Eaufrance, service public d’information sur l’eau, vient de publier un état des eaux de surface et des eaux souterraines en France. La publication compare les données 2010 et 2013 transmises par les services des Agences de l'eau. Rappelons que le système d’évaluation de l’état des eaux (SEEE) est issu d’un travail commun entre les autorités de bassins (agences et offices de l’eau, DREAL et DEAL), responsables de l’évaluation de l’état des eaux, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) pour le pilotage du système sous l’autorité du Ministère de l’Ecologie et des organismes scientifiques (Ifremer, CNRS, Ineris, BRGM, Irstea, universités) pour la conception des méthodes et l’alimentation en données.
Etat chimique : les incertitudes ont augmenté
L'analyse de l'état chimique montre que le niveau de masses d'eau de surface (plans d'eau ou rivières) en information insuffisante pour donner un état a augmenté entre 2010 (34%) et 2013 (35,9%). En particulier, et comme on le voit dans la carte ci-dessus (zone grisée), l'Agence de Loire Bretagne n'est plus capable de préciser un état sur ses rivières, alors que le bassin est le plus important en terme de linéaire (voir notre article à ce sujet). Cette situation de dégradation du niveau de connaissance sur les pollutions chimiques n'est évidemment pas acceptable. La liste des substances chimiques à contrôler est réglementairement fixée depuis une dizaine d'années dans le processus de mise en oeuvre de la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000). Cette liste est relativement modeste par rapport à la réalité des pollutions : elle ne compte qu'une quarantaine de molécules, alors que les enquêtes toxicologiques ont montré qu'en réalité, les eaux française subissent plus de 400 substances considérées comme polluantes (voir aussi la question des mesures de pesticides). Cela pose évidemment question sur le chiffre de 48,2% des masses d'eau supposées être en bon état chimique, sans certitude réelle que ce soit le cas.
Etat écologique : pas de progrès notable
La proportion de masses d’eau de surface en bon état écologique en France est assez comparable à la moyenne européenne de 38,8%. Cela situe la France en 14e position. Entre 2010 et 2013, comme le montre le schéma ci-dessus, on n'observe pas de progrès notable : 41,4% des masses d’eau de surface, toutes catégories d’eau confondues, sont au moins en bon état écologique en 2010 et 43,4% en 2013. Comme le précise Eaufrance, "cet état semble globalement stable : 24,6% des masses d’eau évaluées sur les deux périodes voient leur état s’améliorer, 52,6% stagner, et seulement 20,1% se dégrader". Ces données montrent qu'il n'existe pas de maîtrise réelle des facteurs de dégradation écologique d'une masse d'eau, soit parce que la mesure de la dégradation présente une variation interannuelle forte (par exemple une année en bon état, une année en état moyen), soit parce que les facteurs de dégradation eux-mêmes ne sont pas contrôlés.
Conclusions
Comme nous le dénonçons depuis plusieurs années, la France n'est pas capable de définir sur chaque masse d'eau de surface (11 523 au total) l'ensemble des paramètres de qualité définis par la DCE 2000, dans les volets biologique, physico-chimique, chimique et morphologique. Les données brutes et corrigées, agrégées sur chaque masse d'eau, sont d'ailleurs à peu près inaccessibles pour les associations (dispersion extrême des sources, des formats, des dates de mise à jour), ce qui interdit un contrôle citoyen de l'action publique (voir le premier travail d'Anne Spiteri en ce sens, interrompu pour le moment face à l'incroyable inertie de la machine bureaucratique). Les Agences de l'eau disposent d'un budget quinquennal de l'ordre de 15 milliards d'euros : à qui veut-on faire croire qu'il n'est pas possible de financer au sein de ce budget des laboratoires publics d'analyse dignes de ce nom?
Par ailleurs, la France n'atteint pas l'objectif de deux-tiers des masses d'eau en bon état 2015, comme elle s'y était engagée vis-à-vis de la DCE 2000, et au regard du peu de progrès depuis 15 ans, elle n'est évidemment pas en situation de garantir 100 % de ces masses d'eau en bon état à l'horizon 2021 ou 2027 (délais prévus par la DCE 2000). Rappelons que la France est déjà condamnée pour non-application de directives européennes plus anciennes (nitrates 1991, eaux usées 1991).
La politique de l'eau est donc en situation d'échec. Dans ces conditions, la prétention du Ministère de l'Ecologie (direction de l'eau et de la biodiversité) comme des Agences de l'eau à définir ce qui fait et défait le bon état d'une rivière est pour le moins douteuse. Au lieu de l'avalanche réglementaire de textes toujours plus complexes et inapplicables, entraînant un blocage bureaucratique croissant dans la gestion de l'eau, et au lieu du jeu obscur des lobbies en comités de bassins des Agences de l'eau, on attend de l'action publique qu'elle garantisse d'abord de manière transparente et efficace les connaissances élémentaires sur l'état des rivières et sur les facteurs qui les dégradent.
Référence : Eaufrance (2015), L’état des eaux de surface et des eaux souterraines, Les Synthèses, 12, juin 2015, 12 p. (lien pdf)
A lire également
Qualité de l'eau: 5 graphiques pour comprendre l'échec de la politique française (et l'absurdité de la destruction des moulins)
DCE 2000 et politique de l'eau: la France manque de transparence, de justice et d'efficacité
Etat chimique : les incertitudes ont augmenté
L'analyse de l'état chimique montre que le niveau de masses d'eau de surface (plans d'eau ou rivières) en information insuffisante pour donner un état a augmenté entre 2010 (34%) et 2013 (35,9%). En particulier, et comme on le voit dans la carte ci-dessus (zone grisée), l'Agence de Loire Bretagne n'est plus capable de préciser un état sur ses rivières, alors que le bassin est le plus important en terme de linéaire (voir notre article à ce sujet). Cette situation de dégradation du niveau de connaissance sur les pollutions chimiques n'est évidemment pas acceptable. La liste des substances chimiques à contrôler est réglementairement fixée depuis une dizaine d'années dans le processus de mise en oeuvre de la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000). Cette liste est relativement modeste par rapport à la réalité des pollutions : elle ne compte qu'une quarantaine de molécules, alors que les enquêtes toxicologiques ont montré qu'en réalité, les eaux française subissent plus de 400 substances considérées comme polluantes (voir aussi la question des mesures de pesticides). Cela pose évidemment question sur le chiffre de 48,2% des masses d'eau supposées être en bon état chimique, sans certitude réelle que ce soit le cas.
Etat écologique : pas de progrès notable
La proportion de masses d’eau de surface en bon état écologique en France est assez comparable à la moyenne européenne de 38,8%. Cela situe la France en 14e position. Entre 2010 et 2013, comme le montre le schéma ci-dessus, on n'observe pas de progrès notable : 41,4% des masses d’eau de surface, toutes catégories d’eau confondues, sont au moins en bon état écologique en 2010 et 43,4% en 2013. Comme le précise Eaufrance, "cet état semble globalement stable : 24,6% des masses d’eau évaluées sur les deux périodes voient leur état s’améliorer, 52,6% stagner, et seulement 20,1% se dégrader". Ces données montrent qu'il n'existe pas de maîtrise réelle des facteurs de dégradation écologique d'une masse d'eau, soit parce que la mesure de la dégradation présente une variation interannuelle forte (par exemple une année en bon état, une année en état moyen), soit parce que les facteurs de dégradation eux-mêmes ne sont pas contrôlés.
Conclusions
Comme nous le dénonçons depuis plusieurs années, la France n'est pas capable de définir sur chaque masse d'eau de surface (11 523 au total) l'ensemble des paramètres de qualité définis par la DCE 2000, dans les volets biologique, physico-chimique, chimique et morphologique. Les données brutes et corrigées, agrégées sur chaque masse d'eau, sont d'ailleurs à peu près inaccessibles pour les associations (dispersion extrême des sources, des formats, des dates de mise à jour), ce qui interdit un contrôle citoyen de l'action publique (voir le premier travail d'Anne Spiteri en ce sens, interrompu pour le moment face à l'incroyable inertie de la machine bureaucratique). Les Agences de l'eau disposent d'un budget quinquennal de l'ordre de 15 milliards d'euros : à qui veut-on faire croire qu'il n'est pas possible de financer au sein de ce budget des laboratoires publics d'analyse dignes de ce nom?
Par ailleurs, la France n'atteint pas l'objectif de deux-tiers des masses d'eau en bon état 2015, comme elle s'y était engagée vis-à-vis de la DCE 2000, et au regard du peu de progrès depuis 15 ans, elle n'est évidemment pas en situation de garantir 100 % de ces masses d'eau en bon état à l'horizon 2021 ou 2027 (délais prévus par la DCE 2000). Rappelons que la France est déjà condamnée pour non-application de directives européennes plus anciennes (nitrates 1991, eaux usées 1991).
La politique de l'eau est donc en situation d'échec. Dans ces conditions, la prétention du Ministère de l'Ecologie (direction de l'eau et de la biodiversité) comme des Agences de l'eau à définir ce qui fait et défait le bon état d'une rivière est pour le moins douteuse. Au lieu de l'avalanche réglementaire de textes toujours plus complexes et inapplicables, entraînant un blocage bureaucratique croissant dans la gestion de l'eau, et au lieu du jeu obscur des lobbies en comités de bassins des Agences de l'eau, on attend de l'action publique qu'elle garantisse d'abord de manière transparente et efficace les connaissances élémentaires sur l'état des rivières et sur les facteurs qui les dégradent.
Référence : Eaufrance (2015), L’état des eaux de surface et des eaux souterraines, Les Synthèses, 12, juin 2015, 12 p. (lien pdf)
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