Une équipe de chercheurs a étudié l'histoire du peuplement piscicole de la rivière Salzach dans le bassin du Danube – un cours d'eau marqué par la présence de plus de 300 barrages dont la plupart érigés au XXe siècle. En un siècle, le nombre d'espèces dans le bassin est passé de 21 à 23. Le brochet, le hotu et le huchon ont vu leurs abondances régresser en raison des restrictions d'habitat et de mobilité dues aux ouvrages (barrages, mais aussi digues dans le cas du brochet). Le flottage de bois ne semble pas avoir eu d'impact. La principale modification de peuplement sur la période est due à l'activité de pêche : deux espèces importées (omble des fontaines, truite arc-en-ciel) représentent plus de 29% des prises aujourd'hui. Cette étude rappelle tout l'intérêt de l'approche historique dans la gestion des rivières, et indique selon nous l'urgente nécessité d'une évaluation scientifique indépendante des conséquences de la pêche sur les cours d'eau.
Gertrud Haidvogl (Université des ressources naturelles et des sciences de la vie de Vienne), Didier Pont (Irstea) et leurs collègues ont examiné le peuplement historique d'une rivière germano-autrichienne, le Salzach, dans le bassin du Danube. Principal affluent de l'Inn, le Salzach est une rivière de montagne naissant à 2300 m d'altitude.
Les chercheurs ont retrouvé deux sources très précises sur le peuplement piscicole historique de la rivière : une carte de 1898 détaillant les présences de 38 espèces, dont 26 dans le bassin versant (Kollmann 1898) et les registres de pêche de Salzbourg de 1904. Les données concernent aussi 14 affluents du Salzach. (Ci-dessous : carte de Kollmann et carte du bassin versant).
A la fin du XIXe siècle, les trois espèces les plus répandues sont la truite commune (Salmo trutta), le chabot (Cottus gobio) et l'ombre (Thymallus thymallus).
Au long du XXe siècle jusqu'à nos jours, le nombre total d'espèces de la rivière est passé de 21 à 23 – ce gain de biodiversité est dû à des espèces importées. En l'occurrence, les deux espèces introduites à des fins de pêche sont la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) et l'omble des fontaines (Salvelinus fontinalis), d'origine nord-américaine.
Dans les évolutions notables, les auteurs relèvent une diminution de la présence du brochet (Esox lucius), du hotu (Chondrostoma nasus) et du huchon ou saumon du Danube (Hucho hucho). Le brochet souffre de l'endiguement des berges (il se reproduit dans des bras morts ou des annexes hydrauliques), tandis que les deux autres répondent à une très forte progression des ouvrages hydrauliques transversaux : de 52 barrages en 1900 à 309 aujourd'hui. On observera au passage que cette multiplication par 6 sur un laps de temps assez court a réduit les habitats et donc l'abondance des espèces mentionnées ci-dessus, mais n'a pas empêché le maintien de la biodiversité, y compris des espèces réagissant fortement à la fragmentation (rhéophiles, lithophiles, sténothermes, etc.). On ne trouve pas d'influence du flottage du bois, contrairement à d'autres études historiques.
La principale surprise de ce travail vient finalement du poids des introductions d'espèces à fin halieutique : la truite arc-en-ciel et l'omble des fontaines représentent aujourd'hui 29,3% de l'ensemble des prises du bassin, et ces espèces non-natives ont même colonisé les petites rivières. "Un des changements les plus importants de structure de communauté piscicole est le résultat de l'introduction délibérée d'espèces halieutiques pour les activités de pêche", notent les chercheurs dans leurs conclusions.
Quelques observations pour conclure
Cette recherche nous incite à réitérer une demande déjà formulée par plusieurs parties prenantes de la politique de l'eau en France, à savoir une étude scientifique indépendante des impacts historiques et actuels de l'activité de pêche.
On fait grand cas de l'intégrité biotique des peuplements piscicoles, en supposant (à tort selon nous) que les assemblages de poissons ont vocation à rester stables dans le temps, même en situation d'influence anthropique ou de changement climatique. Or, l'activité de pêche a de nombreux effets : prédation à l'époque de la pêche vivrière ayant pu conduire à des extinctions locales mais surtout introduction tantôt volontaire tantôt accidentelle d'espèces étrangères aux bassins et d'espèces d'élevage, avec comme conséquence la problématique importante des pathogènes touchant les espèces patrimoniales. Qu'une telle pression ne soit pas évaluée puis gérée de façon indépendante (c'est-à-dire scientifique, et non pas par des institutions de pêche juges et parties) est indigne d'une gestion de l'eau moderne et fondée sur la preuve.
Le travail de Gertrud Haidvogl et de ses collègues nous incite à nouveau à la plus grande prudence et à la plus grande rigueur quand on envisage des politiques de restauration des milieux aquatiques. En particulier, l'éclairage de l'histoire apporte des informations indispensables sur les dynamiques des populations piscicoles ainsi que sur leurs réponses aux pressions, ce qui est susceptible de conditionner les objectifs restauratoires ou conservatoires du gestionnaire.
Référence : Haidvogl G et al (2015), Long-term evolution of fish communities in European mountainous rivers: past log driving effects, river management and species introduction (Salzach River, Danube), Aquatic Sciences, 77, 395–410
Gertrud Haidvogl (Université des ressources naturelles et des sciences de la vie de Vienne), Didier Pont (Irstea) et leurs collègues ont examiné le peuplement historique d'une rivière germano-autrichienne, le Salzach, dans le bassin du Danube. Principal affluent de l'Inn, le Salzach est une rivière de montagne naissant à 2300 m d'altitude.
Les chercheurs ont retrouvé deux sources très précises sur le peuplement piscicole historique de la rivière : une carte de 1898 détaillant les présences de 38 espèces, dont 26 dans le bassin versant (Kollmann 1898) et les registres de pêche de Salzbourg de 1904. Les données concernent aussi 14 affluents du Salzach. (Ci-dessous : carte de Kollmann et carte du bassin versant).
A la fin du XIXe siècle, les trois espèces les plus répandues sont la truite commune (Salmo trutta), le chabot (Cottus gobio) et l'ombre (Thymallus thymallus).
Au long du XXe siècle jusqu'à nos jours, le nombre total d'espèces de la rivière est passé de 21 à 23 – ce gain de biodiversité est dû à des espèces importées. En l'occurrence, les deux espèces introduites à des fins de pêche sont la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) et l'omble des fontaines (Salvelinus fontinalis), d'origine nord-américaine.
Dans les évolutions notables, les auteurs relèvent une diminution de la présence du brochet (Esox lucius), du hotu (Chondrostoma nasus) et du huchon ou saumon du Danube (Hucho hucho). Le brochet souffre de l'endiguement des berges (il se reproduit dans des bras morts ou des annexes hydrauliques), tandis que les deux autres répondent à une très forte progression des ouvrages hydrauliques transversaux : de 52 barrages en 1900 à 309 aujourd'hui. On observera au passage que cette multiplication par 6 sur un laps de temps assez court a réduit les habitats et donc l'abondance des espèces mentionnées ci-dessus, mais n'a pas empêché le maintien de la biodiversité, y compris des espèces réagissant fortement à la fragmentation (rhéophiles, lithophiles, sténothermes, etc.). On ne trouve pas d'influence du flottage du bois, contrairement à d'autres études historiques.
La principale surprise de ce travail vient finalement du poids des introductions d'espèces à fin halieutique : la truite arc-en-ciel et l'omble des fontaines représentent aujourd'hui 29,3% de l'ensemble des prises du bassin, et ces espèces non-natives ont même colonisé les petites rivières. "Un des changements les plus importants de structure de communauté piscicole est le résultat de l'introduction délibérée d'espèces halieutiques pour les activités de pêche", notent les chercheurs dans leurs conclusions.
Quelques observations pour conclure
Cette recherche nous incite à réitérer une demande déjà formulée par plusieurs parties prenantes de la politique de l'eau en France, à savoir une étude scientifique indépendante des impacts historiques et actuels de l'activité de pêche.
On fait grand cas de l'intégrité biotique des peuplements piscicoles, en supposant (à tort selon nous) que les assemblages de poissons ont vocation à rester stables dans le temps, même en situation d'influence anthropique ou de changement climatique. Or, l'activité de pêche a de nombreux effets : prédation à l'époque de la pêche vivrière ayant pu conduire à des extinctions locales mais surtout introduction tantôt volontaire tantôt accidentelle d'espèces étrangères aux bassins et d'espèces d'élevage, avec comme conséquence la problématique importante des pathogènes touchant les espèces patrimoniales. Qu'une telle pression ne soit pas évaluée puis gérée de façon indépendante (c'est-à-dire scientifique, et non pas par des institutions de pêche juges et parties) est indigne d'une gestion de l'eau moderne et fondée sur la preuve.
Le travail de Gertrud Haidvogl et de ses collègues nous incite à nouveau à la plus grande prudence et à la plus grande rigueur quand on envisage des politiques de restauration des milieux aquatiques. En particulier, l'éclairage de l'histoire apporte des informations indispensables sur les dynamiques des populations piscicoles ainsi que sur leurs réponses aux pressions, ce qui est susceptible de conditionner les objectifs restauratoires ou conservatoires du gestionnaire.
Référence : Haidvogl G et al (2015), Long-term evolution of fish communities in European mountainous rivers: past log driving effects, river management and species introduction (Salzach River, Danube), Aquatic Sciences, 77, 395–410