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Recueil d'expériences de l'Onema: un bon aperçu du manque de rigueur en effacement des ouvrages hydrauliques

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Pour convaincre les élus et les gestionnaires de l'intérêt d'effacer les ouvrages, l'Onema publie un recueil d'expériences en hydromorphologie. On s'aperçoit que le coût moyen d'effacement des 29 ouvrages présentés dans les fiches dépasse les 250 k€, que les deux-tiers des opérations n'ont pas de diagnostic initial ni de bilan avant-après, qu'aucun effacement ne procède à un bilan DCE 2000 du tronçon, à une analyse quantifiée des services rendus par les écosystèmes ni à une analyse coût-efficacité sur le critère écologique que l'on prétend améliorer. Ce recueil nous convainc donc d'une seule chose: il faut de toute urgence prononcer un moratoire sur la continuité écologique, afin de reprendre la question sur des bases scientifiques plus robustes et des méthodologies plus rigoureuses. Actuellement, on nage dans l'improvisation et la dépense pour la dépense, sans autre stratégie apparente que "restaurer de l'habitat"à l'aveugle, en absence de toute priorisation construite par modèle et sélection de sites d'intérêt écologique particulier.

Il est bien connu de la recherche scientifique internationale que les opérations de restauration morphologique de rivière présentent des résultats ambivalents et, pour beaucoup, des méthodologies médiocres (voir notre synthèse ; en particulier Morandi et al 2014 pour l'analyse de 44 projets de restauration en France). Cette préoccupation est apparue dans les années 2000, à mesure que certains concepts (comme la continuité écologique) sont devenus des outils pour les gestionnaires et ont nourri des programmes d'intervention en rivière. D'abord aux Etats-Unis, puis en Europe, des chercheurs ont tiré la sonnette d'alarme sur le flou conceptuel et technique entourant les objectifs de "restauration des rivières".

Dans un article très commenté, Margaret A Palmer et 20 collègues ont publié une synthèse sur les standards scientifiques attendus d'une opération de restauration écologique réussie (Palmer et al 2005). Ces chercheurs ont posé 5 critères de qualité pour ces opérations:
  • un état dynamique (ie incluant des tendances) du système initial et de l'ensemble de ses pressions;
  • une ou plusieurs mesures quantifiées de progrès de l'état écologique du site;
  • une amélioration de la résilience du système;
  • une absence de dommages à long terme (végétation, sédiments, espèces invasives);
  • un bilan écologique avant-après.
Ces attentes ne concernent que l'état écologique du tronçon concerné, sans se pencher sur la question des coûts économiques et des services rendus par les écosystèmes, ni sur le bilan chimique des retenues (azote, phosphore, carbone, rétention des pollutions aiguës). Elles n'incluent pas non plus le fait que les résultats des restaurations de rivière montrent des effets variables dans le temps (voir Kail et al 2015). Autant dire qu'il faudrait y voir un cahier des charges minimal pour le volet écologique, qui devrait normalement être doublé d'une  évaluation multicritère des autres dimensions des ouvrages (paysage, patrimoine, énergie, irrigation, recharge de nappe, loisirs, etc.). C'est particulièrement nécessaire en France et en Europe, où l'occupation et la valorisation de l'espace ne répondent pas aux mêmes critères qu'en Amérique du Nord.

L'Onema publie un recueil d'expériences en hydromorphologie, dont l'objectif est "d’inciter à la mise en œuvre de nouvelles actions de restaurations physiques du cours d’eau". Nous avons analysé les 29 actions présentées dans le compartiment "effacement total ou partiel d’obstacles transversaux" (ont été exclues les 5 actions ne portant pas sur un ouvrage précis, mais présentant des mesures de gestion sur tronçon). Les effacement d'ouvrages (ou d'étangs) représentent environ la moitié des opérations exposées dans le recueil— ce qui rappelle la dimension très destructive de la restauration morphologique"à la française".

Le tableau de synthèse ci-dessous montre quelques données d'intérêt (cliquer pour agrandir).


On observe que :
  • le coût total est de 8 millions € pour 29 ouvrages. Le coût moyen par opération est de 256 k€, le coût moyen au mètre de chute aménagée de 89 k€. Ces chiffres cachent des disparités importantes puisque le coût médian par mètre de chute est de 28 k€ et le coût médian par opération de 85 k€;
  • ces coûts paraissent minimisés puisqu'aucune indemnité des propriétaires n'est comptabilisée et le suivi à long terme n'est pas chiffré;
  • seules 11 opérations (38%) font l'objet d'un bilan avant-après, c'est-à-dire que dans les deux-tiers des cas, l'opération de restauration écologique ne fixe pas d'objectifs et ne peut pas justifier de résultats;
  • une seule opération présente des résultats quantifiés (à tout le moins dans le recueil); 
  • aucune opération n'a procédé à une évaluation des services rendus par les écosystèmes;
  • aucune opération ne présente l'évolution du bilan écologique et chimique DCE (statut du tronçon selon la directive-cadre sur l'eau);
  • aucune opération ne précise le bilan des espèces invasives;
  • aucune opération ne semble avoir un suivi qui excède les 5 ans.

Dans la quasi-totalité des cas, les gestionnaires concentrent leur approche sur une logique de "restauration d'habitat", par quoi il faut essentiellement entendre le remplacement d'une zone lentique par une zone lotique, avec le cas échéant des frayères pour des espèces d'intérêt halieutique. Le problème de cette approche est triple:
  • elle ne correspond à aucune obligation légale ni réglementaire, mais à une certaine appréciation (plus ou moins arbitraire) de la gravité relative de l'altération par le service instructeur ou le gestionnaire;
  • elle n'est pas généralisable (les coûts observés sur 29 ouvrages et rapportés aux 80.000 obstacles du Référentiel de l'Onema représenteraient une dépense de 21 milliards d'euros), donc elle devrait être sélective au plan de l'intérêt écologique (ce qu'elle n'est manifestement pas);
  • elle n'est (généralement) pas de nature à obtenir le bon état chimique et écologique des masses d'eau, ce qui est pourtant l'engagement prioritaire de la France à l'horizon 2027.
La politique française de continuité écologique a besoin d'un audit complet en vue de redéfinir ses méthodes et ses objectifs (voir aussi cette analyse). En particulier, le choix d'un classement massif des rivières françaises (entre 10.000 et 20.000 ouvrages à aménager en 5 ans seulement) a été prématuré au plan des connaissances sur les rivières, et précipité au regard de son calendrier ingérable d'exécution comme de ses coûts économiques importants.

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