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Eau, biodiversité et adaptation climatique selon l'IGEDD

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L'inspection générale de l'environnement et du développement durable a produit un rapport sur l'adaptation au changement climatique, qui vient d'être rendu public par le ministère de l'écologie. Nous publions son extrait sur le domaine de l'eau, précédé de quelques observations critiques. 

Le changement climatique devient perceptible et a des effets sur nos conditions de vie. L'eau est un domaine critique, puisque cette ressource est indispensable à la société, à l'économie, au vivant.

Le rapport de l'IGEDD synthétise les vues dominantes des expertises actuelles. Toutefois, sans être en désaccord sur le fond, nous soulignons trois points essentiels : 
  • Tout enjeu et toute priorisation des enjeux doivent être démocratiquement validées. Ce n'est pas le chercheur ou l'expert qui définit l'importance relative des sujets (climat, biodiversité, usages etc.), mais le citoyen préalablement informé par des expertises collégiales incluant tous les angles pertinents et toutes les connaissances légitimes. L'eau est une question sociale et politique, pas simplement une question naturelle.
  • Les assemblées élus (de la commune à l'Europe) sont les lieux de la discussion et de la décision démocratiques, ce qui suppose des élus motivés à examiner le fond des sujets et à refléter les attentes des citoyens les ayant élus. Ce rappel est nécessaire puisque nous voyons dans le fonctionnement de nos institutions un poids excessif d'administrations non élues et d'idéologies administratives non validées par les citoyens et leurs élus – en particulier dans le domaine de l'eau et de certains choix publics contestés. 
  • Tout programme public doit faire impérativement (et non facultativement) l'objet d'analyse coût-bénéfice sérieuse, ce qui est parfois difficile dans le domaine environnemental. C'est le seul moyen de conjurer le risque des effets de modes et de conformisme où l'on procède à des lourds investissements publics sans prendre soin au préalable de tester, observer et quantifier les résultats concrets. Par exemple ici, les solutions fondées sur la nature sont un sujet très en vogue mais où la recherche critique sur certains échecs de restauration de la nature doit inciter à être vigilant sur la réalité des résultats obtenus, particulièrement en stockage d'eau afin de prévenir tant les sécheresses que les inondations. Certaines solutions sont efficaces, d'autres non : la dépense d'argent public vise l'efficacité avant de viser la naturalité. 



Extrait du rapport :
Chapitre 4
L’adaptation des politiques de l’eau et de la biodiversité : à partir d’un noyau commun, de nouveaux types d’action émergent

4.1 Les impacts du changement climatique sur le cycle de l’eau sont bien mieux documentés que les impacts sur la biodiversité

Les conséquences du changement climatique sont souvent ressenties en premier lieu dans le domaine de l’eau : sécheresses à répétition entraînant restrictions et conflits d’usages, baisse du débit des rivières avec des impacts sur les espèces et les habitats, montée du niveau de la mer, intrusions salines, précipitations exceptionnelles et inondations, etc.

C’est en conséquence dans ce domaine que les impacts du changement climatique sont les mieux documentés. Pour la France, l’étude Explore 2070 a fourni en 2012 des scénarios concernant l’évolution des débits de cours d’eau et des nappes phréatiques au milieu du siècle, sur la base des travaux du GIEC. Ses conclusions annonçaient une baisse significative de la recharge des nappes, une baisse du débit moyen annuel des cours d’eau et des débits d’étiages plus sévères, plus longs et plus précoces, de 30 à 60 %. L’étude Explore 2070 est en cours d’actualisation ; les résultats d’Explore 2 sont attendus en 2023.

L’impact du changement climatique sur la biodiversité est moins identifié ; pourtant, le premier rapport conjoint de l’IPBES et du GIEC « Biodiversité et changement climatique – résultats scientifiques » montre que le changement climatique, qui n’était qu’une pression parmi d’autres à l’origine de l’effondrement de la biodiversité, pourrait rapidement contribuer à accélérer cet effondrement, si rien n’est fait. En particulier, ce rapport estime que la proportion d’espèces menacées d’extinction du fait du climat se situe à 5% avec un réchauffement de 2°C, mais passe à 16% avec un réchauffement de 4,3°C.

Le 6éme rapport du GIEC indique qu’approximativement la moitié des espèces étudiées ont commencé à migrer vers les pôles ou vers des altitudes supérieures et constate qu’on observe déjà les premières extinctions d’espèces dues au changement climatique.

4.2 Les solutions retenues pour l’adaptation sont assez convergentes mais il reste difficile d’évaluer leur niveau de mise en œuvre effective

4.2.1 La poursuite des politiques de protection et de restauration et le développement des solutions fondées sur la nature sont retenus dans tous les plans étudiés

On trouve dans la plupart des pays étudiés des études d’impact du changement climatique et des feuilles de route dans le domaine de l’eau, au niveau national et dans les grands districts hydrographiques. Ces feuilles de route intègrent les impacts du changement climatique, à l’image en France des Assises nationales de l’eau de 2019 dédiées à l’adaptation, et des stratégies d’adaptation au changement climatique réalisées dans chaque grand bassin hydrographique.

Les horizons temporels pris en compte dans ces exercices sont de trois ordres :
  • Dans les pays européens, les feuilles de route par district hydrographique (bassin) respectent les temporalités de la directive cadre sur l’eau et de la directive inondations, soit des cycles de 6 ans. Les plans actuels visent l’horizon 2027, parfois (cas espagnol) se prolongent sur un ou deux cycles au-delà (2033 et 2039) pour la prise en compte des effets du réchauffement climatique,
  • certains plans nationaux ont des horizons de moyen/long terme, comme le « 25 year environment plan » britannique adopté en 2019, ou le programme Delta aux Pays Bas qui fixe des objectifs à l’horizon 2050,
  • enfin, certains plans ont des horizons encore plus lointains, notamment pour la prévention des inondations en lien avec l’élévation du niveau de la mer, par exemple le programme Estuaire de la Tamise 2100. Ces programmes s’inscrivent alors clairement dans une logique construite d’adaptation au changement climatique malgré les incertitudes, avec l’étude de plusieurs scénarios, et la notion de « chemins d’adaptation » conduisant à prendre progressivement des « décisions sans regret ». Ils prévoient des points de rendez-vous au vu de l’évolution des connaissances sur les impacts climatiques pour les décisions les plus structurelles.
Ces feuilles de route et programmes sur l’eau, qui se limitaient souvent initialement aux inondations (programme Delta aux Pays Bas) ou à la qualité des eaux environnementales (schémas directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) en France), s’élargissent de plus en plus à l’ensemble du cycle de l’eau (eau potable, assainissement, et protection de la ressource en eau) et à la résilience des écosystèmes aquatiques et humides. Cette évolution globale conduit à compléter les programmes classiques d’infrastructures de génie civil dites « grises » (digues, réseaux de collecte des eaux de pluie et installations de traitement, etc.) par des projets de type « solutions fondées sur la nature (SFN) » comme les zones d’expansion de crues (programmes « room for the river » en Allemagne et aux Pays- Bas), la restauration de zones humides, la désimperméabilisation et la gestion à la source des eaux de pluie en ville, dont le rapport coût-bénéfice est souvent intéressant même s’il gagnerait à être mieux quantifié.

La mission constate que cette évolution conduisant à développer les solutions fondées sur la nature est citée comme un objectif dans tous les plans étudiés, au moins au niveau des principes. Il reste cependant encore difficile de juger de l’ampleur de l’application pratique, tant les SFN couvrent un champ vaste et sont parfois comprises différemment, même si une définition harmonisée émerge progressivement des travaux de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et de l’Assemblée des Nations-Unies pour l’environnement (ANUE).

Ce développement des SFN, qui est encouragé dans tous les pays comme en France par l’échange de bonnes pratiques et un certain nombre d’expérimentations pilotes, constitue une première étape vers la gestion intégrée de la biodiversité et du changement climatique que le GIEC et l’IPBES appellent de leurs vœux dans leur rapport conjoint.

Mais la notion de gestion intégrée de la biodiversité et du changement climatique ne signifie pas seulement la promotion des solutions fondées sur la nature : c’est aussi l’absolue nécessité de considérer les impacts de certaines solutions d’atténuation qui sont négatives pour la biodiversité. La biodiversité est l’un des champs où les risques de mal-adaptation sont les plus importants s’agissant notamment des bio-énergies, de l’hydroélectricité, de certaines politiques de boisement, du développement de l’irrigation et des retenues d’eau.

De manière générale, les plans et feuilles de route étudiées par la mission soulignent que l’accélération des politiques déjà engagées en matière d’eau et de biodiversité, ainsi que des politiques de protection des espaces et des espèces, apparait comme la réponse la plus pertinente.

L’accent est davantage mis, dans les plans étudiés, sur la nécessité d’accélérer les politiques de protection et de restauration des habitats, de leurs fonctionnalités, des continuités, des zones refuges, que sur le travail concernant directement les espèces, hormis quelques expériences de déplacement/réintroduction d’espèces très menacées (Japon, Royaume-Uni). Le rôle majeur du rétablissement des continuités (trame verte et bleue), pour favoriser la migration des espèces et la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, est souligné partout.

4.2.2 Au-delà de ce noyau commun d’accélération et de renforcement des politiques engagées, la rapidité du changement climatique nécessite de nouvelles actions

Quelques points plus spécifiquement liés au changement climatique doivent néanmoins être ajoutés ou renforcés dans les plans d’adaptation par rapport aux politiques existantes :

Dans le domaine de l’eau, la récurrence des sécheresses, leurs conséquences importantes, notamment sur l’agriculture, et la diminution progressive de la ressource disponible rend encore plus urgente l’accélération des politiques d’économies d’eau et de partage entre les usages - sujets peu traités par les directives européennes. L’examen des plans du parangonnage ne fait pas apparaître d’approche différente sur ces sujets de ce qui est fait en France : nécessité de fixer des objectifs chiffrés et répartis d’économies d’eau, gestion intégrée par bassin versant prenant en compte les besoins des milieux, priorisation annoncée des usages en termes d’intention mais encore peu développée dans le droit en vigueur. La liste des leviers mobilisables est connue et citée dans tous les plans (lutte contre les fuites dans les réseaux, réutilisation d’eaux usées, irrigation goutte-à-goutte etc.). Les plans citent parfois aussi les outils de tarification incitative qui sont expérimentés dans certains territoires. Une attention particulière est logiquement apportée au secteur agricole : avec des solutions à court terme qui peuvent reposer sur le développement de capacités de stockage et des solutions de moyen et long terme qui passent par une transformation des modèles de production.

En matière de prévention des inondations, la définition des aléas de référence doit intégrer les impacts du changement climatique : cela commence à se faire sur la montée du niveau de la mer et le recul du trait de côte (exemples des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la France notamment) et doit encore être développé en ce qui concerne l’impact des modifications du régime des précipitations sur les crues, les connaissances progressant rapidement dans ce domaine. De manière générale, les plans étudiés prévoient d’investir dans le développement et la fiabilité des dispositifs de surveillance et d’alerte sur les phénomènes extrêmes, indispensables et « sans regrets » notamment pour la France dans les territoires d’outre-mer.

Les politiques de prévention des inondations vont conduire dans certains cas à repenser très largement l’aménagement spatial de certains territoires. En ce qui concerne l’anticipation des conséquences de la montée du niveau de la mer, la mission a identifié tout particulièrement les programmes Estuaire de la Tamise 2100 et aux Pays Bas, la mise à jour 2022 du programme Delta, comme de bons exemples de politiques construites d’adaptation, associant le Parlement ou la société civile aux choix les plus structurants. En particulier, ces programmes conduisent à poser la question du niveau de protection souhaité des personnes et des biens face aux risques naturels, avec souvent trois options :
  • le maintien du niveau de protection actuel malgré le changement climatique, choix le plus courant, qui suppose un renforcement de la politique de prévention ;
  • l’objectif d’une augmentation du niveau de protection, pour certains secteurs ou territoires ;
  • une réduction du niveau de protection pour d’autres (voir en annexe la carte des enjeux du programme Tamise, publiée par l’agence anglaise de l’environnement).
Ce débat, naturellement très sensible, gagne à être explicité et partagé le plus largement possible, les deux programmes Delta et Estuaire de la Tamise 2100 constituent des exemples inspirants à cet égard.

Les études de risques au changement climatique, à l’échelle des aires protégées ou des écosystèmes, commencent à se développer (Royaume-Uni notamment), de même que la nécessité de développer des politiques intégrées de protection des sols prenant en compte rétention d’eau, biodiversité, capacité de stockage du carbone, en commençant par le développement d’indicateurs intégrés (Japon, Allemagne).

Les analyses coûts bénéfices restent encore rares, mais on peut citer notamment le calcul de retour sur investissement présenté dans le plan anglais d’adaptation en ce qui concerne la politique de prévention des inondations et de lutte contre l’érosion sur le littoral : le programme de dépenses de 2,6 milliards de livres sur 6 ans devrait rapporter 30 milliards de livres de bénéfices.

Ces différents exemples pourraient contribuer à la préparation du chapitre eau, risques naturels et biodiversité du futur plan d’adaptation français.

Recommandation : (MTECT) Compléter les feuilles de route nationales sur l'eau par des mesures portant sur des plans sectoriels d'économies d'eau, le développement de systèmes d’alerte précoce sur les risques naturels et l’organisation d’un débat sur le niveau souhaité de protection des personnes et des biens. Réaliser à chaque fois que possible des analyses coûts-bénéfices à l’appui de ces programmes.


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