Des chercheurs français ont simulé l’évolution du débit des rivières de tête de bassin en situation de changement climatique d’ici 2100. Il en résulte que la probabilité d’assèchement et de rivière devenant intermittente en été risque de quasiment doubler (x1.75) dans le scénario d’émission carbone le plus pessimiste. Même le scénario le plus optimiste voit une augmentation des assecs, ce qui aura des conséquences pour la biodiversité actuelle et pour les usages humains. La gestion de l’eau doit prévoir ces situations de crise : ne pas simplement regarder les conditions passées de la rivière, mais anticiper ses conditions futures.
Le changement climatique provoque une augmentation de la température de l'air, se traduisant par un risque d’augmentation de l'aridité, de la désertification et de la dégradation des sol. En conditions plus sèches, la disponibilité de l'eau devrait diminuer et l'intermittence de l'écoulement de surface en été augmenter. Les occurrences d'assèchement exacerbent la concurrence entre les utilisations humaines et modifient les écosystèmes d'eau douce : perte de diversité biologique, modification de la décomposition de la matière organique, changements radicaux dans la dispersion des organismes.
Mais comment peut évoluer l’intermittence des cours d’eau au cours de ce siècle, en lien à des sécheresses hydrologiques d’été ? Eric Sauquet et ses collègues (INRAE, Paris-Saclay) ont couplé des modèles climatiques avec un modèle hydrologique de débit pour répondre à cette question.
Voici le résumé de leur travail :
« À mesure que le climat change, les cours d'eau d'amont pérennes pourraient devenir intermittents et les rivières intermittentes pourraient s'assécher plus souvent en raison de sécheresses plus graves.Un schéma de modélisation soutenu par des observations sur le terrain a été appliqué pour évaluer la probabilité d'assèchement dans les eaux d'amont à l'échelle régionale (Pd) sous condition de changement climatique. Les relations empiriques entre la gravité des faibles débits et les proportions observées d'états sans débit ont été calibrées pour 22 hydro-écorégions dans les conditions actuelles. Ces relations ont été appliquées à l'aide de données de débit journalier sur un large ensemble de stations de jaugeage simulées par le modèle hydrologique Modèle du Génie Rural à 6 paramètres Journalier (GR6J) sous les scénarios d'émission RCP2.6 et RCP8.5.Les résultats suggèrent un modèle spatial plus contrasté à l'avenir que dans les conditions actuelles. Les changements notables incluent l'augmentation de l'étendue et de la durée de l'assèchement, en particulier dans les régions où les probabilités d'assèchement sont historiquement élevées et les changements de saisonnalité dans les régions alpines. Les écosystèmes aquatiques connaîtront des conditions hydrologiques sans précédent, qui pourraient entraîner des pertes de fonctions écosystémiques. »
Cette figure montre l’évolution des débits entre 2021-2050 et 2071-2100 en situation de réchauffement, en été (JJA) et automne (SON) :
Extrait de Sauquet et al 2021, art cit.
La probabilité moyennée d’assèchement est de 12% dans le climat actuel mais pourrait monter à 17-21% selon les scénarios climatiques d’émission.
Concernant la biodiversité, les auteurs notent : « L'intermittence va se généraliser dans des régions actuellement peu exposées à de telles conditions. Alors que le Nord de la France aura des étendues d'intermittence comparables à celles du bassin méditerranéen aujourd'hui, le pourcentage de tronçons secs doublera en bassin méditerranéen. Les changements observés ici pourraient être trop rapides pour permettre aux espèces de s'adapter, ce qui pourrait entraîner des risques d'extinction élevés pour le biote aquatique et en particulier les spécialistes des eaux d'amont incapables de se disperser sur les terres (par exemple, les poissons, Jaeger et al. 2014). Dans un paysage non fragmenté, les espèces peuvent descendre ou remonter pour trouver refuge pendant la période sèche. L'augmentation de l'étendue de l'intermittence peut augmenter la fragmentation du réseau fluvial et empêcher l'accès aux refuges pérennes (Davey et Kelly 2007), augmentant les risques d'extinction des espèces (Jaeger et al. 2014, Vander Vorste et al. 2020).»
Discussion
Les simulations des débits des rivières sont complexes, car il faut associer des modèles climatiques et des modèles hydrologiques. En particulier, l’évolution des précipitations est plus difficile à modéliser que celle des températures. Néanmoins, la plupart des simulations publiées pour la France métropolitaine annoncent un schéma dont nous voyons les premières réalités aujourd’hui : un apport de précipitation se maintenant voire augmentant en saison pluvieuse, se raréfiant voire parfois disparaissant en saison sèche.
La question est : qu’en déduisons-nous pour la gestion des sols, des nappes, des plans d’eau et des cours d’eau? Une approche ayant actuellement la faveur du gestionnaire public de l’eau en France consiste à dire qu’il faut «renaturer» les milieux (éliminer les impacts liés aux humains), diminuer la consommation d’eau par la société et ensuite laisser faire la nature. Ce n’est pas notre point de vue.
D’abord, le changement climatique n’a rien de «naturel», mais il s’impose à nous. Il n’y a pas tellement de sens à restaurer des conditions de milieux naturels dans leur situation d’il y a quelques siècles (qui était déjà modifiée) alors même que l’apport d’eau dans ces milieux ne sera plus le même à l’avenir. Ensuite, même avant les émissions carbone de l’industrie fossile moderne, la raréfaction de l’eau était souvent un problème dans les campagnes. C’est une des raisons pour lesquelles les têtes de bassins versants étaient couvertes de petits ouvrages qui stockaient ou faisaient déborder latéralement l’eau d’hiver, permettant des retenues de surface ou des recharges de nappes. Enfin, la disparition de l’eau est une discontinuité radicale qui altère l’essentiel du vivant aquatique, hors les espèces spécialisées en adaptation à l’intermittence. Comme ce vivant est soumis à de nombreuses autres pressions, l’effet risque d’être catastrophique.
Pour des raisons tant sociales qu’économiques et écologiques, la gestion adaptative de l’eau doit devenir une priorité. Elle ne sera pas simplement le «retour à la nature». Si les modèles hydroclimatiques prévoient un excès d’eau d’hiver et un déficit d’eau d’été, nous devons réfléchir sans préjugé à tout ce qui permet de gérer de façon intelligente et bénéfique cette condition nouvelle. L'une des pistes est évidemment de travailler sur l'ensemble du bassin (lit majeur et lit mineur) à tout ce qui permet de retenir l'eau de la saison pluvieuse dans les sols, les nappes et les lits.
Référence : Sauquet E et al (2021), Predicting flow intermittence in France under climate change, Hydrological Sciences Journal, 66, 14