On fait beaucoup de bruit dans la presse en ce moment à propos d'un amendement à la loi climat demandant de stopper les destructions des ouvrages de moulins. Certains affirment que c'est une grave atteinte à la continuité des rivières. C'est faux : la réforme de continuité écologique a échoué car des choix radicaux et décriés ont voulu promouvoir et financer la seule destruction des ouvrages anciens, alors qu'il existe de nombreuses autres options, plus consensuelles, plus utiles à l'écologie au sens large, plus conformes à l'intérêt général du pays. Revenir à ces options va permettre des gains de continuité écologique et la sortie du blocage actuel. A condition que les fonctionnaires eau et biodiversité acceptent une bonne fois pour toutes que les rivières du 21e siècle auront encore des ouvrages hydrauliques, comme elles en ont depuis des millénaires.
Exemple de rivière de contournement (source des travaux et de l'image) : conserver les atouts de l'ouvrage, y améliorer la fonctionnalité de franchissement piscicole. Ces solutions et d'autres sont conformes à la vision française de l'eau, qui n'est pas le retour à la nature sauvage par destruction des paysages et des usages.
Le journal Le Monde, comme d'autres, a signalé que des députés ont adopté un amendement visant à empêcher la destruction des moulins à eau et à favoriser au contraire leur équipement énergétique. Certains le déplorent en affirmant que c'est une régression de la continuité écologique. Mais si cette loi est votée, ce sera surtout une régression de l'extrémisme sur les rivières qui a enflammé des sujets ne méritant pas de l'être.
Rappelons que la continuité écologique au droit d'un moulin ou autre ouvrage de petite hydraulique (chaussée, barrage, écluse, digue d'étang et plan d'eau) a pour principal enjeu la circulation de poissons migrateurs. En effet, les autres continuités sont assurées. D'une part le moulin ne consomme et ne stoppe évidemment pas l'eau: le débit sortant est le même que le débit entrant, modulo ce qui est évaporé ou ce qui est stocké en sol et végétation. D'autre part, les sédiments ne sont pas durablement retenus vu les très faibles capacités de stockage et la persistance des crues morphogènes qui surversent sans problème l'ouvrage (contrairement aux grands barrages réservoirs). La continuité hydrique et sédimentaire étant assurée, le seul enjeu réel est la circulation d'espèces, particulièrement de poissons ayant besoin de remonter le cours de l'eau.
Pour favoriser cette continuité de circulation de poissons de l'amont vers l'aval et surtout de l'aval vers l'amont, il existe au moins sept options déjà mises en oeuvre sur le territoire.
Inaction : bien des ouvrages anciens ont des tailles modestes, des parements inclinés, des chutes noyées en débit moyen à élevé. Certains ont des brèches. En ce cas, l'impact de franchissement est négligeable, il est inutile de dépenser de l'argent à intervenir. Des chercheurs ont montré que les migrateurs comme les truites et ombres franchissent les ouvrages modestes.
Ouverture de vanne : quand la rivière, le génie civil et les espèces cibles s'y prêtent, l'ouverture des vannes en haut débit égalise le niveau amont et aval, ce qui permet le passage des migrateurs et d'autres poissons.
Passe rustique : la création de brèches consolidées ou de rampes empierrées à quelques bassins est une option simple de mise en oeuvre.
Passe technique : les dispositifs de bassins successifs à micro-chutes et ralentisseurs fonctionnent pour certaines espèces.
Rivière de contournement : le plus efficace sans doute des dispositifs de franchissement, si le foncier est disponible, une rigole, un ruisseau ou une petite rivière (selon débit) qui rejoint l'amont et l'aval.
Effacement : la plus radicale des solutions, visant à supprimer l'ouvrage et assécher ses annexes hydrauliques.
Une septième option est de capturer des poissons à l'aval pour les déverser à l'amont, mais si elle est utilisée pour franchir de grands barrages, c'est rarement le cas pour de petits obstacles. Néanmoins, ce serait une possibilité puisque les associations de pêche peuvent y procéder.
Donc on le voit, l'effacement d'ouvrage n'est en rien la seule option de continuité écologique.
La continuité par destruction est la pire option
L'option de l'effacement des ouvrages hydrauliques est la plus radicale : avec elle disparaissent la retenue, le bief, le paysage, le patrimoine, les usages, la rehausse locale d'eau. C'est aussi la plus conflictuelle : les agents de l'OFB, de la DDT-M et de l'agence de l'eau ont voulu l'imposer dès le premier plan de continuité de 2009, ce qui a embrasé immédiatement la vie des rivières. Hydrauxois et bien d'autres associations et collectifs sont nés face à ces menées perçues comme intégristes, appuyées sur une connaissance très incomplète et partiale, ainsi qu'une violence bureaucratique sans précédent.
D'une part, cette destruction de sites a toujours été contraire à l'esprit des lois françaises de l'eau. Que les citoyens lisent tous l'article L 211-1 du code de l'environnement et ils verront que la doctrine du bien commun en France consiste à valoriser la ressource en eau tout en préservant des fonctionnalités naturelles et de la diversité biologique. Le bien commun ne consiste pas à détruire les ouvrages et les usages au seul profit d'une nature sauvage dont l'humain serait chassé, ce qui est un choix antisocial et non durable. La continuité qui refuse les dimensions multiples de la gestion équilibrée et durable de l'eau en appelant à tout casser et à ne pas viser les autres usages est une doctrine de militant naturaliste à l'ancienne. Pourquoi pas si elle est défendue par des ONG et autres acteurs libres de proposer ce programme idéologique, mais elle ne doit plus être la doctrine des serviteurs de l'Etat français, qui sont là pour appliquer la loi, pas pour promouvoir des convictions personnelles sur la nature.
D'autre part, la destruction des sites n'est pas la plus intéressante pour la société ni pour l'écologie au sens large de meilleur compromis pour l'environnement (pas au sens étroit de maximisation de la naturalité). Les ouvrages hydrauliques peuvent en effet produire de l'énergie bas-carbone et c'est indispensable de les relancer si l'on veut sortir de l'énergie fossile en 30 ans (obligation de l'Etat désormais), objectif qui demande la mobilisation de toutes les ressources renouvelables du pays. Les ouvrages hydrauliques créent des milieux en eau (retenues, biefs, marges humides) et c'est indispensable de respecter ces milieux, dont la science dit qu'ils rendent des dizaines de services écosystémiques. Notamment le stockage de l'eau et la recharge des aquifères. Plus de 80% des zones humides naturelles du pays ont déjà été détruites au cours des derniers siècles, assécher les zones humides humaines est une aberration profonde. Il faut dédier l'argent rare de l'écologie de l'eau à créer ou recréer des milieux aquatiques et humides, certainement pas à effacer et assécher ceux qui existent encore sous le prétexte qu'ils sont d'origine humaine. Ainsi bien sûr qu'à dépolluer ou traiter à la source les pollutions, première cause et de loin des troubles des milieux aquatiques.