Un rapport de Claude Miqueu sur la mise en oeuvre de la continuité écologique dite "apaisée" vient d'être publié. Il acte l'échec sociétal de cette réforme, après bien d'autres audits administratifs et parlementaires. Toutefois, nous montrons ici que le rapport esquive encore et toujours le coeur des problèmes. Tant que des fonctionnaires de l'administration eau & biodiversité et des syndicats de bassins défendront une idéologie de la rivière sauvage et de la destruction des ouvrages sans rapport avec la loi, la jurisprudence, la doctrine publique de l'eau et la volonté des riverains, la politique de continuité écologique sera dans l'impasse. En France, on gère, on équipe, on aménage et on valorise les ouvrages des rivières: c'est si dur à comprendre, à dire et à mettre en oeuvre?
Rappelons rapidement les événements : l'administration française de l'eau et quelques lobbies intégristes se sont mis en tête que le grave problème des rivières au 21e siècle était l'existence de moulins, étangs et plans d'eau, dont la suppression apporterait de grands bénéfices aux citoyens. Par ailleurs, il faudrait revenir à la nature supposée sauvage de la période pré-industrielle, donc faire disparaître les aménagements de l'eau hérités de l'histoire des derniers siècles – en tout cas ceux qui n'ont pas le poids économique suffisant pour être entendus par un gouvernement français (lequel ne voit pas tant de problèmes pour des pollutions réelles et majeures de l'eau). Cette doctrine a pris le nom de "continuité écologique", non sans de nombreuses confusions sur ce qu'est réellement la continuité d'une rivière.
Evidemment, débouler avec une pelleteuse pour détruire un moulin ou un étang présent depuis des siècles tout en affirmant aux riverains par des propos abstraits et confus que cela représente une urgence manifeste et de nombreux avantages, cela se passe très mal.
Dans son court passage au ministère de la Transition écologique, Nicolas Hulot hérite du problème de cette continuité écologique non tranchée par son prédécesseur au même poste, Ségolène Royal. Nicolas Hulot a hélas fait ce que font trop de dirigeants jacobins en France : demander une note rapide à ses services en imaginant qu'une politique publique dysfoncionnelle pourra se régler en mettant un peu de pommade, sans aller voir sur le terrain les problèmes de fond que la haute-administration ignore ou euphénisme dans ses rapports aux dirigeants. Il en a résulté un plan de continuité écologique apaisée.
Hydrauxois a exprimé son scepticisme dès la publication du plan, puis a documenté mois après mois la manière dont l'administration essayait encore de nier les problèmes, voire de faire exactement le contraire de ce qu'elle disait. Les faits nous ont donné à nouveau raison : il n'y a pas eu d'apaisement de la continuité écologique, il a fallu des recours contentieux et des choix parlementaires pour sortir de l'enlisement.
Claude Miqueu convient de l'échec
A l'été 2021, Claude Miqueu a été chargé d'une mission d'audit des problèmes dans la mise en oeuvre de cette continuité écologique dite "apaisée" en Adour-Garonne. Claude Miqueu était également en charge avec d'autres personnes du groupe de travail "continuité écologique" au sein du comité national de l'eau depuis 2019.
Un rapport de mission vient de paraître, dont nous publions ci-après la synthèse finale.
Ce rapport acte au premier chef l'échec sociétal de la continuité écologique, qui a été rejetée par nombre d'acteurs concernés et qui a mis en évidence au plan national des désaccords fondamentaux. Il faut désormais se poser des questions de fond: pourquoi et comment une certaine écologie en vient-elle à nourrir des conflits sociaux et à être perçue comme altération des cadres de vie? Comment a-t-on déraillé vers cet échec? Qui a fait dérailler, au nom de quelles visions appelées à dérailler encore et toujours si elles se poursuivent? Une maladie ne se traite pas par ses symptômes, mais par ses causes...
Hélas, nous avons diverses réserves sur les non-dits de ce rapport, qui ne va pas au coeur de ces questions. En voici quelques-unes:
- le territoire d'Adour-Garonne n'est pas le plus représentatif des problèmes, à la fois en raison du faible nombre de rivières classées "continuité écologique" et de la tradition hydro-électrique de ces bassins, ayant déjà habitué à l'évidence de rivières aménagées. Les classements "continuité" les plus étendus donc les plus problématiques, les conflits les plus durs et les positions publiques les plus dogmatiques se rencontrent en Loire-Bretagne et en Seine-Normandie. Dans ces bassins, comme en Artois-Picardie, les choix de destruction sont largement majoritaires dans la période 2006-2016, comme le CGEDD l'a montré. Du coup, Adour-Garonne passe à côté de cette réalité. C'est quand même dommage d'étudier un problème sans étudier le coeur de ce problème.
- le rôle néfaste de l'administration "eau et biodiversité" (outre son réseau de clientèles subventionnées sur argent public, selon l'usage français) est systématiquement atténué, relativisé, justifié. Désolé, mais on ne noiera pas le poisson ainsi, le travail d'analyse critique mené par les associations et les syndicats depuis plus de 10 ans montre que l'idéologie et le fonctionnement des services administratifs est le coeur du problème démocratique et sociétal de la continuité écologique (pas que ce domaine d'ailleurs, le sentiment d'étouffement bureaucratique est diffus en France!). Les nombreuses condamnations de l'administration en justice pour erreur d'appréciation et abus de pouvoir confirment le diagnostic des acteurs. Les documents publics de cette administration montrent sans l'ombre d'un doute qu'elle a envisagé dans les années 2000 et 2010 un programme de destruction systématique du maximum d'ouvrages en rivières, avec tous les efforts réglementaires et financiers portés pour l'effacement des chaussées, digues, barrages, au détriment de leur équipement et de leur aménagement. Les actes doivent avoir des conséquences : ce qui a mené à l'échec ne peut pas conduire à la réussite.
- on peut discuter, débattre, concerter, co-construire, co-décider... il n'en reste pas moins qu'à la racine, deux visions inconciliables de la rivière existent, ce que les universitaires ont déjà fait observer : l'idéal de rivière sauvage rendue à la nature seule avec suppression du maximum d'impacts humains, l'idéal de rivière durablement aménagée où co-existent des patrimoines naturels et des usages humains (les premiers évoluant forcément sous l'influence des seconds). La loi et la justice ont tranché en France : la rivière sauvage n'est pas la doctrine publique de l'eau. (Et cela inclut les versions sophistiquées et "sachantes" du retour au sauvage, comme la "rivière rendue à sa naturalité et sa fonctionnalité", ce qui veut dire exactement la même chose sous une forme un peu jargonnante; l'expertise n'est pas neutre, elle a aussi des idéologies sous-jacentes et il faut le dire dans le débat public). Partant de là, si des fonctionnaires sont mal à l'aise avec cette orientation en faveur de la rivière aménagée et son exécution, ils doivent rejoindre des groupes privés où leur idéologie de la rivière sauvage pourra s'exprimer librement. Mais pour les autres, il est impossible de tenir au sein même de l'appareil d'Etat et en étant payés par les contribuables une position contraire à l'évolution des lois et des décisions de justice.
- or, nous voyons encore tous les jours des courriers aberrants de fonctionnaires DDT-M, des appels d'offres et marchés publics aberrants d'établissements publics ou de collectivités territoriales, des schémas directeurs aberrants d'administrations et syndicats de l'eau, faisant comme si la loi et la jurisprudence n'existaient pas, comme si l'appel à détruire les ouvrages ou la volonté d'entraver leur équipement énergétique avaient une base légale et une approbation citoyenne. Aucun apaisement ne peut exister sur cette trajectoire. Le juge, le parlement, le gouvernement, les élus locaux seront saisis aussi longtemps que des dépositaires de l'autorité publique se comporteront dans le mépris des évolutions démocratiquement actées. Et malheureusement, les rapports humains de terrain seront toujours aussi désagréables tant que des fonctionnaires auront une finalité de dénigrement et d'effacement d'ouvrages, imagineront qu'ils parviendront à cette fin par des stratégies de harcèlement et de contournement des lois.
La balle est donc plus que jamais dans le camp du ministère de l'écologie et de ses services déconcentrés, de l'office français de la biodiversité, des agences de l'eau et des syndicats de bassin : la gestion durable et équilibrée de l'eau, incluant l'usage des ouvrages hydrauliques à fin de production énergétique ou alimentaire, de régulation de l'eau, de gestion du changement hydroclimatique, de valorisation du patrimoine et de l'identité paysagère, de développement économique du territoire, doit devenir une réalité de tous les instants dans la programmation publique et l'instruction réglementaire. Cela implique notamment la révision des outils de cette programmation (SDAGE, SAGE, contrats rivières, GEMAPI) et la ré-allocation de l'argent public dans le sens indiqué par la loi.
Le reste n'est que littérature. Désormais, soit l'administration de l'eau change de doctrine et de comportement sur les ouvrages, soit elle sera l'objet d'un procès permanent en illégalité et illégitimité.
Référence : Miqueu C (2021), Politique "apaisée" de restauration de la continuité écologique des cours d'eau en Adour-Garonne, octobre 2021
Synthèse de la mission « Restauration de la continuité écologique »
1)- Prendre acte de l'échec sociétal de la politique apaisée, malgré des réponses équilibrées dans notre bassin. En 2019 et 2020 (années qui ont suivi la mise en place de la note DEB du 30 avril 2019) sur les 129 dossiers instruits, 76% sont des aménagements et 24% des effacements d’ouvrages ;
2)- Choisir l'espoir, celui d'un pragmatisme respectueux des territoires et de leurs acteurs publics et privés, efficace pour la continuité écologique et la biodiversité.
3)- Engager un plan d'action 2022 - 2027 (évalué in fine) pour les quatre secteurs socioéconomiques (page 35), mis en oeuvre dès la fin du 11ème programme.
° Clarifier (cas aberrants) le calendrier de réalisation des 493 ouvrages priorisés
° Définir la sécurisation juridique opérationnelle des dossiers
° Adapter les financements au nouveau contexte législatif, pour les seuils des moulins à eau (article 49 de la loi climat et résilience) et prendre acte que cet article 49 ne s’applique pas aux autres ouvrages (eau potable, irrigation, ...)
° Donner la priorité aux dossiers issus d'un consensus local
° Demander que les services instructeurs soient destinataires d’un argumentaire opérationnel sur les sujets sensibles, pour renforcer l’accompagnement des porteurs de projets dans un apprentissage collectif du dialogue et de la coconstruction en vue d’une décision (droits fondés en titre, hydroélectricité, moulins à eau, pisciculture...)
4)- Valider l’évolution rédactionnelle de l’orientation D (mesure D23) du SDAGE 2022 - 2027 et des mesures du PDM, notamment 3.2.4 : restauration des fonctionnalités des lieux aquatiques, 4.1.5 les principales mesures. MIA02 gestion des cours d’eau hors continuité ouvrages. MIA03 gestion des cours d’eau continuité
5)- Faire de la connaissance identifiée et débattue une priorité, en clarifiant les controverses, en associant le conseil scientifique, en associant "l'Entente pour l'eau Adour Garonne" pour les retours d’expériences innovants, en organisant une pédagogie de la rivière (notamment dans les CLE) intégrant l’approche globale et ses enjeux notamment les solutions fondées sur la nature, en partageant enfin les résultats d’une expertise des nouvelles techniques permettant de concilier la continuité écologique et l’hydroélectricité.
6)-Créer une cellule de médiation à l’échelle du bassin et confirmer la pérennité du groupe de travail dédié en Adour Garonne. Sa composition et son organisation seront décidées par le président, après consultation du bureau
7)- Etablir le bilan des réalisations, chaque année, avec dans un premier temps au premier semestre 2022, le bilan multicritères de la période 2013 – 2020.
8)- Identifier, modéliser et soutenir les maîtrises d'ouvrage dans leurs diversités. Publics : EPTB, EPAGE, Syndicat mistes... Privés : propriétaires, sociétés...