Dans le classement le plus contraignant des rivières françaises (liste 2, obligation d'aménager l'ouvrage), les services de l'Etat ont procédé à de savants découpages. Plus question de continuité en ce domaine, on tronçonne à façon. Ou alors on ne classe pas du tout. La raison? Les rivières concernées possèdent de grands barrages. C'est-à-dire les plus impactants pour les milieux, ceux qui devraient être considérés en priorité en raison du blocage piscicole et sédimentaire total qu'ils occasionnent. Comme par hasard, ces ouvrages relèvent souvent de la gestion publique ou assimilée (EDF, VNF, EPTB…), quand ce ne sont pas des piscicultures ou réserves pour les fédérations de pêche. Deux poids deux mesures, mais une seule imposture: matraquer les petits ouvrages du domaine privé que l'on veut voir disparaître en affirmant sans preuve qu'ils ont un impact grave.
La continuité est une notion qui devrait être assez simple : l'eau circule de la source à la confluence ou à l'embouchure. Pourtant, quand on observe la classement des cours d'eau en liste 2 (c'est-à-dire avec obligation d'aménagement d'ouvrage à 5 ans), on s'aperçoit d'étonnantes discontinuités.
Un classement tout à fait discontinu: petits découpages entre amis
Voici à titre d'exemple quelques extraits des classements des rivières de Bourgogne. Leur point commun? Elles possèdent un ouvrage hydraulique de grande taille (servant à la production d'électricité, au soutien d'étiage de canaux, à l'écrêtement de crue). On s'aperçoit que le classement en liste 2… contourne très soigneusement l'obstacle!
Cure
De sa source à la limite aval de la masse d’eau : [FRHR. 49A] la Cure de sa source à l’amont du lac des Settons (exclu)
De la limite amont de la masse d’eau : [FRHR. 49C] la Cure de l’aval du lac des Settons à l’amont de la retenue de Crescent (exclu) au point défini par les coordonnées L. 93 : X : 770998, Y : 6698207
Yonne
De la source à l’amont de Pannecière
De l’aval de Pannecière à la confluence avec le cours d’eau [F31-0400] La Cure
Armançon
De la limite amont de la masse d’eau : [FRHR. 61C] L’Armançon de l’aval du lac de Pont au confluent de la Brenne (exclu) à la confluence avec le cours d’eau principal : [F3--0200] L’Yonne
Brenne
De la limite amont du réservoir biologique : [RB_63] rivière la Brenne aval et bief du moulin à la confluence avec le cours d’eau principal : [F3--0210] L’Armançon
Ternin
Le Ternin du barrage de Chamboux jusqu'à la confluence avec l'Arroux
Aron
L'Aron de la confluence avec le Trait jusqu'au barrage de Cercy-la-Tour
L'Aron du barrage de Cercy-la-Tour jusqu'à la confluence avec la Loire
Faites ce que je dis, mais ne dites pas ce que je fais: l'administration entend imposer aux ouvrages de ces rivières des aménagements à coût exorbitant (quand ce ne sont pas des destructions pures et simples) dont elle exonère généreusement les grands barrages du linéaire. On arrive à des situations proprement surréalistes où des fonctionnaires de la DDT et de l'Onema garantissent au propriétaire d'un seuil de 1,5 m qu'il est absolument nécessaire d'aménager son ouvrage pour que les poissons bénéficient des 500 derniers mètres les séparant d'un grand barrage VNF de 20 m de hauteur sans aucun projet d'aménagement. Et l'Agence de l'eau de renchérir en garantissant que l'argent public peut servir à ce triomphe manifeste de la continuité écologique.
Partialité, hypocrisie et manipulation à tous les étages
Comme nous l'avons exposé, à peu près toute la littérature scientifique sur la continuité écologique s'est construite depuis trente ans sur l'analyse des grands ouvrages hydrauliques, et non pas sur le rôle morphologique des moulins. Les raisons en sont simples à comprendre:
Certains objectent : "ah mais ces grands barrages ont un usage, eux" (sous-entendu fréquent chez les plus militants de ces forts d'esprit: "le propriétaire privé est toujours un vilain parasite, il faut en finir avec son ouvrage"). Cet argument utilitariste de l'usage est sans intérêt pour l'écologie. Il signale même en général un facteur aggravant : plus l'ouvrage montre cet "usage" qu'on lui vante, plus il est massif, plus il a d'impact sur les écoulements et les peuplements (hors STEP de montagne et autres configurations hydrauliques particulières). Par ailleurs, pour ce qui est de la circulation piscicole, il existe aujourd'hui des solutions (écluses, ascenseurs, vastes canaux de contournement) permettant de franchir des ouvrages de plusieurs dizaines de mètres : c'est une affaire de volonté politique, et le Ministère de l'Ecologie prétend en avoir à revendre dans le domaine de la continuité. Enfin, les mêmes qui vantent l'usage des grands barrages sont généralement les premiers à militer contre l'usage des petits, notamment leur équipement hydro-électrique ("vous n'y pensez pas … c'est pour faire du profit et c'est mal … cela ne produit presque rien, voyons … bla bla bla") et, de manière générale, à freiner des quatre fers les emplois locaux de l'eau (irrigation, pisciculture etc.) au prétexte de ne surtout pas altérer les milieux.
Pour finir, et indépendamment du scandale que représente le découpage entre initiés du classement des cours d'eau, on doit ajouter qu'au sein des tronçons classés, il n'y a aucune sorte de priorisation des ouvrages en fonction de leurs impacts. Il suffit d'observer les seuils et barrages effacés depuis quelques années, ce sont bien souvent les plus modestes et leur traitement prioritaire résulte d'une opportunité politique (le maître d'ouvrage qui a eu la faiblesse d'accepter un montage), pas d'une méthodologie transparente d'inspiration écologique. Alors que le classement en liste 2 a soi disant pour objectif les "poissons migrateurs" (au terme de la loi), qui sont presque tous amphihalins, il n'y a pas davantage de priorisation conçue selon les axes de migration. On compte par exemple plus de 900 ouvrages de liste 2 en Bourgogne, qui est une tête de bassin assez éloignée des mers : quand on voit les cours d'eau fragmentés, réchauffés et pollués que sont censés franchir les saumons, anguilles, lamproies marines, grandes aloses et autres migrateurs avant d'arriver dans les eaux bourguignonnes, on se demande pourquoi il était si urgent de classer tant d'ouvrages dès 2012 et 2013.
Remettons donc les idées à l'endroit : l'essentiel de la recherche scientifique en continuité écologique concerne l'impact des grands ouvrages hydrauliques sur le transit sédimentaire et le franchissement piscicole. L'administration française s'est livrée à une double imposture : elle a prétendu sans preuve que les ouvrages très modestes de la petite hydraulique ont de graves impacts sur les milieux ; elle a découpé le classement des rivières de sorte que certains des grands ouvrages à plus fort impact n'aient aucune obligation d'aménagement. Quand ces barrages épargnés relèvent de la gestion publique, et donc d'une exemplarité attendue de l'Etat, l'imposture s'aggrave d'une forfaiture. A cela s'ajoutent des classements massifs dans des chevelus des têtes de bassin où il n'existe aucun enjeu migrateur réel, alors que la loi a désigné cette dimension comme justificatrice du classement. Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques classés en liste 2 n'ont pas à accepter une réforme inégalitaire et inefficace, qui a manifestement été conçue pour éliminer sélectivement des seuils et barrages dont l'administration ne veut plus entendre parler.
Illustration : barrage de Pannecière (49 m), seuil de Belan-sur-Ource (1 m). Saurez-vous faire la différence entre un ouvrage ayant un fort impact et celui qui n'en a presque pas? Figurez-vous que pour les fonctionnaires et gestionnaires en charge de la continuité écologique, la réponse de sens commun ne va pas de soi… Ces choix grotesques seraient risibles si les mêmes personnes n'envoyaient pas leurs pelleteuses pour détruire le patrimoine hydraulique français.
La continuité est une notion qui devrait être assez simple : l'eau circule de la source à la confluence ou à l'embouchure. Pourtant, quand on observe la classement des cours d'eau en liste 2 (c'est-à-dire avec obligation d'aménagement d'ouvrage à 5 ans), on s'aperçoit d'étonnantes discontinuités.
Un classement tout à fait discontinu: petits découpages entre amis
Voici à titre d'exemple quelques extraits des classements des rivières de Bourgogne. Leur point commun? Elles possèdent un ouvrage hydraulique de grande taille (servant à la production d'électricité, au soutien d'étiage de canaux, à l'écrêtement de crue). On s'aperçoit que le classement en liste 2… contourne très soigneusement l'obstacle!
Cure
De sa source à la limite aval de la masse d’eau : [FRHR. 49A] la Cure de sa source à l’amont du lac des Settons (exclu)
De la limite amont de la masse d’eau : [FRHR. 49C] la Cure de l’aval du lac des Settons à l’amont de la retenue de Crescent (exclu) au point défini par les coordonnées L. 93 : X : 770998, Y : 6698207
Yonne
De la source à l’amont de Pannecière
De l’aval de Pannecière à la confluence avec le cours d’eau [F31-0400] La Cure
Armançon
De la limite amont de la masse d’eau : [FRHR. 61C] L’Armançon de l’aval du lac de Pont au confluent de la Brenne (exclu) à la confluence avec le cours d’eau principal : [F3--0200] L’Yonne
Brenne
De la limite amont du réservoir biologique : [RB_63] rivière la Brenne aval et bief du moulin à la confluence avec le cours d’eau principal : [F3--0210] L’Armançon
Ternin
Le Ternin du barrage de Chamboux jusqu'à la confluence avec l'Arroux
Aron
L'Aron de la confluence avec le Trait jusqu'au barrage de Cercy-la-Tour
L'Aron du barrage de Cercy-la-Tour jusqu'à la confluence avec la Loire
Faites ce que je dis, mais ne dites pas ce que je fais: l'administration entend imposer aux ouvrages de ces rivières des aménagements à coût exorbitant (quand ce ne sont pas des destructions pures et simples) dont elle exonère généreusement les grands barrages du linéaire. On arrive à des situations proprement surréalistes où des fonctionnaires de la DDT et de l'Onema garantissent au propriétaire d'un seuil de 1,5 m qu'il est absolument nécessaire d'aménager son ouvrage pour que les poissons bénéficient des 500 derniers mètres les séparant d'un grand barrage VNF de 20 m de hauteur sans aucun projet d'aménagement. Et l'Agence de l'eau de renchérir en garantissant que l'argent public peut servir à ce triomphe manifeste de la continuité écologique.
Partialité, hypocrisie et manipulation à tous les étages
Comme nous l'avons exposé, à peu près toute la littérature scientifique sur la continuité écologique s'est construite depuis trente ans sur l'analyse des grands ouvrages hydrauliques, et non pas sur le rôle morphologique des moulins. Les raisons en sont simples à comprendre:
- ces ouvrages sont totalement infranchissables aux poissons en montaison, et parfois dangereux (morbidité) en dévalaison;
- insubmersibles lors des crues, ils ne permettent aucun passage latéral (alors que l'ennoyage des petits ouvrages ou leur contournement par lit majeur innondé est fréquent);
- ayant une grande capacité d'accumulation, ils bloquent les sédiments (qu'ils relarguent pour les plus fins lors des vidanges d'entretien, entraînant des colmatages à l'aval);
- ces ouvrages stockent souvent l'eau et la relâchent parfois brutalement, provoquant alors des variations de débit sans commune mesure avec la variation naturelle d'un débit de rivière;
- l'écoulement par le fond (hypolimnique) entraînent parfois des variations thermiques importantes.
Certains objectent : "ah mais ces grands barrages ont un usage, eux" (sous-entendu fréquent chez les plus militants de ces forts d'esprit: "le propriétaire privé est toujours un vilain parasite, il faut en finir avec son ouvrage"). Cet argument utilitariste de l'usage est sans intérêt pour l'écologie. Il signale même en général un facteur aggravant : plus l'ouvrage montre cet "usage" qu'on lui vante, plus il est massif, plus il a d'impact sur les écoulements et les peuplements (hors STEP de montagne et autres configurations hydrauliques particulières). Par ailleurs, pour ce qui est de la circulation piscicole, il existe aujourd'hui des solutions (écluses, ascenseurs, vastes canaux de contournement) permettant de franchir des ouvrages de plusieurs dizaines de mètres : c'est une affaire de volonté politique, et le Ministère de l'Ecologie prétend en avoir à revendre dans le domaine de la continuité. Enfin, les mêmes qui vantent l'usage des grands barrages sont généralement les premiers à militer contre l'usage des petits, notamment leur équipement hydro-électrique ("vous n'y pensez pas … c'est pour faire du profit et c'est mal … cela ne produit presque rien, voyons … bla bla bla") et, de manière générale, à freiner des quatre fers les emplois locaux de l'eau (irrigation, pisciculture etc.) au prétexte de ne surtout pas altérer les milieux.
Pour finir, et indépendamment du scandale que représente le découpage entre initiés du classement des cours d'eau, on doit ajouter qu'au sein des tronçons classés, il n'y a aucune sorte de priorisation des ouvrages en fonction de leurs impacts. Il suffit d'observer les seuils et barrages effacés depuis quelques années, ce sont bien souvent les plus modestes et leur traitement prioritaire résulte d'une opportunité politique (le maître d'ouvrage qui a eu la faiblesse d'accepter un montage), pas d'une méthodologie transparente d'inspiration écologique. Alors que le classement en liste 2 a soi disant pour objectif les "poissons migrateurs" (au terme de la loi), qui sont presque tous amphihalins, il n'y a pas davantage de priorisation conçue selon les axes de migration. On compte par exemple plus de 900 ouvrages de liste 2 en Bourgogne, qui est une tête de bassin assez éloignée des mers : quand on voit les cours d'eau fragmentés, réchauffés et pollués que sont censés franchir les saumons, anguilles, lamproies marines, grandes aloses et autres migrateurs avant d'arriver dans les eaux bourguignonnes, on se demande pourquoi il était si urgent de classer tant d'ouvrages dès 2012 et 2013.
Remettons donc les idées à l'endroit : l'essentiel de la recherche scientifique en continuité écologique concerne l'impact des grands ouvrages hydrauliques sur le transit sédimentaire et le franchissement piscicole. L'administration française s'est livrée à une double imposture : elle a prétendu sans preuve que les ouvrages très modestes de la petite hydraulique ont de graves impacts sur les milieux ; elle a découpé le classement des rivières de sorte que certains des grands ouvrages à plus fort impact n'aient aucune obligation d'aménagement. Quand ces barrages épargnés relèvent de la gestion publique, et donc d'une exemplarité attendue de l'Etat, l'imposture s'aggrave d'une forfaiture. A cela s'ajoutent des classements massifs dans des chevelus des têtes de bassin où il n'existe aucun enjeu migrateur réel, alors que la loi a désigné cette dimension comme justificatrice du classement. Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques classés en liste 2 n'ont pas à accepter une réforme inégalitaire et inefficace, qui a manifestement été conçue pour éliminer sélectivement des seuils et barrages dont l'administration ne veut plus entendre parler.
Illustration : barrage de Pannecière (49 m), seuil de Belan-sur-Ource (1 m). Saurez-vous faire la différence entre un ouvrage ayant un fort impact et celui qui n'en a presque pas? Figurez-vous que pour les fonctionnaires et gestionnaires en charge de la continuité écologique, la réponse de sens commun ne va pas de soi… Ces choix grotesques seraient risibles si les mêmes personnes n'envoyaient pas leurs pelleteuses pour détruire le patrimoine hydraulique français.