Quantcast
Channel: Hydrauxois
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1264

"Il ne s’agit pas de rendre au cours d’eau son état naturel d’origine…"

$
0
0
Phénomène souvent observé dans les projets sur les ouvrages hydrauliques (seuils et barrages): à défaut de trouver un enjeu important de continuité au plan sédimentaire et piscicole, on met en avant l'intérêt de "restaurer des habitats" en effaçant totalement ou partiellement la retenue. Mais ce n'est pas ce que demande la loi et, pour une fois, la Direction de l'eau et de la biodiversité avait été explicite sur ce point dans la circulaire du 18 janvier 2013 sur la mise en oeuvre du L 214-17 CE. Petit rappel que les associations gagneront à opposer aux gestionnaires et aux autorités quand l'esprit de la réforme a été oublié au profit de postures locales maximalistes.

La circulaire du 18 janvier 2013 (téléchargeable à cette adresse) relative à la mise en oeuvre du L 214-17 CE énonce dans les "principes généraux d’application des classements":
"L’objectif de la liste 2 est l’amélioration du fonctionnement écologique des cours d’eau. Il ne s’agit pas de rendre au cours d’eau son état naturel d’origine mais de rétablir des fonctions écologiques et hydrologiques à un niveau permettant notamment l’atteinte des objectifs de la DCE, en rétablissant une circulation optimale des poissons migrateurs et un transfert suffisant des sédiments. Dans certains cas, la suppression d'obstacles avec renaturation de tronçons de cours d’eau pourra être justifiée pour atteindre cet objectif, sans qu'elle ne soit exigée par principe."
Comme on le sait, cette circulaire administrative se permet d'envisager la "suppression" des ouvrages alors que ni la loi sur les milieux aquatiques 2006 ni la loi de Grenelle 2009 n'avaient autorisé une telle issue (voir ici en détail le genèse de cet abus de pouvoir venant du sommet de l'Etat). Néanmoins, on voit que l'idée de "renaturation" n'est pas l'interprétation première de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère.



Malgré cela, un certain nombre de gestionnaires – techniciens de syndicats de rivière ou fédérations de pêche, agents de l'Onema, ingénieurs de bureaux d'études, chargés de mission des agences de l'eau – ont interprété la continuité écologique dans un sens maximaliste qu'elle n'a pas, à savoir la suppression totale ou quasi-totale de l'obstacle et de sa retenue afin de recréer un écoulement naturel sur le linéaire concerné, et les micro-habitats que cet écoulement produit.

Ce n'est pas le sens de la réforme. Et les travers de cette attitude sont évidents : à partir du moment où l'on considère que l'obstacle et sa retenue posent problème du seul fait de leur existence (car "non-naturels"), on aura tendance à proposer des solutions radicales. Il sera à peu près impossible pour ceux qui adoptent cette lecture de considérer que certains ouvrages (assez nombreux au final) pourraient ne demander aucun aménagement du tout car, dans les termes mêmes de la circulaire de la DEB, ils n'altèrent que de façon très mineure les "fonctions écologiques et hydrologiques", n'ayant de ce fait aucun impact réel sur "l’atteinte des objectifs de la DCE" de la masse d'eau concernée.

Dans les bassins où les Agences de l'eau financent à 80% la seule destruction des ouvrages, il est manifeste que la confusion a été institutionnalisée : ces Agences ont en fait posé un objectif de renaturation complète (qui devrait être limité à quelques opérations ciblées), au lieu de soutenir sans a priori les objectifs de restauration fonctionnelle (par tous moyens) des rivières là où elles en ont réellement besoin (c'est-à-dire là où les indicateurs biologiques de la masse d'eau sont globalement dégradés à cause de la discontinuité longitudinale). De la même manière, quand l'Onema publie un protocole ICE qui transforme un grand nombre d'espèces holobiotiques en "migrateurs", alors que certains individus (pas tous) de ces espèces ont simplement des comportements de déplacement ou de mobilité (non décisifs pour le cycle de vie), il y a matière à nourrir des excès réglementaires. Les services instructeurs finissent par demander que tout poisson ou presque puisse circuler en montaison et dévalaison. Ce qui fait pression en faveur de l'effacement comme seule solution réellement efficace. On le voit sur nos rivières bourguignonnes où, bien loin d'effacer pour des saumons ou des anguilles, on se propose désormais de détruire pour des barbeaux, des chabots, des lamproies de Planer, des chevaines, etc (ouvrant aussi la voie aux silures, peudorasboras, poissons-chats, perches soleil et autres poissons jugés indésirables dont la présence n'a évidemment rien de "naturelle" dans nos eaux!).

Nous demanderons donc au CGEDD (missionné par Ségolène Royal pour fait le point sur la continuité), au Ministère et aux parlementaires de prendre acte de cette dérive interprétative, pour revenir à une vision nettement moins extrême de la continuité écologique. Comme l'ont noté les députés Dubois et Vigier (dans leur rapport 2016 pourtant timide), le classement tel qu'il est conçu n'est pas applicable aujourd'hui dans les termes et délais prévus. Nous devons donc redéfinir des échelles de priorité (par exemple limiter les aménagements obligatoires aux besoins des amphihalins attestés sur le cours d'eau) et proposer des facteurs concertés de sélectivité (par exemple, déclasser les rivières déjà en bon état ou très bon état écologique DCE, ou encore celles dont l'état mauvais ou moyen n'est pas attribuable causalement à des problèmes de continuité longitudinale).

Pour conclure, l'idée de "renaturation" n'est pas seulement un problème réglementaire d'interprétation, c'est aussi et surtout une absurdité intellectuelle.  Depuis la sédentarisation, la présence humaine modifie les rivières et la dynamique de la "nature" inclut les actions de notre espèce comme les autres. Une rivière en 2016 ne peut pas être "naturelle" au sens de préservée de toute influence anthropique car elle est pêchée par l'homme depuis des milliers d'années, ses eaux sont diverties pour des usages agricoles, industriels ou domestiques, sa faune et sa flore ont été pour une bonne part introduites artificiellement, des centaines de molécules de synthèse y circulent, elle s'écoule à l'interface d'une atmosphère chimiquement et thermiquement modifiée, etc. Ceux qui proclament "renaturer" la rivière en cassant quelques-uns de ses seuils séculaires se bercent d'illusions et égarent l'opinion. L'écologie des milieux aquatiques ne mérite pas qu'on la défigure dans des slogans naïfs ou trompeurs, derrière lesquels percent trop souvent des enjeux de pouvoir.

Illustration : le lac de Saint-Agnan (Nièvre), de création artificielle, réserve de pêche 2nde catégorie dans un contexte salmonicole (rivière Cousin). Il n'y a rien de "naturel" dans de tels hydrosystèmes. Ce qui ne les rend pas pour autant déplaisants à leurs riverains et usagers, et ce qui ne signifie pas que ces milieux sont sans intérêt écologique.

Viewing all articles
Browse latest Browse all 1264

Trending Articles