Des chercheurs analysant la rivière Tennessee, aménagée par 23 barrages, montrent que celle-ci a conservé malgré tout une diversité appréciable d'espèces de poissons (115) et de traits fonctionnels de ces espèces (62). Le principal effet des barrages est de transposer des espèces et fonctionnalités propres à l'aval vers l'amont, par la création d'habitats lentiques artificiels. Mais la variation des tronçons aménagés et non aménagés maintient une diversité globale.
Le barrage Douglas (Tennessee Valley Authority)
Jordan C. Besson et ses collègues ont analysé les espèces de poisson et leurs traits fonctionnels dans la rivière Tennessee, un affluent de l'Ohio dans le bassin du Mississippi, dont le cours a été modifié par 23 barrages formant des réservoirs. Leur point était de comprendre l'effet sur les guildes de poissons à échelle de tout un bassin versant, et non d'un site local ou d'un tronçon.
Voici la synthèse de leur travail :
"Les transformations des assemblages de poissons causées par les cascades de réservoirs peuvent être sévères à l'échelle du tronçon, mais les effets à l'échelle du bassin sont moins clairs. Cependant, les conceptions en usage de la rivière fournissent un cadre pour prédire les effets à l'échelle du bassin.
Pour déterminer si les prédictions faites par le River Continuum Concept relatives à la fonction des assemblages de poissons sont maintenues dans une rivière tempérée transformée en une cascade de réservoirs, nous avons examiné les tendances longitudinales de la distribution des traits fonctionnels des poissons sur 23 réservoirs de la rivière Tennessee, aux États-Unis.
Au total, 115 espèces ont été enregistrées représentant 62 traits, la richesse des traits augmentant longitudinalement vers l'aval. Les traits trophiques, reproductifs et d'habitat ont montré divers schémas croissants et décroissants le long de la cascade du réservoir. Les gradients observés dans la richesse et la distribution des traits étaient généralement conformes à ceux attendus dans les rivières non régulées, avec peu de résultats inattendus.La transformation des systèmes lotiques en systèmes lentiques a modifié les habitats et les sources de nourriture et favorisé la prolifération de certains types d'alimentation (ex. détritivores, planctonophages, invertivores, piscivores), de reproduction (ex. polyphiles reproducteurs à nid, phytolithophiles reproducteurs à la volée) et d'habitat (courant lent, lacustre, grande rivière). Essentiellement, les réservoirs ont élargi les habitats d'aval vers l'amont, et ont ainsi permis l'expansion en amont d'espèces et de traits qui n'auraient normalement pas été bien représentés dans le cours supérieur du bassin de la rivière Tennessee. Néanmoins, la rivière Tennessee aménagée a conservé une grande partie de son intégrité fonctionnelle, malgré d'importantes modifications du paysage fluvial.
Nous suggérons que, bien qu'il ait été démontré que les réservoirs ont des effets majeurs à l'échelle locale sur les assemblages de poissons fluviaux, avec un accès aux habitats fluviaux et avec des stratégies de conservation proactives, la richesse fonctionnelle des poissons peut rester remarquablement élevée à l'échelle du bassin."
Discussion
La plupart des études en hydrobiologie s'attachent à montrer les évolutions d'habitats physiques et diversité biologique à échelle d'un tronçon lorsque celui-ci est aménagé par un barrage. Le passage à un habitat lentique ou semi-lotique de plan d'eau crée évidemment un bouleversement important des communautés biologiques locales. Mais ce constat (assez trivial en soi) déplace les questions à se poser. A quelle échelle spatiale doit-on réfléchir à la biodiversité d'un bassin versant ? Une rivière aménagée et notamment barrée peut-elle produire un état écologique alternatif stable? Quel taux de répartition entre tronçons aménagés et non-aménagés permet de conserver la biodiversité optimale? Comment de tels systèmes peuvent évoluer en phase de réchauffement climatique?
Référence : Besson JC et al (2023), Fish functional gradients along a reservoir cascade, Freshwater Biology, doi.org/10.1111/fwb.14087
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