Quel serait le coût d'aménagement de passes à poissons sur les seuils et barrages en rivières classées au titre de la continuité écologique (rivières en liste 2 de l'art 214-17 C env.)? Pour répondre à cette question, on ne peut faire qu'un calcul d'ordre de grandeur : les données précises ne sont en effet pas disponibles, que ce soit le nombre d'ouvrages, leur hauteur ou les coûts de chantier. L'indisponibilité de ces informations indique d'ailleurs le caractère opaque, précipité et désordonné du classement des rivières, décidé en 2012-2013 alors même qu'il n'existe pas encore de retour d'expérience sur les 1300 ouvrages prioritaires dits "Grenelle" du Plan d'action de 2009.
Estimation du coût d'aménagement : 1,8 milliard d'euros
Pour le nombre d'ouvrages en rivières classées L2 (celles qui ont une obligation d'aménagement), les chiffres de 10.000 à 20.000 circulent depuis un séminaire administratif dédié à cette question voici quelques mois. Nous prendrons le chiffre de 20.000, pour une estimation large.
Pour la hauteur moyenne, nous disposons d'une version documentée du ROE de l'Onema où les hauteurs sont indiquées pour 14.634 seuils et barrages. On peut raisonnablement considérer que cet échantillon (env. 20% des obstacles référencés) reflète la diversité des obstacles en rivière classée. La hauteur moyenne est de 1,8 m.
Pour les coûts d'aménagement, l'Agence de l'eau Rhône-Méditerrannée-Corse tient un observatoire. La fiabilité des données est considérée comme "moyenne", néanmoins c'est la seule base dont on dispose. Le mètre de hauteur de chute à aménager en passe à poissons a un coût moyen de 50 k€.
Nous avons donc les trois ingrédients pour estimer un ordre de grandeur : l'aménagement de 20.000 ouvrages d'une hauteur moyenne de 1,8 m et à raison de 50 k€ le mètre représenterait un coût global de 1,8 milliard €.
Un coût exorbitant pour 20.000 foyers, mais accessible pour le financement public
Ce montant montre combien le classement des rivières engendre des coûts d'équipement exorbitants et inaccessibles à la plupart des 20.000 foyers concernés par la propriété d'un ouvrage hydraulique, dont la très grande majorité (plus de 80%) n'en tire aujourd'hui aucun revenu industriel ou commercial. Faire peser sur les épaules d'un très petit nombre de citoyens une charge d'intérêt général de cette ampleur, et dans un délai de 5 ans, c'est évidemment impensable.
En revanche, la somme de 1,8 milliard d'euros pour l'aménagement de la totalité des ouvrages classés au titre de la continuité écologique s'intègre plus raisonnablement dans les dépenses publiques de l'eau. Les Agences de l'eau financent actuellement à 80% les opérations de destruction de seuils et barrages. Si ce barème est appliqué à la construction de passe à poissons, le coût pour les Agences s'élève à 1,44 milliard d'euros. Cela représente un peu plus de 10% du budget du 10e programme 2013-2018 de ces Agences.
Si, comme l'affirment certaines de ces Agences, la restauration de continuité écologique est une cause de première importance pour la rivière, il n'y aurait rien d'absurde à y consacrer 10% de leur budget. Ce serait toujours bien moins que les sommes dépensées chaque année (et sans effet optimal tant s'en faut) pour diminue l'impact de l'agriculture intensive.
Le coût des destructions risque d'exploser en raison des dommages matériels et moraux induits
L'aménagement de dispositifs de franchissement (passes à poissons évoquées ici, mais aussi rivière de contournement, rampes enrochées, simples vannages sur les petits ouvrages, etc.) n'est pas l'option favorite des Agences de l'eau, des services de l'Etat et des syndicats de rivière. Pourtant, elle a de bonnes chances de s'imposer dans les années à venir.
En effet, la mise en oeuvre de la continuité écologique a commencé par les ouvrages "faciles" : ceux qui étaient ruinés, ceux qui étaient propriétés de collectivités (communes, conseils départementaux), de syndicats de rivière ou de fédérations de pêche. Dans ces cas-là, l'effacement s'impose plus facilement, et il se réalise avec moins de contraintes (voire moins de vigilance sur les conditions optimales d'un effacement).
Mais nous arrivons aux cas nettement moins simples : des propriétés privées de particuliers qui n'ont aucune envie se voir imposer le ballet destructeur des pelleteuses en rivière. Sans compter la vigilance nettement accrue des associations de propriétaires ou de riverains, ainsi que des élus locaux.
Si l'Etat et les Agences de l'eau veulent passer en force (mise en demeure de destruction d'ouvrage), ils se verront opposer de manière probablement contentieuse des demandes d'indemnités conséquentes sur chaque seuil. La destruction implique en effet la perte du droit d'eau et du potentiel de revenus énergétiques, la dégradation de valeur paysagère et foncière du bien (assec du bief, disparition du miroir d'eau), diverses prises de risque (changements d'écoulement, mise en danger des fondations du bâti). Transformer un moulin en simple maison de zone inondable impliquera selon les cas des dizaines à des centaines de milliers d'euros de moins-value pour le propriétaire. A ce dommage matériel s'ajoutent les dommages moraux (dégradation esthétique, préjudice d'agrément, choc psychologique lié à la défiguration de lieux souvent chargés d'histoire familiale et personnelle) que ne manqueront pas de faire valoir les experts mobilisés par les propriétaires et leurs associations.
En conclusion
Par un simple calcul d'ordre de grandeur, on montre que le financement des dispositifs écologiques de franchissement en rivière représente des dépenses non exceptionnelles pour les financeurs publics, en particulier les Agences de l'eau. Choisir des modes doux d'aménagement plutôt que des solutions radicales et destructives n'est donc pas en soi une impossibilité économique, au regard des milliards d'euros d'argent public collectés et dépensés chaque années par les Agences de bassin. Ce choix a de nombreux avantages : amélioration de franchissement piscicole et du transit sédimentaire bien sûr, mais aussi meilleur consensus social, préservation du patrimoine historique, du potentiel énergétique, des usages socio-économiques et récréatifs associés aux seuils et barrages.
Même si les coûts des passes à poissons représentent une proportion raisonnable du budget des Agences de l'eau, ils induisent une dépense conséquente à l'heure où les besoins pour la qualité de l'eau sont immenses. La mobilisation de ces fonds ne se fera pas dans le court délai imposé par la règlementation (2017-2018) Il paraît donc en tout état de cause plus raisonnable de remettre à plat la question du classement des cours d'eau et d'entamer une concertation qui n'a jamais réellement eu lieu, dans le cadre d'un moratoire sur la continuité écologique.
Illustrations : en haut, modèle de passes dites "naturelles" ou "rustiques" (source Larinier et al 2006, DR); en bas, destruction du barrage de Châlette-sur-Loing, 144 k€, 95% de financement public (source France3, DR).
Estimation du coût d'aménagement : 1,8 milliard d'euros
Pour le nombre d'ouvrages en rivières classées L2 (celles qui ont une obligation d'aménagement), les chiffres de 10.000 à 20.000 circulent depuis un séminaire administratif dédié à cette question voici quelques mois. Nous prendrons le chiffre de 20.000, pour une estimation large.
Pour la hauteur moyenne, nous disposons d'une version documentée du ROE de l'Onema où les hauteurs sont indiquées pour 14.634 seuils et barrages. On peut raisonnablement considérer que cet échantillon (env. 20% des obstacles référencés) reflète la diversité des obstacles en rivière classée. La hauteur moyenne est de 1,8 m.
Pour les coûts d'aménagement, l'Agence de l'eau Rhône-Méditerrannée-Corse tient un observatoire. La fiabilité des données est considérée comme "moyenne", néanmoins c'est la seule base dont on dispose. Le mètre de hauteur de chute à aménager en passe à poissons a un coût moyen de 50 k€.
Nous avons donc les trois ingrédients pour estimer un ordre de grandeur : l'aménagement de 20.000 ouvrages d'une hauteur moyenne de 1,8 m et à raison de 50 k€ le mètre représenterait un coût global de 1,8 milliard €.
Un coût exorbitant pour 20.000 foyers, mais accessible pour le financement public
Ce montant montre combien le classement des rivières engendre des coûts d'équipement exorbitants et inaccessibles à la plupart des 20.000 foyers concernés par la propriété d'un ouvrage hydraulique, dont la très grande majorité (plus de 80%) n'en tire aujourd'hui aucun revenu industriel ou commercial. Faire peser sur les épaules d'un très petit nombre de citoyens une charge d'intérêt général de cette ampleur, et dans un délai de 5 ans, c'est évidemment impensable.
En revanche, la somme de 1,8 milliard d'euros pour l'aménagement de la totalité des ouvrages classés au titre de la continuité écologique s'intègre plus raisonnablement dans les dépenses publiques de l'eau. Les Agences de l'eau financent actuellement à 80% les opérations de destruction de seuils et barrages. Si ce barème est appliqué à la construction de passe à poissons, le coût pour les Agences s'élève à 1,44 milliard d'euros. Cela représente un peu plus de 10% du budget du 10e programme 2013-2018 de ces Agences.
Si, comme l'affirment certaines de ces Agences, la restauration de continuité écologique est une cause de première importance pour la rivière, il n'y aurait rien d'absurde à y consacrer 10% de leur budget. Ce serait toujours bien moins que les sommes dépensées chaque année (et sans effet optimal tant s'en faut) pour diminue l'impact de l'agriculture intensive.
Le coût des destructions risque d'exploser en raison des dommages matériels et moraux induits
L'aménagement de dispositifs de franchissement (passes à poissons évoquées ici, mais aussi rivière de contournement, rampes enrochées, simples vannages sur les petits ouvrages, etc.) n'est pas l'option favorite des Agences de l'eau, des services de l'Etat et des syndicats de rivière. Pourtant, elle a de bonnes chances de s'imposer dans les années à venir.
En effet, la mise en oeuvre de la continuité écologique a commencé par les ouvrages "faciles" : ceux qui étaient ruinés, ceux qui étaient propriétés de collectivités (communes, conseils départementaux), de syndicats de rivière ou de fédérations de pêche. Dans ces cas-là, l'effacement s'impose plus facilement, et il se réalise avec moins de contraintes (voire moins de vigilance sur les conditions optimales d'un effacement).
Mais nous arrivons aux cas nettement moins simples : des propriétés privées de particuliers qui n'ont aucune envie se voir imposer le ballet destructeur des pelleteuses en rivière. Sans compter la vigilance nettement accrue des associations de propriétaires ou de riverains, ainsi que des élus locaux.
Si l'Etat et les Agences de l'eau veulent passer en force (mise en demeure de destruction d'ouvrage), ils se verront opposer de manière probablement contentieuse des demandes d'indemnités conséquentes sur chaque seuil. La destruction implique en effet la perte du droit d'eau et du potentiel de revenus énergétiques, la dégradation de valeur paysagère et foncière du bien (assec du bief, disparition du miroir d'eau), diverses prises de risque (changements d'écoulement, mise en danger des fondations du bâti). Transformer un moulin en simple maison de zone inondable impliquera selon les cas des dizaines à des centaines de milliers d'euros de moins-value pour le propriétaire. A ce dommage matériel s'ajoutent les dommages moraux (dégradation esthétique, préjudice d'agrément, choc psychologique lié à la défiguration de lieux souvent chargés d'histoire familiale et personnelle) que ne manqueront pas de faire valoir les experts mobilisés par les propriétaires et leurs associations.
En conclusion
Par un simple calcul d'ordre de grandeur, on montre que le financement des dispositifs écologiques de franchissement en rivière représente des dépenses non exceptionnelles pour les financeurs publics, en particulier les Agences de l'eau. Choisir des modes doux d'aménagement plutôt que des solutions radicales et destructives n'est donc pas en soi une impossibilité économique, au regard des milliards d'euros d'argent public collectés et dépensés chaque années par les Agences de bassin. Ce choix a de nombreux avantages : amélioration de franchissement piscicole et du transit sédimentaire bien sûr, mais aussi meilleur consensus social, préservation du patrimoine historique, du potentiel énergétique, des usages socio-économiques et récréatifs associés aux seuils et barrages.
Même si les coûts des passes à poissons représentent une proportion raisonnable du budget des Agences de l'eau, ils induisent une dépense conséquente à l'heure où les besoins pour la qualité de l'eau sont immenses. La mobilisation de ces fonds ne se fera pas dans le court délai imposé par la règlementation (2017-2018) Il paraît donc en tout état de cause plus raisonnable de remettre à plat la question du classement des cours d'eau et d'entamer une concertation qui n'a jamais réellement eu lieu, dans le cadre d'un moratoire sur la continuité écologique.
Illustrations : en haut, modèle de passes dites "naturelles" ou "rustiques" (source Larinier et al 2006, DR); en bas, destruction du barrage de Châlette-sur-Loing, 144 k€, 95% de financement public (source France3, DR).