le linéaire de l'Armançon est donc divisé en plusieurs masses d'eau de la source à la confluence. Celle qui intéresse Tonnerre a pour code européen FR HR65, et pour nom technique "L'Armançon du confluent du ruisseau de Baon (exclu) au confluent de l'Armance (exclu)", soit le cours intermédiaire de la rivière entre Tanlay et Saint-Florentin
Comme le savent ceux qui essaient de les consulter, les données de qualité de l'eau (gérées par les Agences en France) sont un véritable maquis. On devrait avoir une base nationale homogène avec, sur chaque masse d'eau, toutes les données détaillées et classées par année. Il n'en est rien. Certains bassins ont des interfaces assez accessibles, d'autre non. Les fichiers que l'on parvient à télécharger proviennent de toute sortes de sources publiques disséminées – on en trouve pas exemple sur data.eaufrance.fr, rapportage.eaufrance.fr,surveillance.eaufrance.fr, sans parler des agences qui ont ou non leur base… pourquoi faire simple et transparent quand on peut faire opaque et compliqué?
Dans le fichier de l'état des lieux 2013 fournis par l'Agence de l'eau Seine-Normandie, l'Armançon moyenne (FR HR65) est donnée en état biologique moyen, en état physico-chimique moyen, en état chimique "inconnu". Les causes exactes de dégradation écologique sont réputées "inconnues" (comme sur la plupart des masses d'eau de ce fichier). Dans les données disponibles cette fois sur le site du rapportage DCE à l'Union européenne, on observe une dégradation de l'état chimique de masse d'eau, due à la pollution diffuse aux hydrocarbures aromatiques polycycliques ou HAP (ici deux molécules, Benzo(g,h,i)perylene et Indeno(1,2,3-cd)pyrene).
La mesure spécifique nous intéressant est la qualité piscicole – qui, bien sûr, est encore hébergée à une autre adresse internet (ce serait trop simple), image.eaufrance.fr. Elle est disponible quant à elle de manière détaillée (score inclus) de 2001 à 2013, mais il n'y a pas un relevé chaque année sur chaque masse d'eau. Sur le tronçon concerné de l'Armançon, nous avons trouvé trois relevés de l'indicateur de qualité (indice poisson rivière IPR) pour les années 2003, 2008 et 2012. La station de contrôle de la qualité piscicole est située à Tronchoy, à l'aval de Tonnerre. Les résultats sont ci-dessous.
On observe que la qualité piscicole de la masse d'eau est considérée comme bonne (vert, entre 7 et 16) ou excellente (bleu, < 7) dans les 3 derniers relevés, avec une tendance à l'amélioration du score (plus le score est faible, meilleure est la classe de qualité). Cela signifie qu'au regard des critères européens, il n'y a aucun besoin d'effacer des ouvrages pour ce compartiment piscicole, qui est déjà dans la meilleure classe de qualité.
Ci-dessous, nous publions la carte ROE-IGN du tronçon de la masse d'eau FR HR65. Les flèches noires indiquent les ouvrages de Tonnerre (en bas) et la station de contrôle piscicole de Tronchoy (au-dessus). Surtout, les points rouges innombrables signalent les seuils en rivière.
Cela signifie que malgré la présence de nombreux ouvrages hydrauliques à l'amont comme à l'aval, la rivière parvient à un bon score pour ses peuplements piscicoles tels qu'ils sont évalués pour la directive européenne. Ces données infirment la fable selon laquelle les ouvrages supprimeraient tellement les habitats naturels que les espèces d'intérêt pour la masse d'eau auraient quasiment disparu. Ces données expliquent aussi peut-être la raison pour laquelle les bureaux d'études et le syndicat n'ont pas cru bon donner aux élus et aux citoyens une analyse complète de l'état de la masse d'eau et de ses causes exactes de dégradation.
Notons au passage que même si l'état piscicole avait été moyen ou mauvais, il aurait encore fallu démontrer un lien causal avec la continuité longitudinale, sachant que l'écart au bon état sur une rivière peut avoir de nombreuses raisons, les seuils de moulin étant l'une des moins probables si l'on en croit la faible variance associée dans les travaux scientifiques (cf par exemple Van Looy 2014 et Villeneuve 2015 sur des rivières françaises, et d'autres recherches internationales en hydro-écologie quantitative ou en histoire de l'environnement sur l'impact modéré de la morphologie pour la qualité biologique du cours d'eau). Inversement, ce n'est pas parce que l'état piscicole est bon qu'on peut en attribuer la cause aux seuils, on peut simplement constater que ceux-ci ne sont pas associés à une dégradation du linéaire sur ce compartiment.
Conclusion : le Sirtava à Tonnerre agit exactement comme le Sicec à Nod-sur-Seine, et comme tant d'autres syndicats de rivière ou fédés de pêche en France, en détruisant des seuils au prétexte de sauver des poissons qui n'en ont manifestement pas besoin au regard des mesures officielles de qualité des masses d'eau que nous envoyons à Bruxelles. Le tout avec la bénédiction de l'Agence de l'eau Seine-Normandie, qui signe généreusement des chèques avec notre argent. Combien de dizaines de millions d'euros gâche-t-on ainsi chaque année à détruire le patrimoine hydraulique de notre pays, alors que certains besoins autrement plus importants des collectivités, et des rivières, ne peuvent plus être assurés correctement? C'est absurde, et obscène.
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Comme le savent ceux qui essaient de les consulter, les données de qualité de l'eau (gérées par les Agences en France) sont un véritable maquis. On devrait avoir une base nationale homogène avec, sur chaque masse d'eau, toutes les données détaillées et classées par année. Il n'en est rien. Certains bassins ont des interfaces assez accessibles, d'autre non. Les fichiers que l'on parvient à télécharger proviennent de toute sortes de sources publiques disséminées – on en trouve pas exemple sur data.eaufrance.fr, rapportage.eaufrance.fr,surveillance.eaufrance.fr, sans parler des agences qui ont ou non leur base… pourquoi faire simple et transparent quand on peut faire opaque et compliqué?
Dans le fichier de l'état des lieux 2013 fournis par l'Agence de l'eau Seine-Normandie, l'Armançon moyenne (FR HR65) est donnée en état biologique moyen, en état physico-chimique moyen, en état chimique "inconnu". Les causes exactes de dégradation écologique sont réputées "inconnues" (comme sur la plupart des masses d'eau de ce fichier). Dans les données disponibles cette fois sur le site du rapportage DCE à l'Union européenne, on observe une dégradation de l'état chimique de masse d'eau, due à la pollution diffuse aux hydrocarbures aromatiques polycycliques ou HAP (ici deux molécules, Benzo(g,h,i)perylene et Indeno(1,2,3-cd)pyrene).
La mesure spécifique nous intéressant est la qualité piscicole – qui, bien sûr, est encore hébergée à une autre adresse internet (ce serait trop simple), image.eaufrance.fr. Elle est disponible quant à elle de manière détaillée (score inclus) de 2001 à 2013, mais il n'y a pas un relevé chaque année sur chaque masse d'eau. Sur le tronçon concerné de l'Armançon, nous avons trouvé trois relevés de l'indicateur de qualité (indice poisson rivière IPR) pour les années 2003, 2008 et 2012. La station de contrôle de la qualité piscicole est située à Tronchoy, à l'aval de Tonnerre. Les résultats sont ci-dessous.
On observe que la qualité piscicole de la masse d'eau est considérée comme bonne (vert, entre 7 et 16) ou excellente (bleu, < 7) dans les 3 derniers relevés, avec une tendance à l'amélioration du score (plus le score est faible, meilleure est la classe de qualité). Cela signifie qu'au regard des critères européens, il n'y a aucun besoin d'effacer des ouvrages pour ce compartiment piscicole, qui est déjà dans la meilleure classe de qualité.
Ci-dessous, nous publions la carte ROE-IGN du tronçon de la masse d'eau FR HR65. Les flèches noires indiquent les ouvrages de Tonnerre (en bas) et la station de contrôle piscicole de Tronchoy (au-dessus). Surtout, les points rouges innombrables signalent les seuils en rivière.
Cela signifie que malgré la présence de nombreux ouvrages hydrauliques à l'amont comme à l'aval, la rivière parvient à un bon score pour ses peuplements piscicoles tels qu'ils sont évalués pour la directive européenne. Ces données infirment la fable selon laquelle les ouvrages supprimeraient tellement les habitats naturels que les espèces d'intérêt pour la masse d'eau auraient quasiment disparu. Ces données expliquent aussi peut-être la raison pour laquelle les bureaux d'études et le syndicat n'ont pas cru bon donner aux élus et aux citoyens une analyse complète de l'état de la masse d'eau et de ses causes exactes de dégradation.
Notons au passage que même si l'état piscicole avait été moyen ou mauvais, il aurait encore fallu démontrer un lien causal avec la continuité longitudinale, sachant que l'écart au bon état sur une rivière peut avoir de nombreuses raisons, les seuils de moulin étant l'une des moins probables si l'on en croit la faible variance associée dans les travaux scientifiques (cf par exemple Van Looy 2014 et Villeneuve 2015 sur des rivières françaises, et d'autres recherches internationales en hydro-écologie quantitative ou en histoire de l'environnement sur l'impact modéré de la morphologie pour la qualité biologique du cours d'eau). Inversement, ce n'est pas parce que l'état piscicole est bon qu'on peut en attribuer la cause aux seuils, on peut simplement constater que ceux-ci ne sont pas associés à une dégradation du linéaire sur ce compartiment.
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