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Histoire des rivières: quand l'urgence était de démanteler les barrages… des pêcheurs

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Les peuplements des rivières ont été modifiés de très longue date, tant par les changements physiques des écoulements liés aux retenues de moulins, aux étangs, aux canaux, aux aménagements des rivières flottables et aux écluses des fleuves navigables que par les influences de la pêche et de la pisciculture. Les discussions parlementaires relatives au vote du Code de la pêche (1829) rappellent que la préoccupation des élus était à l'époque les barrages à filet des pêcheurs davantage que ceux des moulins et usines, jugés franchissables pour la "remonte" des migrateurs. Ces débats apportent un indice supplémentaire sur l'impact modeste de la petite hydraulique d'Ancien Régime, tout en rappelant la nécessité d'une évaluation scientifique (indépendante) de l'effet multiséculaire de la pêche sur les peuplements ichtyologiques. Plus largement, c'est la notion de milieu naturel qu'il conviendrait de problématiser au regard de l'anthropisation ancienne des rivières.

Le Code de la pêche fluviale est promulgué par ordonnance royale le 24 avril 1829. Il s'agit à l'époque de moderniser les dispositions de l'ordonnance de 1669, édicté par Colbert sous Louis XIV pour établir le régime de conservation des forêts et des eaux, et de la loi du 4 mai 1802.

L'article 24 du Code énonce :
Il est interdit de placer dans les rivières navigables ou flottables, canaux et ruisseaux, aucun barrage, appareil ou établissement quelconque de pêcherie ayant pour objet d'empêcher entièrement le passage du poisson.

Dans la discussion à la Chambre de députés, M. Mestadier, rapporteur de la commission, avance l'argument suivant:
"Ce serait en vain que le législateur prendrait tous les moyens d'empêcher le dépeuplement des rivières, soit en déterminant lui-même la forme des filets et engins, les temps, saisons et heures de la pêche, la dimension des poissons, soit en proscrivant l'emploi de drogues ou appâts qui sont de nature à enivrer le poisson ou à le détruire, s'il permettait les barrages qui, empêchant la remonte du poisson, nuisent plus au repeuplement des rivières que toutes les drogues et tous les engins prohibés, et si l'administration ne tenait pas sévèrement la main à la prompte destruction des barrages frauduleusement construits pendant l'anarchie à laquelle le projet de loi mettra enfin un terme. Pourvu par la nature de l'instinct et de la force nécessaires pour affronter et vaincre les plus grandes difficultés, les poissons franchissent les digues, les déversoirs les plus rapides. Ils remontent les fleuves et rivières souvent jusqu'à leur source pour y déposer leur frai. Au lieu de présenter des deux côtés une pente douce sur laquelle le cours d'eau, quoique très rapide, ne peut pas arrêter la remonte, des barrages présentent au poisson qui remonte une face perpendiculaire qui oppose à ses efforts un obstacles invincible, le fait retomber dans les filets placés au pied du barrage, et empêche ainsi la reproduction. C'est donc avec raison que l'article 24 interdit les barrages ayant pour objet d'empêcher entièrement le passage du poisson. A cet égard, nulle possession n'a pu donner le droit, car la possession ne pourrait pas faire supposer un titre. Ce serait le droit d'empêcher le repeuplement des rivières, et on ne prescrit ni contre le droit naturel, ni contre la police générale, le bon ordre, le droit public".

Commentaires

Dans les impacts ayant modifié les rivières au cours des derniers siècles, on oublie souvent le rôle de la pêche. Avant de devenir très majoritairement une pêche de loisir après la guerre de 1914-18 et plus encore à compter des Trente glorieuses, elle fut une pêche alimentaire et de subsistance. L'ordonnance de Colbert au XVIIe siècle prenait déjà des mesures pour interdire la pêche à certaines périodes (nuit, frai), en raison de risques de disparition locale de certaines espèces. Le Code de la pêche s'inscrit donc dans ce sillage, en réponse à une pression. Le spectre du dépeuplement des rivières et l'importance de l'économie rurale vivrière au XIXe siècle conduiront ensuite à l'émergence d'une pisciculture d'inspiration scientifique, visant à maîtriser la reproduction des poissons en élevage, à empoissonner rivières et étangs de manière plus intensive, à acclimater des espèces étrangères, notamment nord-américaines. (Ce qui ne manquera évidemment pas d'avoir d'autres effets sur les ressources.)

En faisant allusion aux poissons qui remontent les fleuves pour aller frayer vers la source, le rapporteur à la Chambre des députés a probablement en tête des grands migrateurs amphihalins (saumon, truite de mer, grande alose, lamproie marine, anguille). Les autres espèces de poissons, qui ont des déplacements plus courts sur un biotope plus restreint, ne correspondent pas à ce comportement. Rappelons que la pêche aux saumons, aux aloses et aux lamproies avait été autorisée à toute saison par l'Ordonnance de 1669 (article VII, titre De la pêche), sans limitation contrairement aux interdits en temps de frai (février-juin) pour d'autres espèces. Cela indique soit l'abondance relative de ces espèces sur les rivières de l'époque, soit leur importance dans l'alimentation et le besoin de ne pas entraver leur pêche.

La mention de la "pente douce" des seuils des usines est intéressante. Pour les ouvrages les plus anciens (seuils fixes en rivière, sans organe mobile ou avec modeste vanne latérale), on trouve souvent ce profil en forme de "barrage poids" avec des versants amont et aval au parement inégal présentant effectivement une pente entre 30 et 60°. Ce type de profil favorise la reptation des anguilles. Si le seuil est modeste, et s'il y a fosse d'appel, il est franchissable par saut (ou par nage quand les crues surversent l'ouvrage avec des vitesses moindres vers les bords). Il n'est pas rare d'observer une échancrure ou une baisse de niveau à une extrémité de ce genre de seuil. On retrouve chez L Roule (1920) des considérations sur l'évolution du profil des barrages en lien à la raréfaction du saumon (voir cet article).

Pour autant, les barrages des moulins et usines attiraient aussi l'attention des édiles. M. Mestadier ajoute lors du débat sur le Code de la pêche la précision suivante: "Je profite de la circonstance pour émettre le voeu qu'à l'avenir, lorsqu'une administration autorisera des barrages pour les usines, elle prenne pour règle une ordonnance de nos rois qui avait décidé qu'aucun barrage pour des usines ne pourrait avoir lieu sans qu'il y eût des vannes ouvertes pendant le temps de frai." Ces préoccupations seront régulièrement exprimées au XIXe siècle. Par exemple, dans un département comme le Finistère (où les petits fleuves côtiers représentent un enjeu migrateur), un arrêté préfectoral fixe à la fin des années 1830 une largeur minimale de vanne de 2,5 m pour les nouveaux ouvrages. Il faudra attendre la loi sur la pêche du 31 mai 1865 pour que d'une part la pêche soit interdite toute l'année sur certaines rivières protégées, d'autres part des échelles à poissons puissent être prescrites sur certains cours d'eau (après enquête et décret en Conseil d'Etat).

Source : Brousse M. (1829), Code de la pêche fluviale, avec l'exposé des motifs, la discussion des deux chambres, et des observations sur les articles, Charles-Béchet (Paris), 250 p.

Illustration : Les quatre paysages [3] Le moulin à eau, estampe de Jacques Callot (v.1620-1630). On observe un pêcheur à filet au pied du seuil du moulin.

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